L'AME, « un dispositif sanitaire utile » mais « adaptable » selon le rapport Evin-Stefanini

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Publié le 04/12/2023
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Crédit photo : Burger/Phanie

L'Aide médicale d'État (AME) n'est ni trop chère, ni ne génère un appel d'air migratoire. Remis ce matin au ministre de la Santé Aurélien Rousseau, le rapport corédigé par Claude Evin (ancien ministre de la Santé) et Patrick Stefanini (spécialiste des questions d'immigration et ex-directeur de campagne de François Fillon) balaye une partie des fausses idées qui courent depuis la création de dispositif en 2000. Ce droit permet aux étrangers en situation irrégulière, présents sur le territoire national depuis au moins trois mois, de bénéficier d’une prise en charge gratuite de leurs soins, sous réserve de faibles revenus (moins de 810 euros par mois).

Pour les rapporteurs, l'AME est « un dispositif encadré sur le plan réglementaire, mis en œuvre et contrôlé de manière professionnelle par les services de l’Assurance-maladie et qui ne génère pas de consommations de soins faisant apparaître des atypismes, abus ou fraudes structurelles ».

Hausse des dépenses mais consommation stable

Les rapporteurs confirment la hausse des dépenses de l'AME, qui représentent un coût de 968 millions d'euros en 2022. Cette augmentation (voir tableau ci-dessous) est « largement corrélée à celle du nombre de bénéficiaires » constatée depuis 2019 et non à l'augmentation du volume de soins par personne. 

Entre fin 2022 et fin 2023, le nombre de bénéficiaires a augmenté de 13,5 %. Par extrapolation, ils sont en cette fin d'année 466 000. Or la consommation trimestrielle moyenne par bénéficiaire est restée stable au cours des 15 dernières années : elle est passée de 642 euros en 2009 à 604 euros en 2022.

Moins de recours à l'hôpital

Les bénéficiaires ont davantage recours aux soins de ville, en particulier aux consultations médicales (745 452 en 2022), dentaires (179 000 en 2022) ainsi qu'aux actes des auxiliaires paramédicaux (229 656 en 2022).

À l’inverse, la part des dépenses hospitalières tend à diminuer dans le total des dépenses d’AME. Si les activités de médecine, chirurgie et obstétrique sont majoritaires, celles relevant aussi de la psychiatrie et des soins de suite et de réadaptation représentent aussi une activité notable.

En cumulant séjours et consultations hospitalières, l'obstétrique arrive en tête (15 % des séjours), suivie de l’activité digestive (7 %) et, à un moindre degré, de la pneumologie, (4 %), le cardio-vasculaire, le système nerveux et l’orthopédie traumatologie (3 %).

Le tandem Evin/ Stefanini confirme que la durée moyenne de séjour (DMS) des bénéficiaires de l’AME (5,5 jours) est 17 % supérieure à celle des assurés sociaux (4,7 jours). Mais une analyse plus fine par tranches d’âge fait apparaître des écarts beaucoup plus importants : + 64 % pour la DMS de la tranche 4/17 ans, + 44 % pour la tranche 18/39 ans et + 50 % pour la tranche 40/59 ans.

Cet écart se confirme dans les soins urgents : + 63,98 % en moyenne dont + 142 % pour la tranche d’âge 40/59 ans. « Ce constat résulte très probablement de la sévérité des pathologies et de la précarité des conditions de vie », résument les rapporteurs.

 

Une dégradation de l'état de santé

Est-il alors judicieux de remplacer l'AME par l'aide médicale urgente (AMU) comme l'a suggéré la droite sénatoriale ? Les rapporteurs, de bords politiques différents, ménagent la chèvre et le chou. Ils soulignent que cette mesure repose sur une distinction floue entre soins urgents et non urgents et qu'elle risquerait de « complexifier » inutilement la situation.

Par ailleurs, cette alternative décriée par les soignants, dont l'Ordre des médecins, aurait des conséquences possibles sur la santé publique et une pression accentuée sur les établissements de santé.

« Le dispositif de l’aide médicale urgente recèle in fine un risque important de renoncement aux soins, argumente-t-il. En raison de l’imposition d’un droit de timbre et des incertitudes mêmes liées à la reconnaissance du caractère grave d’une maladie. »

De plus, une part du volume de consultations réalisé en ville resterait possible (grossesse, vaccination, diagnostic et traitement des maladies graves), mais « une partie » seulement « basculerait sur l’hôpital, à un stade qui pourrait être plus dégradé de la pathologie concernée ». Or les établissements hospitaliers « fragilisés » doivent être « impérativement préservés ».

Pis, l’argument des opposants au maintien de l'AME en l'état selon lequel le dispositif serait incitatif pour l’immigration n'est pas retenu. Selon les deux anciens hauts fonctionnaires, « l’AME n’apparaît pas comme un facteur d’attractivité pour les candidats à l’immigration », bien qu’ils reconnaissent que « l’offre de soins délivrée dans notre pays fait probablement partie d’un ensemble de facteurs qui oriente les parcours de migration ».

Aménagements cosmétiques

Néanmoins, face à ce sujet « d'une très forte sensibilité », les auteurs estiment que les « avancées passées » en matière de renforcement des contrôles « ne doivent pas dispenser d’envisager de nouvelles mesures pour l’avenir ».

Parmi les « adaptations » proposées, les rapporteurs citent : le renfort des contrôles sur le respect des conditions d’accès à l’AME (identité, présence physique du bénéficiaire à chaque dépôt de dossier et retrait de cartes, amélioration de la formation des agents des CPAM à la détection de faux papiers, ressources du conjoint, mineurs non accompagnés) ; l'organisation d'un bilan de santé pour les primo-bénéficiaires de l’AME ; l'extension de la procédure permettant de soumettre à une autorisation préalable de la CNAM les soins considérés comme non-urgents. Claude Evin et Patrick Stefanini suggèrent aussi d'exclure de ce dispositif les personnes frappées d’une mesure d’éloignement du territoire pour motif d’ordre public.

Enfin, deux pistes ont été citées comme n’ayant « pas fait consensus » chez les auteurs du rapport : obliger les bénéficiaires de l’AME à demander en amont de leur renouvellement de droits leur régularisation (pour éviter que les immigrés restent clandestins de longue durée) et subordonner la poursuite de soins chroniques à la vérification que l'étranger ne puisse pas recevoir les mêmes soins dans son pays d’origine (lutte contre le tourisme médical).

Dans un communiqué, le gouvernement a indiqué que « les propositions formulées par les rapporteurs pourront faire l’objet d’une évolution réglementaire ou législative dans un texte spécifique » mais qu’une telle réforme ne sera pas intégrée au projet de loi sur l’immigration qui fera son retour dans l'Hémicycle le 11 décembre.


Source : lequotidiendumedecin.fr