Ce week-end, le « choc » réclamé de longue date par les syndicats médicaux en direction de la médecine libérale a donc eu lieu. Mais ce n’est pas exactement le choc d’attractivité espéré. Pire, les annonces du Premier ministre – hors concertation et cadre conventionnel – ont sonné et raidi les représentants de la profession. Plusieurs leaders confient que le contournement de leurs efforts par l’exécutif compromet l'édifice conventionnel.
« Numéro d’illusionniste »
La méthode de Matignon, d’abord, a pris tout le monde de court. « Nous avons été très surpris, déplore le Dr Luc Duquesnel, chef de file de la branche généraliste de la CSMF. Nous étions dans les bureaux de Frédéric Valletoux, la semaine dernière, qui ne nous a prévenus de rien. J’ai l’impression que lui-même n’était pas informé du numéro d’illusionniste qu’allait nous faire Gabriel Attal samedi. »
Sur le fond surtout, la remise en cause par l’exécutif des règles du jeu de la médecine de ville – avec des accès directs aux spécialistes ou aux kinés – ne passe pas. « En annonçant la destruction du parcours de soins et le transfert de compétences à d’autres professions de santé au mépris de la qualité et de la pertinence des soins des Français, le gouvernement fait le choix d’en finir avec le médecin traitant et avec toutes les autres spécialités médicales libérales », cogne la CSMF ce lundi. « Si on permet à des patients de prendre des rendez-vous chez les spécialistes sans courrier, sans être adressé par le médecin traitant, ça va surtout rallonger les délais d’attente. On marche sur la tête », précise le Dr Duquesnel.
Sabotage
Le SML a vécu l’intervention du Premier ministre comme « un sabotage des négociations ». « L’an dernier, c’étaient les députés qui discutaient de textes législatifs restreignant la liberté des médecins en pleine négociation… On a vraiment l’impression d’avoir affaire à des Tartuffe », s’emporte la Dr Sophie Bauer, cheffe de file du syndicat. Annoncer par exemple que les séances de psychologues en accès direct vont passer de 30 euros à 50 euros (jusqu’à 12 fois par an) dans le cadre de Mon soutien Psy revient à agiter un chiffon rouge devant les praticiens. « En même temps, il est proposé 30 euros pour la consultation du médecin généraliste (bac + 10) et 57 euros pour celle du psychiatre (bac +12). Voilà qui ne va pas améliorer l’attractivité de ces spécialités médicales ! », grince le SML.
À MG France, c’est « la sidération et la consternation », face à des mesures jugées « illusoires, souvent démagogiques et parfois dangereuses ». « Cela fait cinq mois qu’on travaille avec l’Assurance-maladie sur l’accès aux soins, sur la pertinence des prescriptions et là, en un revers de main, le Premier ministre met par terre tout ce travail en commun, sans avoir consulté un seul syndicat médical au préalable », se désole la Dr Agnès Giannotti, chef de file de MG France. « Qui peut croire que les patients résidant dans des déserts médicaux trouveront plus facilement un endocrinologue ou un chirurgien qu'un médecin généraliste ? Qui peut penser que l'accès direct au kiné va faciliter la prise en charge des patients âgés, peu mobiles, polypathologiques qui en ont pourtant le plus besoin ? », tonne le syndicat de généralistes, qui suspend sa participation aux négociations en attendant de voir ce que proposera le ministre délégué à la Santé. « La balle est dans son camp, étant donné que c’est lui qui sera chargé de mettre en musique les annonces de Gabriel Attal », avertit la généraliste parisienne.
