LE QUOTIDIEN – La Mutualité soumet aujourd’hui aux pouvoirs publics un vaste « plan médicament ». Quelles sont vos priorités ?
ÉTIENNE CANIARD – Nous avons été très fortement interpellés par les adhérents et des mutuelles, inquiets à la fois des conséquences de l’affaire du Mediator et du fait qu’une telle situation puisse se renouveler si on ne fait pas une réforme en profondeur. C’est la raison pour laquelle nous avançons des propositions complètes dans quatre directions. La première consiste à remettre de l’ordre dans le rôle de chacun des acteurs. Aujourd’hui, on ne sait pas si les décisions sont prises au nom de la sécurité sanitaire, de la santé publique, d’une politique industrielle ou de l’équilibre des comptes de l’assurance-maladie !
Deuxième dimension : l’autorisation de mise sur le marché. Il faut lui redonner tout son sens. Une AMM doit s’accompagner d’une évaluation du rapport bénéfice/risque et du progrès médical apporté. Nous recommandons par exemple d’arrêter les essais contre placebo. Troisième sujet : tout ce qui touche à l’information et à la formation sur le médicament, qu’il faut distinguer des logiques de publicité. La responsabilité première est dans le désinvestissement de l’État dans des domaines où il n’aurait jamais dû cesser d’exercer ses fonctions. Enfin, dernier champ : la pharmacovigilance, et la nécessité d’impliquer davantage les professionnels, notamment grâce aux dispositifs conventionnels.
Plusieurs de vos préconisations concernent directement les médecins. Vous affirmez que les prescriptions hors AMM, montrées du doigt dans l’affaire Mediator, doivent devenir exceptionnelles…
Nous ne nous plaçons pas dans une logique de stigmatisation des médecins. Mais il faut diminuer les situations dans lesquelles le médecin est soumis à une pression pour prescrire hors AMM. Sur le Mediator, le médecin était pris en tenaille entre la promotion du produit et la demande des patients qui voyaient dans ce produit un médicament miracle pour maigrir. C’est pourquoi nous voulons aussi supprimer la communication directe des laboratoires auprès du grand public sur les médicaments soumis à prescription. Deuxième point : le codage des pathologies devrait être la règle depuis longtemps ! Là encore, il ne s’agit pas de « fliquer » les médecins mais de développer un outil d’analyse des prescriptions. Sans codage, on ne peut pas estimer le taux de prescription hors AMM d’un produit ! Le médecin doit préserver sa liberté de prescription mais avec une décision thérapeutique qui retrouve son sens. Aujourd’hui, il y a trop de brouillage…
Vous recommandez la généralisation de la prescription en DCI. Quel intérêt ?
C’est un moyen de se libérer du poids des marques et un retour à une logique prescriptrice qui s’appuie sur une analyse médicale et pharmacologique. Ce ne sera pas possible dans tous les cas. Mais cela ne doit pas être un prétexte pour freiner la prescription en DCI pour les médicaments les plus courants, faciles à mémoriser. Dans l’affaire du Mediator, la prescription de la molécule, rattachée à une famille de produits, aurait sans doute conduit à se poser quelques questions… Bref, on doit restaurer la part de la lecture critique du médecin.
Une autre suggestion de votre plan est la généralisation les logiciels d’aide à la prescription.
Oui. La HAS a mené des procédures de certification des logiciels d’aide à la prescription qui sont très peu diffusées. Le meilleur moyen serait d’intégrer une contrainte dans le conventionnement permettant la généralisation de ces logiciels. Aujourd’hui, il ne suffit plus de fournir aux professionnels des informations de façon livresque mais de les intégrer aux outils de pratique quotidienne.
En matière de formation continue, vous voulez proscrire le financement des laboratoires. Est-ce réaliste ?
La loi a créé le développement professionnel continu. C’est une bonne occasion de mettre en place un dispositif à l’écart de toutes les influences. On s’interroge toujours sur l’objectivité des informations délivrées, et c’est légitime, mais d’autres questions me semblent plus importantes. Le choix même des thèmes de formation est influencé par le mode de financement par les industriels puisqu’on privilégie des domaines thérapeutiques dans lesquelles les solutions sont médicamenteuses. C’est pareil sur les thèmes d’évaluation des pratiques professionnelles. Il faut que les pouvoirs publics prennent leurs responsabilités, soit par un financement direct immédiat, soit par des mesures indirectes en demandant un financement mutualisé de l’industrie.
Vous voulez que la convention médicale sensibilise les médecins libéraux à la pharmacovigilance, au bon usage du médicament…
La politique de contractualisation avec l’assurance-maladie doit permettre de flécher des priorités. Les dispositifs conventionnels – contrats de bon usage ou contrats sur objectifs de type CAPI – ont intégré des éléments médicoéconomique. Il faut maintenant sensibiliser les professionnels à la pharmacovigilance en leur confiant un rôle actif. Réfléchissons à l’élargissement du champ conventionnel de façon à mieux intégrer les médecins au dispositif de signalement…
La publication par l’AFSSAPS d’une liste de produits « sous surveillance » a introduit beaucoup de confusion. Que pensez-vous de ce type de communication ?
C’était une initiative inappropriée et maladroite. La liste de médicaments sous surveillance amalgamait des situations très différentes et mettait les médecins dans une situation extrêmement difficile vis-à-vis de leurs patients. Il faut informer les médecins avant de parler au public. Cette initiative a conduit à jeter la suspicion sur le médicament en général. N’oublions pas que le médicament est un des éléments majeurs du progrès médical de ces 50 dernières années ! Nous voulons simplement un peu de sélectivité. J’affirme que parmi nos propositions, aucune n’est marquée par un excès du principe de précaution. C’est du bon sens.
Dans un autre registre, les négociations entre les médecins et l’assurance-maladie vont reprendre prochainement. À quelles conditions le secteur optionnel peut-il enfin voir le jour ? On a l’impression que la Mutualité freine toujours…
Soyons clairs. Si ce nouveau secteur permet de retrouver une forme d’opposabilité, après l’intervention des complémentaires, permettant de limiter les restes à charge, il a une chance de voir le jour. Mais s’il s’agit d’accroître la liberté tarifaire, on aura beaucoup de mal à être partie prenante. Je vois deux autres conditions. Il faudra qu’il soit limité à quelques spécialités dans un premier temps. Pas question de poser la généralisation du secteur optionnel comme préalable. Deuxième précaution. Il y a derrière les moyennes de dépassements une extrême hétérogénéité par spécialité et par région. Le secteur optionnel ne peut pas être national, faute de quoi il sera inopérant.
Présenterez-vous une plate-forme « santé » pour 2012 ?
En octobre 2011, nous rendrons public un ensemble de propositions articulées autour d’objectifs partagés et de leviers d’action mobilisant tous les acteurs, y compris la Mutualité.
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