LE QUOTIDIEN : Vous défendez un tiers payant « généralisable » et non généralisé. Est-ce à dire que vous reviendrez sur l'obligation de la loi Touraine ?
EMMANUEL MACRON : Il faut revenir aux sources du tiers payant : à l’origine, cette demande émanait de médecins qui souhaitaient dispenser d’avance de frais l’intégralité ou une partie de leurs patients sans conditions. La réponse politique qui a été donnée, à savoir la généralisation pour tous, est donc allée au-delà de cette demande. Elle a créé des tensions fortes avec les professionnels dans la mesure où la faisabilité du dispositif de tiers payant intégral n’a pas été démontrée en amont.
Vous souhaitez doubler, voire tripler, le nombre de maisons de santé. A l’heure où les jeunes médecins privilégient le salariat, pourquoi ne pas faire le pari des centres de santé ?
Je n’oppose pas maisons de santé et centres de santé. Ces derniers ont toute leur place dans une offre de soins que nous souhaitons mieux répartie sur le territoire, aussi nous les accompagnerons dans leur développement et leurs missions. Volontiers périurbains, ils jouent par ailleurs un rôle tout à fait essentiel dans la prévention ou le suivi médico-social. Pour lutter efficacement contre les déserts médicaux, je fais le choix d’une méthode adaptée aux enjeux propres à chaque territoire. Si des professionnels de santé aspirent à travailler ensemble dans une structure leur permettant d’assurer leurs missions dans de meilleures conditions, sans autre ambition que celle de parvenir à bien soigner leurs très nombreux patients, nous répondrons présent. S’ils souhaitent, en plus, disposer de dispositifs de télémédecine, ou téléexpertise, nous répondrons présent. S’ils souhaitent adopter un modèle de financement mixte, au parcours, au forfait, nous répondrons présent. Il n’y a pas de martingale pour lutter efficacement contre les déserts médicaux, mais un engagement de tous les instants, à l’écoute des projets des professionnels concernés. C’est cela, ma philosophie.
Jusqu'où voulez-vous développer les pratiques avancées des paramédicaux et les nouveaux métiers de santé ?
J’engagerai un dialogue constructif avec les professionnels concernés, pour faire évoluer les métiers de la santé. Cette question ne sera plus abordée acte par acte. On peut comprendre qu’un médecin soit réticent à déléguer des actes plutôt techniques, courts, qui compensent dans son exercice quotidien des consultations longues et complexes, valorisées au même tarif. J’engagerai donc avec les professionnels une large réflexion sur les compétences dans le domaine de la santé, et je soutiendrai des expérimentations dans les territoires, à leur initiative. Nous renforcerons par ailleurs l’accès au doctorat à des professionnels paramédicaux pour développer la recherche et harmoniser les pratiques.
Vous souhaitez déverrouiller massivement la télémédecine. Comment ?
L’innovation en la matière n’est pas tellement la télémédecine elle-même, qui se développe depuis des années dans de nombreux pays… L’innovation, ce serait de financer la télémédecine ! Il faut donc soutenir et accompagner activement les professionnels qui souhaitent s’engager dans cette voie.
Pour lutter contre les discriminations, vous voulez systématiser les politiques de testing. Etes-vous favorable à cette pratique dans les cabinets médicaux pour combattre certains refus de soins ?
Je fais de la lutte contre les inégalités de santé une priorité. A ce titre, il n’est pas acceptable que des usagers ne puissent faire valoir leur droit au libre choix parce qu’ils ne pourraient pas payer. Donc oui, je veux lutter résolument contre ce qui s’apparente à une discrimination insupportable.
Vous souhaitez créer, pour les 40 000 étudiants en santé, un service sanitaire de trois mois dans les écoles et les entreprises pour y faire du dépistage, de la prévention et de la sensibilisation. Seront-ils assez compétents pour cette mission ?
