C’était le 17 janvier dernier. Une jeune collaboratrice libérale est agressée à main armée par trois malfaiteurs dissimulés dans les toilettes de son cabinet aux Mureaux, une zone sensible des Yvelines… Ils s’emparent d’une bien maigre recette : une centaine d’euros à peine. Dix jours s’écoulent avant que, le 28 janvier, un autre jeune médecin soit violemment attaqué à Villetaneuse (Seine-Saint-Denis)… Il repart le nez cassé, sa voiture et son matériel dérobés. Des événements qui interviennent un mois à peine après la mésaventure similaire subie par un confrère du Mans et pourraient bien décourager les jeunes de s’installer dans nos banlieues. Lors du Comité interministériel à la ville, cette semaine, le gouvernement ne s’est pourtant pas beaucoup étendu sur le sujet. Il y a pourtant urgence. Alors, quelles mesures envisager ?
Généraliser le tiers payant dans les quartiers chauds
C’est la dernière suggestion en date de la ministre de la Santé qui s’est récemment exprimée dans ce sens. Une proposition loin de faire l’unanimité auprès des syndicats. Seul MG France pousse à la généralisation du tiers payant le plus vite possible : « La circulation d’argent liquide dirige les regards vers les cabinets des généralistes », souligne son président, Claude Leicher. « Encore faudrait-il que ce soit possible techniquement ! », objecte Michel Chassang. Facile pour les CMU et les patients en ALD, couverts par la Sécu, la généralisation du tiers payant est en effet difficile à mettre en place à cause de la multiplicité des payeurs complémentaires. Le leader de la CSMF qui n’est pas contre « un tiers payant social » voit dans son extension, un risque de mettre les médecins « sous tutelle » de la Sécu. Même opposition du côté du SML où, pour Roger Rua, le paiement à l’acte reste un « frein naturel » à l’explosion des consultations. Si les pouvoirs publics l’encouragent c’est, à ses yeux, pour un « contrôle plus strict sur les actes médicaux », pas pour la sécurité. Selon lui, on en viendrait à remplacer la « relation de confiance médecin-patient » par une « relation de dépendance entre le médecin et la Caisse ». Pour Jean-Paul Hamon, de la FMF, le tiers payant en zone sensible est « efficace ». Néanmoins, condition sine qua non à sa mise en place, il devrait l’être « sur la base du volontariat » et obligatoirement « associé à une avance des frais de la part de la Sécu ».
Dématérialiser les ordonnances sécurisées
Encore plus que l’argent liquide, les ordonnanciers sécurisés qui permettent la délivrance de médicaments du tableau B seraient des objets « très convoités », selon Jean-Paul Hamon. Le généraliste de Clamart pense donc que leur « dématérialisation » pourrait faire baisser le nombre des agressions. Le leader de la Conf’ est sur la même longueur d’onde : « L’ordonnance sécurisée incite au vol et à l’agression ». Pas le président de MG France Pour lui, l’ordonnancier sécurisé ne pose pas problème en soi, les toxicomanes se livrant aujourd’hui au « vol discret » ou encore à la « contrefaçon d’ordonnances » en récupérant les coordonnées du médecin sur Internet ! En outre, le professionnel de santé qui déclarerait le vol de ce type d’ordonnancier bloquerait immédiatement la délivrance de produits toxiques dans les pharmacies. Cependant, à ce jour, beaucoup de documents sont dématérialisés : historique des remboursements, avis d’arrêt maladie, déclaration de médecin traitant, protocole de soins ALD… Pourquoi pas les ordonnances ? C’est une piste très sérieusement évoquée lors de la dernière réunion de l’instance de simplification administrative.
