« Je suis installée depuis 31 ans en Martinique et, même en 2009, jamais un tel niveau de violence n’avait été atteint », témoigne la Dr Anne Criquet-Hayot, médecin généraliste et présidente de l'Union régionale des médecins libéraux de Martinique (URML), jointe par Le Quotidien.
Pour mémoire, en janvier et février 2009, une grève générale contre la vie chère – le même motif que les émeutes d’aujourd’hui - avait paralysé la Martinique et la Guadeloupe pendant plus d’un mois. Cette fois, l’URML martiniquaise alerte solennellement le gouvernement et les autorités sur « la nécessité de tout mettre en œuvre pour un retour au calme sur le territoire, afin que la continuité des soins et l'accès aux soins de la population soient préservés ».
Pharmacies de garde et MMG contraintes de fermer leurs portes
Violences urbaines, incendies, pillages, barrages… Le contexte restait inflammable ces derniers jours, conduisant à la prolongation du couvre-feu alors que les négociations sur la vie chère étaient dans l'impasse. « À ce stade, les barrages ne permettent pas aux médecins et professionnels soignants de circuler et d'aller à la rencontre des patients qui en ont besoin, ni aux patients de se rendre dans les lieux de soins. Le soir, les maisons médicales et les pharmacies de garde ont été contraintes de fermer leurs portes, remettant en cause l'accès aux soins, et mettant en danger les populations les plus fragiles », explique la Dr Anne Criquet-Hayot, par ailleurs cheville ouvrière de la communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS) de l’île.
« Par exemple le service d’accès aux soins (SAS), qui fonctionnait chez nous de 7 heures à 19 heures, s’arrête à 18 heures pour laisser le temps aux personnels de regagner leur domicile avant que la nuit tombe et respecter le couvre-feu effectif de 21 heures à 5 heures, confie la généraliste. Pour autant, nous mettons tout en œuvre pour organiser une régulation d'urgence via le SAS, sans pouvoir toutefois garantir les interventions médicales. »
La responsable espère un retour au calme rapide pour prévenir tout risque sanitaire majeur. « On s’organise du mieux qu’on peut pour essayer de faire face à toutes les problématiques que nous rencontrons, avec des systèmes dégradés, pour permettre aux professionnels de santé d’assurer des soins et aux patients d’y accéder », poursuit-elle. L’URML a lancé un appel pour laisser passer les médecins, infirmiers, pompiers et Samu afin de « ne pas mettre en danger la santé des Martiniquais ».
La nuit, c’est plus compliqué, cela devient bien plus dangereux
Dr Anne Criquet-Hayot
Le CHU de Fort-de-France a déclenché le plan blanc pour déprogrammer ce qui est non urgent, opérations comprises. Dans la région du Carbet, une pharmacie a été incendiée la semaine dernière, d’autres bâtiments publics ont été brûlés. Les maisons médicales de garde sont fermées le soir, au vu du danger pour les praticiens présents et pour les patients.
« La journée, face à un barrage, vous voyez les gens, c’est plus simple, explique la Dr Anne Criquet-Hayot. La Martinique est un petit territoire, on se connaît. Ils peuvent dire : “Ah, c’est la médecin, laisse-la passer” ». Mais la nuit, « c’est plus compliqué, cela devient bien plus dangereux », ajoute la représentante des 504 médecins libéraux de l’île.
Ces derniers s’échangent quotidiennement les « plans du jour » pour éviter tel barrage sur une boucle WhatsApp dédiée. Les médecins sont aussi en lien constant avec l’agence régionale de santé (ARS) pour les infos concernant leur sécurité.
L’URPS ML francilienne veut mieux protéger les médecins de garde
Dans son recensement annuel des violences faites aux médecins, l’Ordre a dénombré un record de 1 581 signalements d’incidents pour 2023 (+27 %). Dans ce contexte, l’URPS médecins Île-de-France soutient une révision du Code pénal visant à renforcer les sanctions contre les agresseurs, une équité de traitement entre libéraux et salariés ou encore la possibilité pour l’URPS de soutenir le dépôt de plainte des libéraux. Plusieurs de ces pistes figurent dans la proposition de loi Pradal (adoptée par l’Assemblée nationale mais qui n’a pas été mise à l’ordre du jour au Sénat).
L’URPS francilienne juge également nécessaire de poser la question de la « sécurité des médecins qui prennent des gardes de nuit et de week-end ». « Il ne suffit pas de mettre des locaux à disposition, il convient de les sécuriser avec des moyens adaptés : vidéosurveillance, déclenchement d’alarme via bouton-poussoir, agent de sécurité », insiste-t-elle. L’Union réclame que ces dispositifs de sécurité soient obligatoirement intégrés dans le cahier des charges des maisons médicales et points fixes de garde, en cours de rédaction à la DGOS, et que le financement de ces dispositifs par l’État soit garanti.
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