« On marche sur la tête », tempête Dominique Toscani, maire de la commune de Bornel (Oise), estampillée désert médical. La raison de l’ire de l’édile ? Le refus par le Conseil départemental de l’Ordre des médecins d’autoriser des généralistes à s’installer dans le pôle de santé de cette ville de 5 000 habitants au motif qu’ils y exerceraient aux côtés de sophrologues et d’une psychanalyste, des professions aux pratiques jugées non conventionnelles.
« D'après un rapport récent de juin 2023 sur les dérives de pratiques non conventionnelles, la sophrologie et la psychanalyse n'étant pas assujetties aux professions médicales, elles ne peuvent donc exercer conjointement avec votre activité, y compris avec des salles d'attente séparées », explique ainsi le courriel reçu à la mi-juin par la praticienne qui avait fait sa demande d’installation.
7 000 euros d'investissement
« Jusqu’à l’année dernière, nous avions encore trois médecins en exercice sur la commune. Deux sont partis en retraite bien méritée et la troisième est partie s’installer en région parisienne parce qu’elle ne voulait pas rester seule en cabinet indépendant », développe Dominique Toscani, qui avait anticipé ces départs.
Avec un entrepreneur privé, la municipalité a monté un pôle d’activité, incluant un pôle de santé, au sein duquel exercent en toute harmonie, depuis près de deux ans, quatorze praticiens (kinés, infirmières, sages-femmes… et, donc, sophrologues et psychanalyste).
Le maire avait également prévu des cabinets médicaux avec tout le matériel nécessaire en vue d’éventuelles installations, en prenant la précaution de bien séparer ces salles de consultation médicale de celles des autres praticiens. Coût de l’opération pour la mairie : 7 000 euros. Qui restent, aujourd’hui du moins, investis à fonds perdu.
Deux poids, deux mesures ?
« Nous avons eu la chance de trouver deux femmes généralistes de la région parisienne, de Seine-Saint-Denis et du Val d’Oise, qui souhaitaient intégrer nos cabinets médicaux et pensaient se relayer durant la semaine et répondre ainsi aux besoins de la population. Notre bassin de vie compte environ 12 000 habitants », se désole Dominique Toscani, qui ne s’explique pas pourquoi des professionnels de santé conventionnés, comme des infirmiers ou des kinés, pourraient travailler dans le même lieu qu’un sophrologue alors qu’un médecin, non.
Deux poids, deux mesures ? Ou faut-il voir dans cette décision l'inquiétude de l'Ordre, au niveau national cette fois, vis-à-vis du « développement des pratiques de soins non conventionnelles » ? Le Cnom tirait la sonnette d'alarme face à cette réalité, source de dérives, dans un rapport publié fin juin.
Ce que dit l'Ordre
Hasard de circonstances, la question de la possibilité de partage de locaux entre un médecin et un sophrologue avait été posée l’année dernière au « Quotidien » par un médecin. Maître Maud Geneste, avocate du journal, lui avait en substance ainsi répondu :
« Selon le Conseil national de l’Ordre des médecins, il vous est interdit de partager des locaux avec toute personne exerçant une profession dont les contours sont mal définis et pour lesquels la présence de médecins serait de nature à servir de caution et à entretenir une confusion des patients sur leur champ d’activité. (…). Le Conseil de l’Ordre sanctionne le partage avec des professions "de santé" non réglementées et non soumises à un code de déontologie afin d’éviter le risque de "confusion pour les patients", voire de "déconsidération de l’exercice médical" ».
Demandes d'explications
Il n’empêche, face à ce qu’il considère comme une « absurdité » qui condamne l’accès aux soins de ses administrés, le maire de Bornel demande à rencontrer le Conseil de l’Ordre des médecins pour plaider sa cause.
Et il n’est pas le seul. Depuis plusieurs jours, un député et un sénateur du département, alertés sur la situation, toquent également à la porte de l’institution ordinale afin d’obtenir des explications. Peine perdue. Mais le président du Cdom de l’Oise rentre de congé la semaine prochaine, indique le répondeur de son cabinet de médecine générale…
D’ici là, la borne de téléconsultation installée par Dominique Toscani « permet un peu de répondre, pour l’instant, au manque de médecins. Mais ce n’est bien sûr pas satisfaisant », fulmine le maire, qui n'entend pas en rester là.
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