Voilà qui n'est pas banal ! À 53 ans, le Dr Laurent Moisant, généraliste libéral installé à Argentan (Orne), également maître de stage, est un des très rares médecins à défendre ouvertement une dose de contrainte à l'installation (limitée dans le temps et avec contreparties) dans les zones sous-médicalisées. Entretien sans fard.
LE QUOTIDIEN : La liberté d'installation est l'un des piliers de la médecine libérale. Faut-il la remettre en cause ?
DR LAURENT MOISANT : J'exerce dans l'Orne, un département touché de plein fouet par la désertification médicale. Depuis mon installation en 1996, je constate que les petites villes rurales et semi-rurales se désertifient. Dans ces zones, les médecins partant à la retraite ne sont pas remplacés, comme c'est le cas de ma commune. Nous étions douze médecins. Dans trois ans, nous ne serons plus que cinq !
Malgré les mesures incitatives mises en place ces dernières années, de plus en plus de patients n'ont plus de médecins traitants. La répartition des praticiens sur le territoire n'est plus du tout harmonieuse. Il y a des régions surdotées, là où il fait beau, le Sud, les grandes agglomérations, et d'autres territoires extrêmement sous dotés. Il y a donc urgence à changer de méthode car des secteurs entiers ne sont plus couverts par l'offre de soins.
Mais souhaitez-vous la fin de la liberté d'installation en ville ?
Non. Mais je propose de contraindre l'installation pendant cinq ans dans certains territoires déficitaires avec, en contrepartie, des avantages fiscaux ou des exonérations de charges pendant les trois premières années. Après cette période de cinq ans, si la répartition des praticiens sur le territoire se fait de façon plus équilibrée, on met fin à cette contrainte à l'installation...
Je précise que ce n'est pas ma seule proposition pour lutter contre la désertification médicale. Je préconise aussi que les internes fassent trois ou quatre ans maximum de remplacement, le temps de bien apprendre leur métier, sur n'importe quel territoire. Autre idée : augmenter progressivement le numerus clausus de 25 %.
Mais comment voulez-vous définir ces territoires sous dotés où il faudrait contraindre les installations ?
Je ferai une carte sanitaire en adaptant le nombre de médecins au bassin de population. Par exemple, pour une ville de 15 000 habitants, il faut 10 médecins généralistes. S'il n'y en a que cinq, il faut nécessairement cinq nouveaux postes à pourvoir. Je fais une sorte de numerus clausus à l'installation à l'instar de certaines professions réglementées comme les pharmaciens d'officine. Ces derniers ne sont autorisés à reprendre une officine qu'en fonction d'un bassin de population.
La coercition ne risque-t-elle pas de faire fuir vos jeunes confrères ?
Dans les professions qui sont "verrouillées", comme les pharmaciens d'officine ou les notaires, il n'y a pas moins d'étudiants à postuler ! Je suis persuadé que si les règles du jeu sont connues dès le départ, les jeunes continueront à faire médecine. Je fais le pari qu'en contraignant les installations pendant cinq ans, les médecins déjà implantés avec leur clientèle pourraient aussi choisir de rester.
Pourquoi cette solution n'est-elle pas adoptée par les pouvoirs publics ?
Je ne prétends pas avoir la baguette magique. Les pouvoirs politiques successifs sont conscients des problèmes mais ils n'osent pas appliquer la contrainte car ils ne veulent pas vexer les médecins qui sont des votants. Je sais que ma proposition ne va pas plaire à mes confrères. Mais je ne suis pas le seul médecin à le penser !
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