Source de crainte et d’appréhension, la certification périodique est entrée en vigueur au 1er janvier 2023. Du moins sur le papier, car le chantier d’ampleur – qui impose notamment la lourde tâche de rédiger un référentiel pour chaque spécialité – prend du retard. À date, ni les programmes d’actions pour les 44 spécialités, ni la plateforme qui doit recenser les compétences de chaque médecin ne sont prêts.
Pourtant, l’enjeu n'est pas mince. Car si l'obligation de certification n’est pas remplie « cela entraîne ipso facto le passage en insuffisance professionnelle, et théoriquement une interdiction d’exercice », souligne le Pr Olivier Goëau-Brissonnière, président de la Fédération des spécialités médicales (FSM), invité à détailler les enjeux de la certification périodique lors du 16e congrès de la médecine générale (CMGF), qui s'est tenu fin mars à Paris.
Éviter la superposition
Votée en 2019 pour « maintenir les compétences des professionnels de santé et la qualité des soins », rappelle Marie Daudé, directrice générale de l'offre de soins (DGOS, ministère), la certification périodique s’impose à tous – généralistes et spécialistes, en libéral ou à l'hôpital. Dès sa première inscription à l’Ordre, le praticien aura six ans pour remplir les actions exigées par le référentiel de sa spécialité. Une durée étendue à neuf ans pour les médecins déjà en exercice au 1er janvier 2023. « Donc ceux qui vont bientôt partir à la retraite pourront y échapper… », sourit le Pr Paul Frappé, président du Collège de médecine générale (CMG), chargé d’élaborer les référentiels de cette spécialité.
Dans les faits, chaque médecin devra effectuer une poignée d'actions dans quatre grands domaines : amélioration des connaissances, renforcement des pratiques professionnelles, relation avec le patient et prise en charge de sa santé personnelle. « Nous envisageons un minimum de deux actions par bloc, résume Marie Daudé. Comme suivre une action de DPC, faire de la recherche, l’enseignement, travailler en exercice coordonné ou être engagé dans des protocoles de coopération », énumère-t-elle. D’autres actions – comme l’accréditation pour les spécialités à risque, le fait de suivre un congrès ou d’être abonné à une revue médicale – pourraient aussi intégrer ces référentiels, qui restent à écrire.
En somme, « il faut valoriser tout ce que les professionnels font déjà, il n’y aura pas de doublons », assure la directrice générale de l'offre de soins. Un prérequis indispensable pour le Pr Olivier Goëau-Brissonnière car « toutes les spécialités sont quasi-unanimes pour dire qu'il faut éviter la superposition entre certification périodique et obligation triennale de DPC, faute de quoi ça serait mal compris par les confrères ».
En pratique, l’obligation de certification périodique complétera celle de DPC, qui n’est pénalisée par aucune sanction. La « recertification » des médecins avait été évoquée dès 2016 dans la feuille de route de la Grande conférence de santé du Premier ministre de l’époque, Manuel Valls. Un chantier relancé en 2018 par Agnès Buzyn et qui se concrétise aujourd'hui.
« Pas d'usine à gaz ! »
Dans la salle du congrès, les généralistes s’inquiètent du calendrier, alors que le compteur des actions s'est théoriquement déclenché au 1er janvier. « Un décret est en cours au Conseil d’État pour voir comment nous pourront faire valider les formations commencées dès janvier », rassure Marie Daudé. Elle promet une finalisation du dispositif pour « la fin du dernier trimestre 2023 et une mise en vigueur au 1er janvier 2024 ». Pour la médecine générale, le référentiel devrait être ficelé durant l’été.
Si la certification périodique vise à créer un « cercle vertueux pour améliorer la qualité des soins, la relation avec les patients, tout en préservant la qualité de vie du médecin », défend le Pr Goëau-Brissonnière, elle fait craindre le risque d’une strate administrative supplémentaire. « Il ne faut pas que ça devienne une usine à gaz ! », alerte le Pr Paul Frappé, qui plaide pour un système « le plus fluide et le plus passif possible, sans surplus d’énergie pour les médecins ».
Pour cela, le généraliste stéphanois attend beaucoup de la plateforme de certification, qui doit répertorier les comptes individuels des confrères. « Il faut que les actions réalisées soient reconnues sans effort et renseignées automatiquement, sans que le médecin ait à les réinscrire de son propre chef », plaide Paul Frappé. La plateforme numérique est attendue pour début 2024.
Zones d'ombre
Mais trois mois après l’entrée en vigueur théorique de la réforme, des zones d’ombre subsistent. Vers quel référentiel réorienter les généralistes qui exercent la médecine d’urgence, les soins palliatifs, la médecine du sport ou l’addictologie ? « Nous défendons la possibilité, au-delà du diplôme, de pouvoir se certifier dans son exercice réel », avance le Pr Frappé.
Autre point à éclaircir : qu’attendent les autorités sur le dernier item, celui de la santé personnelle du médecin ? « Nous allons être très prudents pour ne pas aller vers la validation d’actions type "papouillothérapie" », insiste avec humour le Pr Frappé. Du coup, faudra-t-il avoir déclaré un médecin traitant ? Préparer sa retraite ? S’être abonné à une salle de sport ? Travailler moins ? Là encore, les référentiels le diront…
Interdiction d'exercice
Individuellement, chaque professionnel sera contrôlé par l'Ordre. Et, à défaut d’avoir réalisé des actions dans les quatre blocs, le médecin pourra être considéré en insuffisance professionnelle. « L’interdiction d'exercice ne devrait pas être immédiate, imagine le Pr Frappé. Mais le médecin devra entrer dans un processus d’accompagnement avec l’Ordre ». Des textes réglementaires sont, là encore, attendus sur le système de sanctions.
« La certification n’est pas une commission de qualification, elle n’est pas là pour dire si vous êtes un bon ou un mauvais médecin mais simplement pour attester que vous êtes engagés dans une démarche qualité », tempère le président du CMG, face à l’inquiétude de ses confrères. Mais à terme, au-delà des sanctions ordinales, l’enjeu pourrait aussi se révéler médico-légal. « Si vous n’avez pas rempli votre certification et que vous êtes mis en cause par un patient, ce défaut pourrait rentrer dans les discussions, avertit le président du CMG. Gardez ça à l’esprit ! ».
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