Est-ce le retour – par la fenêtre du budget de la Sécu – du tiers payant intégral généralisé, tant combattu par la médecine de ville à l'époque de Marisol Touraine ?
Arlésienne depuis l'obligation théorique formulée par la loi Touraine en 2016, le tiers payant est depuis 2017 devenu « généralisable », Agnès Buzyn ayant souhaité calmer le jeu. Mais l'adoption par les députés d'un amendement au PLFSS 2021 fait craindre le retour de la généralisation à marche forcée de la dispense d'avance de frais.
Cet amendement (n° 1333) a été adopté par l’Assemblée nationale, sur avis favorable de la commission et du gouvernement, après l’article 33 du budget de la Sécu. Il généralise le tiers payant « intégral » pour tous les équipements et les soins du panier « 100 % santé » – réforme visant un reste à charge zéro en 2021 pour les prothèses optiques, dentaires et auditives – et le rend obligatoire à partir du 1er janvier 2022 pour les complémentaires santé proposant des contrats responsables.
Véran prêt à discuter avec les complémentaires
Pour la députée Agnès Firmin Le Bodo (Agir, Seine-Maritime), auteur du texte avec son collègue Paul Christophe (Nord), l'échéance de 2022 permettra de « laisser le temps nécessaire aux organismes d’adapter leurs contrats responsables » – des freins techniques subsistant pour aller « au bout » du déploiement du reste à charge zéro.
Le gouvernement soutient cette initiative en faveur d'une obligation de tiers payant intégral dans le cadre de la réforme du reste à charge zéro. « Il faudra que nous en parlions avec les complémentaires (...), la date retenue est de nature à permettre la discussion », a appuyé, prudent, le ministre de la Santé Olivier Véran dans l'Hémicycle. Un autre article, voté dans le PLFSS, avait déjà systématisé le tiers payant obligatoire en cas d'IVG.
Ces échanges, qui n'ont pas mentionné la profession, ont exaspéré le Syndicat des médecins libéraux (SML). La centrale du Dr Philippe Vermesch réaffirme son opposition « totale et sans ambiguïté » à la généralisation du tiers payant obligatoire. « Le PLFSS va permettre aux complémentaires d’agir en dehors des professionnels et d’imposer leur système de tiers payant à travers l'Inter-AMC [association des complémentaires santé pour le tiers payant] », argumente le SML qui, avec plusieurs syndicats, a travaillé à la mise en œuvre d'une autre solution (Paymed) pour sécuriser la rémunération.
L'UNPS veut un accord-cadre
En fin de semaine dernière, c'est l'Union nationale des professionnels de santé (UNPS) qui a alerté sur ce sujet, au nom de la médecine de ville. Elle juge indispensable d'intégrer les libéraux de santé à la gouvernance de tout système de délégation de paiement pour les patients. Et revendique « la liberté de choix de l'environnement de travail en termes d'équipements, de prestataires de services et d'opérateurs ». Impossible à ses yeux si les assureurs sont « les donneurs d'ordres » dans le cadre de l'extension du tiers payant intégral.
Dans ce contexte, l'UNPS réclame une négociation « cadre » tant pour la part assurance-maladie obligatoire (AMO) que pour le volet complémentaire (AMC) autour de plusieurs points : identification des bénéficiaires, normes d'obtention des droits à tiers payant, flux de facturation, garanties de paiement, délais de règlement, indemnités financières de gestion et garanties de confidentialité.
La Mutualité enfonce le clou
Pour marquer d'ores et déjà leur désaccord, les libéraux ont quitté la dernière réunion du comité technique interprofessionnel de modernisation des échanges (COTIP, qui réunit aussi l'assurance-maladie et les complémentaires santé). « Nous avons déposé des amendements auprès du Sénat. Si les choses n'ont pas bougé d'ici à la prochaine réunion du COTIP, dans un mois, nous en tirerons les conséquences », explique le Dr William Joubert, président de l'UNPS.
À l’inverse, la Mutualité française a aussitôt regretté qu'aucune contrainte de tiers payant ne soit formulée directement envers les professionnels de santé et leurs éditeurs de logiciels. À ses yeux, l'amendement en l'état sera inopérant. « La condition sine qua non de la réussite du déploiement du tiers payant demeure l’implication de tous les acteurs concernés qui doivent se voir appliquer les mêmes obligations, estime-t-elle. Les mutuelles et les complémentaires ont tenu les engagements pris en 2016 sur ce sujet. Pour autant, rien ne s’est vraiment passé dans les cabinets médicaux. »
Le Sénat examine à son tour le PLFSS cette semaine.
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