Il s’en souvient comme si c’était hier. « J’étais en pleine consultation un lundi matin du mois de juin. Je reçois un coup de fil en apparence anodine. Ma secrétaire me passe une personne de la Sécu, qui ne s’est pas présentée et qui m’a tout de suite parlé de ce qui semblait être un excès de prescription d’IJ de ma part. Je l’ai assez vite coupée pour lui demander si c’était de mise sous objectif dont elle parlait. Elle m’a répondu que oui, mais qu’il ne fallait pas que je m’inquiète », raconte au « Quotidien » le Dr Vincent Cesa depuis son cabinet d’Hostens, un village du sud de la Gironde où il est installé depuis une dizaine d’années avec deux confrères.
Au début, c’est surtout la méthode qui a énervé le médecin généraliste de 45 ans. « J’ai terminé ma consultation en m’excusant du désagrément auprès de ma patiente. Je me suis ensuite renseigné sur le sujet, j’ai vu que nous étions un bon millier de généralistes à être clairement ciblés », poursuit le Dr Cesa.
Courrier avec AR
Le praticien consulte en ligne les webinaires de syndicats médicaux, en contacte certains directement, dont le conseiller juridique de la FMF, le Dr Marcel Garrigou-Grandchamp pour obtenir des informations sur la marche à suivre, après avoir reçu un courrier avec AR, « me proposant de m’expliquer sur l’écart de mes prescriptions d’arrêt de travail avec mes confrères sur la période de septembre à février dernier ».
Il prend le temps de la réponse et présente de solides contre-arguments. Hostens a en effet subi l’an dernier des incendies d’une gravité extrême. Beaucoup des habitants sont en surmenage et en dépression. « J’ai donc demandé à être reçu pour un entretien de manière à m’en expliquer de visu. Et puis j’ai attendu ».
Prêt au bras de fer
À l’arrivée, le Dr Cesa a été placé d’emblée sous MSO, la caisse lui proposant une réduction de 20 % de ses prescriptions d’IJ sur les six prochains mois. « J’ai répondu par la négative en disant que je préférais m’appuyer sur mes confrères médecins-conseils dorénavant pour prescrire mes arrêts de travail s’ils le jugeaient utile. Donc, ou je serai mis sous entente préalable, ou ils décideront peut-être de laisser tomber la mesure, je n’en sais rien. J’estime n’avoir aucune activité déviante, même si j’ai vécu au départ la situation comme le fait d’avoir une épée de Damoclès au-dessus de ma tête, je suis prêt au bras de fer », développe le Dr Cesa, remonté contre l’Assurance-maladie.
Parce que, d’une certaine façon, « le mal est fait. J’ai eu le sentiment, dans les premières semaines qui ont suivi l’appel de la caisse, d’avoir complètement loupé des consultations face à des gens qui n’allaient pas bien. J’étais moins à l’écoute et je réfléchissais davantage à mes prescriptions. Pour ça, j’en veux beaucoup à la Sécu ».
Acharnement en Occitanie
En région Occitanie, chez une consœur du Dr Cesa, l’exaspération prend une autre forme. Cette généraliste, jeune quadragénaire, qui a accepté de répondre à l'enquête du « Quotidien » (sous couvert d’anonymat), a été contactée par une déléguée de l’Assurance-maladie fin juin, « pour un entretien confraternel, mi-septembre avec un médecin-conseil ». D’abord par mail, courriel auquel elle décide de ne pas répondre… Quelques jours plus tard, son téléphone sonne alors qu’elle est en consultation. La déléguée n’a pas le temps de placer plus de deux phrases avant d'être interrompue : « Sommes-nous dans le cadre des fameuses MSO. Ai-je été ciblée ? Parce que vous savez c’est vraiment désagréable », s’entend-elle répondre par la médecin.
Une fois la situation éclaircie, la généraliste n’est pas (pour l’heure) sous MSO, mais l’entretien est maintenu. « Je me suis fâchée tout rouge », confie aujourd’hui tristement la praticienne. Mais il y a un vrai sentiment d’injustice et d’acharnement. J’exerce dans un territoire où il manque des médecins. Je fais mes 8 heures/20 heures chaque semaine, je participe au tour de gardes. J’accepte de voir en consultation libre et sans rendez-vous, deux matinées par semaine, des gens qui ne font pas partie de ma patientèle… et on vient me chercher des noises parce que j’ai à cœur de bien suivre les gens. Quand les patients ont quelque chose de sérieux, ils ont besoin d’être arrêtés ».
La généraliste parle en connaissance de cause, elle-même a vécu un burn-out il y a quelques années. D’ailleurs, elle estime que la « traque » aux IJ pourrait produire le contraire de l’effet escompté. « Ce n’est absolument pas dans mon ADN, mais face à ces tracasseries et ce flicage de la part d’une Sécu qui n’est pas notre employeur, je songe parfois à me déconventionner. Depuis les échanges de cet été, je me sens coupable maintenant à chaque fois que je signe un arrêt maladie. C’est idiot, mais les médecins prescripteurs ne se sentent plus tranquilles. »
Se justifier sur tout, sombrer dans la paranoïa
Ce sentiment d’avoir en permanence quelqu’un dans le dos est partagé par une de ses consœurs du sud-est de la France qui, pour cause de conflit en cours avec sa caisse primaire, préfère, elle aussi conserver l’anonymat. « On est obligé de se justifier pour tout. Sans sombrer dans la paranoïa, c’est usant », lâche cette généraliste d’une cinquantaine d’années qui a reçu un coup de téléphone d’un responsable de la Sécu il y a environ six semaines.
Le motif ? Sa prescription d’IJ jugée, là encore, trop élevée. Sauf que la praticienne est du genre à conserver toutes ses copies de documents. Vérification faite, c’est, selon elle, la caisse qui se trompe dans sa manière de compter les arrêts. Elle en veut pour preuve que, parmi ses dossiers patients incriminés, l’arrêt de travail d’un de ses malades qu’elle suit bien en tant que médecin traitant, est prescrit et renouvelé, depuis deux ans, par le psychiatre de ce dernier…
Quel est aujourd’hui l’état d’esprit de cette médecin de terrain ? Combatif. « Je suis d’abord passée par une phase "pourquoi ils me font ça ?" mais après, ça m’a donné la niaque. J’ai refusé la MSO et leur ai renvoyé un recommandé en disant que j’avais tous les doublons de mes IJ et que je n’avais pas arrêté tous les patients qu’ils avaient relevés. Je suis en procédure d’attente », précise la praticienne. Elle a bon espoir de remporter ce nouveau match. Quelques années plus tôt, elle avait déjà fait l’objet d’une MSO, qui n’avait abouti sur rien puisqu’elle « était dans les clous ».
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