L'interpro bouillonne chez les libéraux et la réorganisation des soins primaires s'accélère, soutenue par les pouvoirs publics. Preuve de cette vitalité, à Auxerre, la semaine dernière, plus de 800 soignants ont répondu présents à la 5e Journée organisée par la Fédération des CPTS. La crise sanitaire a joué un rôle de catalyseur pour ces pools de libéraux, qui ont pu démontrer leur valeur ajoutée avec des réponses rapides et collectives de proximité. Le nouveau défi est d'accélérer l'implantation dans tous les territoires et de transformer l'essai.
À la tête de la Fédération nationale des CPTS, David Guillet confirme cette « dynamique ». « Ce mode d’exercice collaboratif plaît de plus en plus », se félicite l'infirmier libéral. On compte 782 communautés (tous niveaux de maturité confondus), soit une couverture de 75 % de la population. « La mayonnaise des CPTS a bien pris », salue aussi la Dr Marie-Hélène Certain, généraliste aux Mureaux et membre de la CPTS Val-de-Seine. Celle qui figure parmi les experts du Tour de France des CPTS (un audit du secteur assorti des recommandations) insiste sur « l'énergie, l’inventivité et l’intelligence collective des professionnels pour mettre en place des missions socles ». « Chaque organisation a su monter des projets variés adaptés aux besoins de la population et des soignants », souligne-t-elle.
Partout, on se retrousse les manches
Depuis l'avenant 2 à l'accord conventionnel interpro (ACI) entre la Cnam et les syndicats sur l'exercice coordonné, les CPTS doivent gérer une série de missions prioritaires (accès au médecin traitant, prise en charge des soins non programmés, prévention, crises sanitaires graves) et optionnelles (développement de la qualité et de la pertinence des soins, accompagnement des professionnels sur le territoire). L'atteinte de l'ensemble des objectifs permet aux communautés de toucher jusqu'à 580 000 euros d'aide conventionnelle, des subventions significatives qui soutiennent la dynamique.
Un peu partout, les collectifs se retroussent les manches. Beaucoup, par exemple, se sont emparés des protocoles nationaux de coordination pour la prise en charge de la cystite par le pharmacien ou l'infirmier. C'est le cas de la CPTS Sud Côte d'Or, créée il y a 10 mois, qui fédère près de 400 professionnels dont 74 médecins. Dans ce territoire, la mise en place de ce protocole a permis de prendre en charge « rapidement » les patientes, notamment « des touristes de passage », témoigne Pedro Ferreira, membre de la CPTS et infirmier libéral. Même feuille de route au sein de la communauté Portes de Provence : depuis septembre 2022, le collectif organise cette coopération avec trois médecins délégants, 27 pharmaciens et cinq infirmiers. « Depuis le début de l’année, on a fait 110 protocoles et il n'y a eu aucun adressage au médecin. Cela rend service aux patientes », se réjouit Sébastien Roubinet, pharmacien d'officine.
Les soins non programmés sont un autre enjeu. De nombreux groupements se sont organisés à cet effet en inter-CPTS, en lien avec le Samu ou le service d'accès aux soins (SAS). À Rouen, l'association pluripro Apsar travaille main dans la main avec le CHU pour créer le SAS. « On a intégré toutes les CPTS du territoire même celles en construction. Aujourd'hui, on gère le SAS avec la porte d'entrée par le 15 ou le 116 117 et les effecteurs. Et cela se passe bien », explique la Dr Delphine Secret Pouliquen, généraliste et présidente de l'association. Dans l'Yonne où le SAS est en construction, la CPTS Nord Yonne a proposé d'équiper des infirmiers avec des mallettes de télémédecine, permettant d'obtenir un avis du praticien à distance. « Pour cette mission, la CPTS rémunère 50 euros l'acte de l'infirmier », témoigne le Dr Jean-Luc Dinet, médecin généraliste et président de la CPTS.
Indicateurs irritants
Mais tout n'est pas rose. Des difficultés sont remontées pour organiser l'accès aux médecins traitant dans les territoires déficitaires, mission prioritaire. Côté subventions, beaucoup de collectifs déplorent« une mise sous pression des caisses primaires » vis-à-vis des critères. « Pourquoi nous fixer des indicateurs de résultat dès la première année alors que la mise en place des actions demande du temps », dénonce la Dr Hélène Colombani (CPTS de Nanterre) présidente de la Fédération des centres de santé. « On souhaiterait aussi éviter des indicateurs imposés (...) et cette pression mise sur l'accès au médecin traitant », complète le Dr Jean-François Moreul, vice-président de la Fédération des CPTS.
Face à ces objections, le DG de la Cnam Thomas Fatôme défend que les indicateurs ont été mis en place pour « mesurer ce qui se passe », un processus jugé « indispensable pour légitimer les CPTS mais qui ne suit pas une logique de sanction ». Le financement sera bien « pérenne », rassure-t-il. Néanmoins, les communautés devront démontrer leur plus-value pour justifier ces investissements durables de la Sécu. En particulier, la mission prioritaire d'accès au médecin traitant est « un test de crédibilité collective, la balle est dans le camp des acteurs territoriaux », rappelle le DG.
Les CPTS peuvent trouver un autre allié du côté du ministère. Pour atteindre l'objectif de 1 000 collectifs d'ici à fin 2023, un plan « 100 % CPTS » a été annoncé cet été. L'objectif est de lever les derniers freins. « Si 75 % de la population est couverte, il en reste encore 25 %. C'est le dernier kilomètre qui est difficile », admet Agnès Firmin Le Bodo. La ministre s'est engagée au financement systématique d’un coordonnateur — dès la lettre d’intention validée — pour « permettre de soulager les initiateurs du projet » et à ne pas multiplier les missions des communautés. Elle appelle la Cnam à faire preuve de souplesse. « Il faut être pragmatique, l'objectif est de pérenniser les CPTS. Le risque, c’est l’essoufflement ou les coquilles vides ».
Publié il y a un an, le protocole national sur la coopération entre médecins et infirmiers pour la prise en charge à domicile des patients âgés ou en situation de handicap et en difficulté pour se déplacer se concrétise enfin. Le forfait annuel par patient devrait s'élever à 370 euros (310 euros pour l’infirmière libérale et 60 euros pour le généraliste), cumulable avec les actes habituels du binôme médecin/infirmier. Le dispositif vise les plus de 65 ans et les patients majeurs présentant toute forme de handicap reconnu par les MDPH. Dans ce cadre, le médecin délègue à l’infirmière une consultation mensuelle de suivi, une intervention en réponse à un appel du patient en cas d'événement intercurrent au domicile. L'infirmière peut réaliser des actes dérogatoires (11 en tout). Le médecin délégant et l'infirmier délégué doivent exercer dans une structure de soins coordonnés (MSP ou CPTS), qui met en place une formation spécifique.
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