Pas aux pharmaciens de « jouer au docteur »
Du côté de l’UFML-Syndicat, on s’étonne aussi de la méthode consistant à prélever cinq euros au patient à la faveur d’une future taxe lapin. « La médecine n’est pas un commerce et les patients ne doivent pas faire une avance de frais aux plateformes de rendez-vous », recadre le syndicat présidé par le Dr Jérôme Marty. Comme ses confrères généralistes, il exprime surtout son « sentiment de colère » au sujet de l’expérimentation d’accès direct aux spécialistes, qui « nie l’existence même du rôle du médecin généraliste, médecin de premier recours, de son expertise et de son rôle dans l’orientation des patients vers les autres spécialités, si leur examen médical le justifie ». La délivrance directe d’antibiotiques par les pharmaciens (angine, cystite) est elle aussi épinglée car il s’agit d’actes médicaux. « Ce n’est pas le rôle des pharmaciens que de jouer au docteur », écrit l’UFML-S, évoquant du « bricolage ».
Chez les jeunes, même surprise et même courroux. Le syndicat des jeunes généralistes et remplaçants (Reagjir) considère que ces mesures relèvent de « l’affichage politique », selon son président le Dr Raphaël Dachicourt, faute d’avoir été concertées. « Aucun syndicat représentatif des internes ou des jeunes médecins n’a été reçu » par Catherine Vautrin ou Frédéric Valletoux, déplore Reagjir.
A noter enfin que l’annonce d’une forte augmentation du nombre de médecins formés à 16 000 à l'horizon 2027 (numerus apertus) inquiète aussi plusieurs syndicats car cela commande de s'en donner les moyens en nombre d'enseignants et en capacité d'accueil des facultés.
Qui est ministre de la Santé ?
« Gabriel Attal, Catherine Vautrin, Frédéric Valletoux… Je ne sais plus qui est ministre de la Santé ! », ironise l’ancien responsable santé du PS, le Dr Claude Pigement. Pour cet expert, il s’agit davantage d’un coup calculé qui vise à plaire au grand public, avec des mesures emblématiques comme la « taxe lapin ». Quitte à enjamber les corps intermédiaires… « Mais Gabriel Attal a sous-estimé l’impact de son propos sur l’expérimentation de l’accès direct aux spécialistes, qui court-circuite les négociations de façon incohérente, en remettant en cause le parcours de soins de 2004 », analyse-t-il.
« Je peux comprendre la volonté politique d’intervenir la veille de la Journée mondiale de la santé mais était-ce au Premier ministre de le faire comme ça ? », analyse le Dr Patrick Gasser, patron d’Avenir Spé, qui avait quitté de son côté les négociations, dès la semaine dernière, pour protester contre les tarifs des cliniques. Pourtant, après l’« inventaire à la Prévert » de Gabriel Attal, le gastro-entérologue de Nantes veut croire que les vifs remous suscités dans la profession seront peut-être l’occasion de « débloquer les choses ».
L’Ordre tacle la « sortie médiatique » d’Attal
Dans un entretien exclusif accordé au Quotidien ce lundi, le président du Conseil national de l’Ordre des médecins (Cnom), le Dr François Arnault, a réagi aux propos du Premier ministre, pointant des réserves sur le timing. « Vu les réactions des syndicats de spécialistes et de généralistes qui se retirent de la négociation conventionnelle, je pense que ce n’est pas bien négocié, à la fois sur le plan tactique et aussi politique ». Craignant que l’exécutif reprenne la main sur la médecine de ville en cas d’échec des négociations conventionnelles, le Dr Arnault affirme que « nous sommes dans une impasse et cette sortie médiatique n’est pas la solution ».
Au sujet de l’expérimentation de l’accès direct aux spécialistes, le président du Cnom déclare comprendre la logique, mais, pour lui, « il ne faut pas dénaturer le parcours de soins : le médecin généraliste traitant est le pivot du système de santé », a-t-il rappelé. En ce sens, l’accès direct « peut être une réponse dans de très rares situations », notamment d’urgence, s’il est coordonné avec le médecin traitant. Mais, a-t-il ajouté : « c’est une supposition très théorique, car les disponibilités des spécialistes sont moindres que celles des généralistes. Pour moi, ce n’est pas une solution pratique. » Le Premier ministre appréciera…
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