LE QUOTIDIEN : Pourquoi avoir réalisé cette enquête sur les conditions de travail des médecins libéraux franciliens ?
Dr VALÉRIE BRIOLE : On ressent, à travers les échanges avec les confrères sur la vie professionnelle, une dégradation des conditions d'exercice vraiment claire. Les médecins ont l'impression d'être surchargés, pressurisés et aussi un peu malmenés et dérangés dans leur exercice et pendant leur temps de consultation. Il faut corriger cette situation qui engendre une mauvaise perception : les jeunes en formation ont l'impression que ces phénomènes sont beaucoup plus importants en ville qu'à l'hôpital, et cela peut être un frein à leur engagement dans un exercice libéral.
Les médecins franciliens évaluent à 6,2/10 leur qualité de vie au travail et estiment que l'administratif prend trop de place. Quelle est votre analyse ?
Dans notre enquête, les médecins déclarent passer en moyenne cinq heures par semaine à des tâches administratives, mais je pense que cela a été sous-estimé : en réalité cela doit être plus entre cinq et dix heures hebdomadaires. L'administratif nous freine. Je le constate dans le cadre de ma consultation : il y a le temps passé au médical « pur » et tout le reste ! Les certificats, le remplissage de formulaires parfois complexes comme les accidents du travail mais aussi, en fin de journée, le temps comptable, la télétransmission, le rappel de patients ou la lecture des courriers de confrères et des examens complémentaires, tout cela prend beaucoup de temps. Chez les médecins qui ont un secrétariat, cette charge est sûrement réduite, mais en France, il y a en moyenne seulement 0,3 ETP par médecin.
Quelles autres leçons tirez-vous de cette enquête ?
Les conditions de travail se sont dégradées. Ce qui saute aux yeux, c'est le temps de travail. Beaucoup de gens pensent que les émoluments des médecins en France sont confortables par rapport à d'autres professions, mais ils ne regardent pas la durée de travail : pour la moitié des médecins interrogés, il est de plus de 45 heures par semaine ! Et 50 % mentionnent que leur rythme de travail s'est accéléré. 60 % n'ont pas le temps de se restaurer, 77 % considèrent que leur charge de travail est trop importante et 84 % que la gestion administrative est une source de stress.
Là encore, je le constate personnellement : le petit temps que j'avais prévu pour déjeuner se réduit. Désormais, je mange rapidement entre deux consultations, je commence de plus en plus tôt et finis de plus en plus tard. Il y a un problème de considération, parfois on a l'impression d'être devenu un bien de consommation et cela peine beaucoup les médecins.
Quid des autres irritants, comme les rendez-vous non honorés ou l'insécurité ?
Nous n'avons pas orienté notre enquête sur ces rendez-vous non honorés, mais on sait que cela pénalise le patient, la démarche diagnostique et le médecin. Certains généralistes en ont quatre à six par jour ! En 2015, nous avions mené une enquête auprès de 2 800 médecins, qui montrait qu'en moyenne les médecins perdaient 40 minutes par jour à cause de ces « lapins ». 71 % des médecins constataient au moins un à deux rendez-vous par jour non honorés.
Quant à l'insécurité, elle reste source de stress au travail pour 30 % des médecins interrogés. La semaine dernière, un élu de l'URPS Île-de-France s'est fait agresser, dans son cabinet de Créteil, par deux individus qui l'ont étranglé ! C'est très inquiétant. Nous attendons les chiffres de l'Ordre sur les violences faites aux médecins pour voir s'il y a une réelle hausse.
Quelles mesures l'URPS compte-t-elle mettre en place ?
Nous avons une commission qui planche sur les conditions de travail et nous lançons une enquête sur les dix « tracasseries » les plus embêtantes, sur lesquelles on pourrait agir. Il y a une forte demande sur les délégations de tâches, qui doivent porter sur l'administratif, plutôt que sur la prise des constantes qui nous aident dans le diagnostic et doivent rester du temps médical. C'est d'ailleurs l'un des écueils du dispositif des assistants médicaux. En Île-de-France, seulement 400 contrats ont été signés, cela ne va pas changer la vie des 20 000 médecins de la région… Nous préférerions une super secrétaire médicale, qui puisse gérer tous les petits tracas polluant notre exercice quotidien et nous empêchant d'être plus efficients.
Par ailleurs, nous rencontrons régulièrement l'URPS infirmiers pour voir comment mieux s'organiser. Les médecins franciliens ont de plus en plus de mal à faire des visites et perdent beaucoup de temps en trajet. Ils pourraient faire de la télé-expertise, en jonction avec des infirmières libérales. Cela permettrait de maintenir plus longtemps à domicile des personnes dépendantes et d'éviter un passage aux urgences. Enfin, nous plaidons toujours pour davantage de facilités de stationnement.
La région est le premier désert médical de France. Quelle est la situation sur le terrain ?
Les tensions sont là, nous recevons tous les jours des témoignages. En mars, une personne a attendu 11 heures aux urgences et elle est décédée avant d'être prise en charge dans les Yvelines. À Noël, toutes les lignes de garde n'avaient pu être remplies. Nous avons des alertes sur les sept départements concernant la permanence des soins, les listes de garde ne sont pas pourvues. Et quand on se retrouve à Paris avec trois régulateurs au lieu de quatre, avec des temps d'attente qui atteignent 45 mn, il y a de sérieux risques de perte de chance. Les cliniques fonctionnent aussi à flux tendu. En 2017, des centres d'urgences privés ont été fermés par l'ARS, qui considérait que leur file active était trop faible. Il faudrait équilibrer l'afflux des patients entre les services d'urgences publics et privés pour que cela fonctionne mieux.
Comment passer le cap de l'été ?
En s'appuyant sur tous les médecins de ville ! Les CPTS sont un levier mais elles ne regroupent que 20 à 30 % des médecins généralistes. Une mesure opérationnelle rapide est le cumul emploi retraite facilité, en supprimant la cotisation retraite des médecins qui reprennent du service. Cette solution avait été mise en place pendant le Covid et a permis le retour de 500 médecins retraités en 2020, puis en 2021 !
Les 15 euros prévus en plus par consultation pour prendre des patients régulés sont encourageants. Cela permettra de développer les services d'accès aux soins qui sont en expérimentation – celui de Seine-et-Marne fonctionne, celui de Paris est en attente d'un feu vert. Ce qui bloquait était justement la rémunération des effecteurs. Mais devons savoir exactement quand un appel régulé du Samu pourra déclencher cette majoration annoncée de 15 euros, pour relayer l'information. Les médecins ne s'engageront pas s'ils n'ont pas de réponse claire.
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