CE N’EST PAS la première fois que des experts s’intéressent aux évolutions de la médecine de ville et écornent, dans une analyse prospective, les piliers de la médecine libérale. Mais le fait que cette étude émane du Centre d’analyse stratégique, une instance qui préfigure, à la demande du Premier ministre, les principales réformes gouvernementales (tout en menant des enquêtes de sa propre initiative), lui donne un relief particulier. D’autant que l’exécutif annonce un remodelage de la médecine de proximité en 2011.
Intitulée « Médecine de ville : quelles pratiques pour quels gains d’efficience ? », cette note d’analyse (1) d’une dizaine de pages tire les leçons d’un contexte nouveau marqué par l’explosion des maladies chroniques, la modification des attentes des patients et des nouvelles générations de médecins, sans oublier les « tensions accrues sur les finances sociales ». Elle s’appuie sur les expérimentations à l’étranger. Son mérite est enfin d’examiner les enjeux (essentiellement) sous l’angle des praticiens puisqu’il paraît difficile de réformer sans l’adhésion du corps médical.
La régulation des dépenses de médecine de ville, insistent les auteurs, est devenue une question stratégique. Le secteur ambulatoire au sens large pèse environ 37 milliards d’euros soit 28 % de la consommation de soins et de biens médicaux, deuxième poste après les soins hospitaliers (voir graphique). Il convient, jugent les experts, d’utiliser plusieurs leviers d’action : l’évolution des pratiques, la participation « active » du patient, pilote de sa santé ; enfin la réorganisation de l’offre de soins primaires, autrement dit la chaîne des soins.
Conseils de prise en charge.
Si l’étude ne condamne pas les instruments mis en place depuis 40 ans pour réguler les dépenses de médecine de ville (action sur les prix, numerus clausus, maîtrise médicalisée négociée dans la convention ou encore objectifs nationaux de dépenses – ONDAM – votés par les parlementaires…), elle dresse un bilan « contrasté » de ces mécanismes.
S’agissant des pratiques médicales, la note souligne le manque d’impact des outils diffusés depuis les références médicales opposables (RMO) en 1993, les accords de bon usage des soins (AcBUS) dès 2000, jusqu’aux recommandations et guides délivrés par la Haute Autorité de santé (HAS) depuis 2004. « Ces dispositifs, bien qu’essentiels voient de fait leur efficacité limitée parce qu’ils n’ont aucune portée impérative », relève l’étude. De là à suggérer des outils plus directifs, il n’y a qu’un pas. La note suggère que le respect des bonnes pratiques médicales (référentiels HAS) soit intégré dans le système contractuel.
La déclinaison d’objectifs individuels et, depuis avril 2009, la mise en place d’un système de rémunération individuel à la performance (CAPI) ont ouvert une voie que le Centre d’analyse stratégique juge prometteuse. Mais les auteurs posent des conditions : fixer le « juste degré d’exigence » des objectifs, accompagner au mieux les médecins et leur permettre d’avoir la vision la plus fine possible de leur patientèle. Dès lors, les experts recommandent de « développer dans un cadre juridique strictement défini, la transmission aux médecins d’informations sur les patients dont dispose l’assurance-maladie ». L’espace professionnel du site ameli de l’assurance-maladie pourrait y contribuer. Ces informations aux médecins, ajoutent les auteurs, pourraient s’accompagner de… « suggestions de prise en charge de la part de l’assurance-maladie ». Pas sûr que la perspective enchante le corps médical.
Tarifs : les ARS s’en mêlent ?
Les auteurs relèvent que les agences régionales de santé (ARS) ne disposent d’aucune prérogative tarifaire. La note remet sur le tapis la question des ORDAM (objectifs régionaux de dépenses d’assurance-maladie pour tenir compte des besoins et spécificités de chaque territoire). Les auteurs jugent surtout nécessaire de donner aux ARS les moyens de payer davantage les médecins, lorsque les conditions de santé publique sont très défavorables ou dans les déserts médicaux. Ce qui signifierait des honoraires « à la carte » avec une vraie autonomie financière des ARS.
L’étude estime que la responsabilisation du patient est un enjeu stratégique. Recherches d’informations sur les sites internet, automédication… : les médecins doivent composer avec des patients « informés ». Les experts estiment que cette évolution de société doit être prise en compte. « Une forme de coaching en santé se fait ressentir (...). Or la consultation ponctuelle au cabinet en face à face avec un médecin ne répond qu’imparfaitement à cette demande », peut-on lire. D’où l’idée, sans entraver le colloque singulier, de développer des sites santé « de référence », de favoriser l’éducation thérapeutique, les programmes ciblés d’accompagnement personnalisé (Sophia pour les personnes diabétiques) et toute forme de démarche active du patient, en particulier préventive. Une piste avancée par les experts serait « l’envoi régulier d’informations personnalisées aux assurés disposant d’un compte ameli », en associant la CNAM, les complémentaires et les syndicats de professionnels. Les experts vont plus loin en matière de responsabilisation des patients. Ils ouvrent le débat du lien entre remboursement intégral de certains examens et respect d’un calendrier identifié.
Développement du rôle infirmier.
En matière de réorganisation des soins de ville enfin, les experts ouvrent trois pistes.
Au chapitre de la coordination, la note considère que les dispositifs apparus depuis quinze ans (réseaux de soins et de santé, puis pôles et maisons de santé) ont montré certaines limites et invitent à aller « plus loin en repensant la répartition des compétences ». La note renvoie à une étude de l’OCDE montrant l’intérêt de renforcer le développement de rôles infirmiers « plus avancés ». Mais des protocoles à grande échelle supposent d’assouplir le cadre juridique, de compléter les formations, de prévoir les rémunérations.
Autre idée iconoclaste du Centre d’analyse stratégique : la création d’un « premier niveau de réponse dématérialisé », sur le modèle du NHS Direct (service public de santé en ligne proposé par le système de santé britannique avec des conseils, fiches pratiques, séquences vidéo…). Ce premier niveau est censé opérer un tri entre les demandes de conseils et celles qui nécessitent une prise en charge médicale. Un outil
« prometteur » aux yeux des auteurs, mais qui pose des difficultés techniques et éthiques notamment.
Enfin, les experts évoquent sans surprise la généralisation des outils de télémédecine et télésanté. Un décret récent (octobre 2010) encadre ces pratiques. Mais attention, prévient-on : ces innovations ne seront « pas systématiquement » source d’économies.
(1) Centre d’analyse stratégique, note d’analyse n°204 (décembre 2010). www.strategie.gouv.fr
« Médecine de ville : quelles pratiques pour quels gains d’efficience ? », Virginie Gimbert et Sylvie Lemoine, département des Questions sociales.
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