« Le généraliste devient une caution assurantielle ! » : le Dr Dachicourt (Reagjir) en guerre contre les certificats absurdes

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Publié le 05/09/2024

Certificat d'aptitude à la pratique de l’échec, autorisation de boire en classe, demandes injustifiées des assureurs… À chaque rentrée, les généralistes sont submergés par des demandes administratives, parfois folkloriques. Le Dr Raphaël Dachicourt, président du syndicat des jeunes généralistes installés et remplaçants (Reagjir), appelle à simplifier le système pour libérer du temps médical.

Crédit photo : DR

LE QUOTIDIEN : Depuis plusieurs années, Reagjir s’engage contre les demandes administratives inutiles ne relevant pas du soin. En quoi est-ce un problème ?

DR RAPHAËL DACHICOURT : À chaque rentrée, de nombreuses demandes de certificats médicaux affluent toujours, notamment pour des certificats sportifs, même si depuis 2021 ils ne sont plus nécessaires [un questionnaire équivalent à une attestation parentale suffit, ndlr]. En général, cela s’explique par le fait que les clubs ne sont pas informés des évolutions ou qu’ils ne communiquent pas l’information aux parents.

On observe aussi des demandes récurrentes pour des certificats d’aptitude pour certaines études supérieures, particulièrement dans les formations paramédicales. Bien que les vaccins n’aient pas changé d’une année sur l’autre, les étudiants doivent chaque année consulter un médecin, en vertu d’un arrêté de 2007, sans qu’il soit explicitement nécessaire de produire un certificat. Certaines écoles insistent pour en obtenir un, bien que la simple attestation d'une consultation soit suffisante. Cela crée une confusion et des consultations inutiles.

Ces consultations administratives occupent des créneaux qui pourraient être utilisés pour des soins essentiels

Quelles sont les autres requêtes inutiles auxquelles les médecins sont confrontés ?

On trouve des demandes irrationnelles pour des clubs non affiliés ou pour des activités sans fédération, où la situation varie énormément selon les clubs. Avec, par exemple, des certificats d’aptitude pour la pratique de l’échec. Cela crée une véritable confusion ! Par ailleurs, dans les crèches, des certificats sont souvent exigés pour des actes simples comme appliquer de la crème ou donner du Doliprane, alors qu’une autorisation parentale suffit. Sur le plan scolaire, il arrive qu’on demande aux médecins des certificats d’autorisation pour boire en classe ou aller aux WC…

Il n'est également pas normal qu'un assureur décide de la nécessité d'une consultation médicale et exige des documents, car cela peut compromettre le secret médical. Un acte médical doit être justifié par des raisons médicales, pas administratives. L'Ordre a clairement indiqué que ces pratiques sont contraires à la déontologie.

Toute cette accumulation de demandes administratives transforme le médecin généraliste en une sorte de "caution assurantielle”. Il y a cette pensée un peu magique de se dire que, parce qu’on a vu le médecin, on est dans les clous et on est couvert. Les gens ne comprennent pas que ce ne sont pas seulement quelques personnes, mais des millions qui envahissent les cabinets médicaux sur la même période, créant une surcharge administrative massive. Ces consultations administratives occupent des créneaux qui pourraient être utilisés pour des soins essentiels.

À combien évaluez-vous le temps consacré par semaine à la réalisation de certificats absurdes ?

Il n'existe malheureusement pas d'études globales sur le sujet car c'est difficile à quantifier précisément. Les certificats sont parfois demandés en complément d'une consultation pour un autre motif. Par exemple, une mère peut venir pour elle et en profiter pour demander le certificat de son enfant.

Dans ma pratique, je constate qu'en septembre, entre 15 % et 20 % de mes consultations sont dédiées à ces certificats. C'est surtout à la rentrée que cette demande est élevée, en raison des inscriptions scolaires et sportives. Par la suite, à l'automne et en hiver, on voit plus de demandes d'arrêts de travail de courte durée pour des pathologies bénignes comme des rhumes ou des grippes. Et au printemps, avec la reprise des activités sportives, on observe une nouvelle vague de certificats. C'est donc un phénomène assez cyclique et saisonnier.

En Belgique, au Portugal ou aux États-Unis, des systèmes d'auto-déclaration d'arrêts de travail de courte durée existent déjà

Avez-vous étudié ce qui se fait dans d'autres pays ?

Oui, on regarde beaucoup ce qui se passe à l’étranger et on a pas mal de leçons à tirer. En Belgique, au Portugal ou aux États-Unis, des systèmes d'auto-déclaration d'arrêts de travail de courte durée existent déjà, allégeant ainsi la charge administrative des médecins.

Toutefois, les systèmes de protection sociale varient selon les pays. Aux États-Unis, par exemple, les « sick days » ne sont pas couverts financièrement. Le modèle portugais est, en revanche, très proche de ce que nous proposons. Ce pays a mis en place une autodéclaration pour des arrêts de trois jours. Finalement, l’idée est simple : donner un cadre de confiance aux patients sans imposer un passage systématique chez le médecin pour des petits arrêts de travail ou des certificats d’enfants malades. C’est faisable, la preuve existe à l’étranger.

Concrètement, quels certificats faut-il supprimer ?

En juillet 2023, nous avions rédigé un rapport sur la simplification administrative, dans lequel nous avons tenté de recenser les principaux documents demandés aux médecins. Il est impossible d’établir une liste exhaustive. Nous avons néanmoins étudié les demandes les plus courantes pour déterminer celles qui sont juridiquement valides et celles qui ne le sont pas. Pour celles sans base légale, nous demandons simplement que la loi soit appliquée et qu’il ne revienne pas aux médecins de faire respecter la législation. Il est donc nécessaire d’avoir un arrêté clair et précis qui liste les certificats exigibles, plutôt qu’une simple instruction.

Pour les certificats ayant une base juridique, comme ceux pour enfants malades, nous avons proposé plusieurs évolutions. Nous avions rédigé des amendements pour ajuster la réglementation ou la loi, et ces propositions ont été discutées lors du PLFSS de l'année dernière. Bien que certaines idées aient été adoptées par le Sénat, elles ont été retirées à l’Assemblée nationale. Les débats sont souvent bloqués par la question des jours de carence, couverts par les employeurs. Le Medef s’oppose à ces évolutions pour des raisons principalement financières. De notre côté, nous prônons la confiance envers le patient, tout en reconnaissant la nécessité d’un encadrement adéquat.

Depuis votre rapport, avez-vous perçu des avancées ?

Oui, il y a eu une prise de conscience. Ce sujet, qui n'était pas présent auparavant, commence à entrer dans le débat public. On s'attend à ce qu'il refasse surface lors du prochain PLFSS. La Cour des comptes a intégré des recommandations sur ce sujet dans un de ses rapports où nous avons été cités, ce qui marque une évolution positive. Mais nous sommes toujours en attente d’avancées concrètes. Ce dossier sera bien entendu défendu auprès du futur gouvernement.

Le soutien du Collège de la médecine générale, notamment dans le cadre de la campagne "Septembre Violet", renforce cette démarche. Cela montre que ce n'est pas simplement une revendication isolée d'un jeune syndicat utopiste, mais une position appuyée par des recommandations médicales solides, ce qui devrait donner du poids pour collaborer avec le prochain gouvernement.

Finalement, le message n'est pas de culpabiliser les patients ou de lancer une campagne pour refuser les certificats car les patients ne sont que des otages de cette situation. L'objectif est de s'adresser aux décideurs pour influencer la réglementation à un niveau national ou des collectivités.


Source : lequotidiendumedecin.fr