Favoriser l’exercice en groupe avec secrétariat
Et pourquoi ne pas favoriser, par des nouvelles mesures incitatives, l’exercice de groupe d’autant plus qu’il est plébiscité par les jeunes ? Claude Leicher y est plus que favorable et suggère même d’y associer la présence d’un secrétariat médical. Les deux mesures associées auraient une fonction dissuasive. « La présence d’une secrétaire suggère indirectement que le médecin n’est pas tout seul. En outre, elle peut surveiller la salle d’attente et s’assurer que personne n’est dissimulé à l’intérieur du cabinet ou dans les toilettes, comme cela avait été le cas aux Mureaux ». Michel Chassang est cette fois au diapason de son confrère : il est effectivement « plus difficile d’être agressé en exerçant en groupe qu’en exercice isolé ». Mais un secrétariat coûte cher. C’est l’objection de Jean-Paul Hamon qui revendique des « moyens financiers ». Et pourquoi pas à l’occasion de la négociation sur la rémunération de la coordination des soins de proximité censée s’ouvrir avec la CNAMTS ? À moins de tabler sur des crédits du Comité interministériel à la ville qui s’est prononcé mardi pour la multiplication des Maisons et Centres de santé en banlieue.
Autoriser les caméras de vidéosurveillance
Parmi ceux qui penchent pour une approche plus sécuritaire, le patron de la Conf’ réclame que les caméras de vidéosurveillance publiques soient « préférentiellement installées aux abords des maisons médicales de garde et des cabinets ». Les médecins peuvent aussi choisir d’acheter eux-mêmes un équipement. Problème : l’installation de caméras de vidéosurveillance dans une salle d’attente dépend du bon vouloir des préfets… Et les médecins se heurtent parfois à un refus. Pour Michel Chassang c’est « irresponsable ». « Les médecins n’ont pas le droit et les buralistes oui, c’est absurde ! » déplore-t-il. Roger Rua est du même avis : pour lui, le refus des préfets au nom du respect de la vie privée n’est qu’un « prétexte ». « Il y a un moment où il faut choisir entre la sécurité et la liberté et je choisis la sécurité ». D’autant plus que l’installation de ces caméras dans la salle d’attente ferait, selon lui, diminuer significativement la violence verbale : « Les patients en voyant la présence d’une caméra seraient plus calmes ». Seul hic, pointé par Claude Leicher, leur « coût d’investissement ». Mais pour Jean-Paul Hamon, il n’y a pas d’excuses. C’est « à l’Etat, pas au médecin » de les financer. Plus simplement, l’Ordre a demandé aux collectivités locales que les cameras de vidéosurveillance placées sur la voie publique soient orientées, de préférence, en direction des cabinets de façon à englober dans leur champ de vision les entrées et sorties. Pour l’instant, ce n’est pas encore gagné.
Proposer des boîtiers de géolocalisation
Une exception qui pourrait bientôt devenir la règle ? Le département du Val-de-Marne expérimente, depuis le mois dernier, un nouveau dispositif de géolocalisation : une dizaine de médecins d’une association de permanence des soins sont équipés d’un boîtier relié au centre 15. En cas de détresse pendant une visite à domicile, les effecteurs peuvent appuyer sur un bouton situé sur le boîtier et déclencher ainsi un dispositif d’alarme qui leur permettra d’être géolocalisés et entendus grâce à un petit micro. Michel Chassang se félicite de cette initiative : « C’est une très bonne idée », dit-il. Alors que Claude Leicher, qui est plutôt pour des mesures de prévention que pour des mesures sécuritaires, fait valoir que ce « bip de géolocalisation » – tout comme l’accompagnement des médecins par les forces de l’ordre ou les numéros d’appel à dix chiffres – n’empêche pas les agressions. Par ailleurs, la mise en place de ce dispositif, se heurte, en Seine-Saint-Denis, le département le plus touché par les agressions aux médecins, à des contraintes financières. Le dossier patine. Les pouvoirs publics ne se mettent pas d’accord sur qui doit assurer son financement. Son coût n’est pourtant pas si élevé : 200 euros par boîtier et par an.
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