Ils ne réaliseront pas d’actes de soins, mais feront uniquement de la prévention. Ce service sanitaire, c’est l’assurance que les jeunes professionnels en formation seront sensibilisés aux enjeux de la prévention et de l’éducation thérapeutique. La révolution de la prévention que je souhaite réaliser ne doit pas se faire sans les professionnels, mais avec eux. A chaque fois que les médecins ont été laissés de côté, cela n’a pas fonctionné.
La "révolution de la prévention" que vous préconisez n'exige-t-elle pas une nette revalorisation des consultations en médecine de ville ?
La première révolution en matière de prévention, c’est reconnaitre qu’il vaut mieux investir un euro aujourd’hui dans le préventif que cinq euros demain dans le curatif. Est-ce que cela aura un coût ? Bien sûr, mais au final, nous serons tous gagnants. La prévention prend du temps, l’éducation thérapeutique aussi : nous diversifierons donc les modes de rémunération en ville, de financement en établissement, pour atteindre cet objectif.
Vous évoquez un plan d’investissement de 5 milliards d'euros dans la santé. Quels en seront les axes prioritaires ?
Ce plan d’investissement de 5 milliards visera essentiellement à moderniser l’hôpital, à développer la recherche interventionnelle, à soutenir les innovations organisationnelles en ville mais aussi en établissement de santé et à améliorer la qualité des soins de santé. Cela devrait aussi nous permettre de rattraper notre retard en matière de dispositifs médicaux, de systèmes d’information, de télémédecine.
Reviendrez-vous sur les 35 heures à l'hôpital ?
L’attractivité des carrières et des conditions de travail à l’hôpital justifie qu’on fasse évoluer les missions et leur valorisation, dans un cadre toujours sécurisé nationalement. Conférer davantage d’autonomie aux établissements pour recruter et conforter les équipes médicales et soignantes, développer une gestion prévisionnelle des emplois et carrières, renforcer les conditions d’accueil des jeunes, voilà les enjeux aujourd’hui. Quoi qu’on puisse penser par ailleurs de la mise en place de la réduction du temps de travail à l’hôpital et de son impact sur les organisations. Sur ce sujet précis, j’engagerai une concertration large dès le début du quiquennat pour une réforme en profondeur de l’hôpital : gouvernance, organisation et mode de tarification.
Vous fixez l'objectif d'un remboursement à 100 % des soins dentaires, optiques et d’audioprothèses, sans augmenter le prix des mutuelles. Comment procéderez-vous ? Croyez-vous aux réseaux de soins pilotés par les complémentaires et incluant des médecins ?
Le reste à charge des ménages pour les lunettes et les prothèses dentaires et audio, devra être progressivement supprimé, avec un objectif de prise en charge à 100 % d’ici 2022. Nous réaliserons cet objectif sans augmenter le prix des mutuelles. Pour cela, nous favoriserons la concurrence, en instaurant notamment trois contrats types que devront proposer assureurs et mutuelles pour garantir la transparence et faciliter les comparaisons. Plus généralement, les complémentaires santé ont vocation à prendre une part active à la révolution de la prévention, mais je ne suis pas favorable aux réseaux de soins incluant des médecins.
Rétablirez-vous le remboursement à 100 % du traitement des formes sévères d’hypertension artérielle (HTA) ?
Cette mesure de santé publique serait un juste retour des choses après que François Fillon l’a supprimée. Il existe de nombreuses publications scientifiques et revendications de collectifs d’usagers en ce sens. Cette mesure fait actuellement l'objet d'une expertise indépendante. Elle pourra être modifiée à la lumière des résultats de cette expertise.
Vous président, les médecins ayant fait un clinicat ou un assistanat pourront-ils toujours bénéficier du secteur 2 ?
Oui, ils le pourront toujours. Par ailleurs, les compléments d’honoraires des professionnels devront être mieux couverts, dans un cadre contractuel apaisé.
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