C’EST UN PEU une barbe avec un médecin derrière. Une barbe blanche, fournie, longue, parfois un peu emmêlée, comme on la portait sous la IIIe République. Elle donne à Didier Poupardin, 64 ans au compteur, un petit air d’Abbé Pierre avec lequel le bon docteur partage d’ailleurs un penchant pour la défense des faibles et des opprimés. L’Abbé Pierre s’était rendu célèbre par son discours de l’hiver 54. Didier Poupardin, plus prosaïquement, aura quitté l’anonymat pour n’avoir pas voulu « se soumettre aux diktats des caisses qui veulent m’obliger à découper mes patients en morceaux ». C’est est en effet son refus de se plier à la discipline de l’ordonnancier bizone qui lui vaut d’être poursuivi devant le tribunal des affaires de Sécurité sociale (TASS) par sa CPAM du Val-de-Marne.
Le militantisme dans la peau.
Si « l’affaire Poupardin » est devenue à ce point célèbre que toutes les radios, journaux et télévisions s’en sont largement fait l’écho, ce n’est pas seulement pour avoir illustré une des principales pierres d’achoppement des relations entre les caisses et les médecins. Didier Poupardin le reconnaît d’ailleurs lui-même : « Mon passé de militant m’a aidé dans la médiatisation de cette affaire. Je me suis adressé aux militants associatifs et syndicaux, aux élus, qui ont répondu présents. » Il reconnaît d’ailleurs que son comité de soutien ressemble à s’y méprendre « à la gauche plurielle », étant notamment composé du PS, du PC, des Verts, du NPA (Nouveau parti anticapitaliste) et de Lutte Ouvrière. Il faut dire que ce médecin a le militantisme dans la peau. Un engagement qui saute aux yeux dans la salle d’attente de son cabinet où les informations à caractère médical partagent la vedette avec les affiches du MRAP, de mouvements de défense des sans-papiers, et de partis à la gauche de la gauche. Le mur central déborde même de coupures de presse relatives à son affaire.
Dès son installation en libéral, en 1976, dans ce modeste pavillon de Vitry-sur-Seine (en compagnie de sa femme, médecin généraliste comme lui), Didier Poupardin déclenche les combats militants. Pour la suppression de l’Ordre des médecins, tout d’abord, auquel il reproche notamment de s’opposer à l’avortement et à la contraception. « Ce n’est pas l’institution la plus remarquable pour défendre les patients et les médecins », lance-t-il de sa voix timide. Si bien qu’avec un mouvement de médecins dont il faisait partie, il bataille pour sa dissolution. S’il a bien cru parvenir à ses fins lors de l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981, la désillusion a été cruelle. « Au lieu de dissoudre l’Ordre comme elle l’avait promis, regrette-t-il, la gauche l’a conforté dans ses prérogatives. » L’Ordre poursuit Didier Poupardin et ses amis pour non-paiement de cotisation, et de guerre lasse, il finit par payer. « Aujourd’hui, je suis à jour de mes cotisations », précise-t-il avec un petit sourire en coin. Ce qui n’empêche pas l’Ordre de ne pas le soutenir dans son procès sur le bizone : « Le bizone est un système imposé aux médecins, indique le Dr André Deseur, conseiller national de l’Ordre et chargé de sa communication, et quoiqu’ils en pensent, ils se trouvent dans l’obligation de le respecter, ce qui ne va pas sans difficultés. Je connais bien la problématique pour y être confronté la moitié de la semaine, continue-t-il, mais on ne peut pas soutenir le Dr Poupardin dans le non-respect d’une réglementation en vigueur. » Sous sa casquette de militant du MRAP, Didier Poupardin est également venu en aide à de nombreux sans-papiers. En 1998, alors qu’il réprouve ce type d’action protestataire, les mouvements de défense des sans-papiers lui demandent de surveiller médicalement les grévistes de la faim installés dans des locaux catholiques à Créteil et à Limeil-Brévannes. « Je désapprouvais totalement ce mouvement, se rappelle-t-il, mais ayant été mis devant le fait accompli, j’ai pris mes responsabilités de médecin. Rétrospectivement, je suis très content, parce qu’ils ont tous été régularisés. »
Principe de précaution.
Sur « son affaire », Didier Poupardin est intarissable. « L’ordonnancier bizone a été instauré en 1987, commence-t-il, un brin professoral, et le corps médical de l’époque n’en a pas très bien saisi la portée. On a cru par ce moyen faire des économies, sans réaliser qu’elles se faisaient sur le dos des patients ».
L’affaire démarre en 1999, date à laquelle il est convoqué par sa CPAM pour non-respect de l’ordonnancier. « À l’époque, je m’étais expliqué avec le médecin-conseil et il n’y avait eu aucune suite », se souvient-il. Didier Poupardin continue à exercer « selon les mêmes méthodes, car pour moi il s’agit de l’application d’un principe de précaution ». Il assure d’ailleurs que c’est le médecin qui parle, et non le militant : « Si le patient, faute d’argent, ne prend pas les médicaments inscrits sur la partie basse de l’ordonnancier, et qu’il souffre de complications, c’est un échec pour le médecin, et des dépenses supplémentaires pour les caisses. » Fin 2009, la CPAM remet ça et convoque à nouveau le médecin récalcitrant. « Ils ont épluché mes prescriptions sur un an et ont estimé que je n’avais pas respecté l’ordonnancier bizone pour une cinquantaine de mes patients. » Si le préjudice n’est pas bien gros (2 600 euros, selon la CPAM), la sentence n’en est pas moins sévère. Didier Poupardin écope d’une amende de 4 000 euros, et est en outre renvoyé devant le TASS qui doit statuer aujourd’hui même sur son cas. Mais curieusement, il en voudrait presque plus au CNOM qu’à la CPAM : « Dans cette affaire, l’Ordre est resté silencieux. Depuis, j’ai reçu beaucoup de soutiens de confrères, ainsi que de l’ensemble des politiques du département, mais je n’ai jamais eu celui de l’Ordre. » Parmi ceux qui se sont manifestés, il y a le syndicat MG-France, dont le patron, le Dr Claude Leicher, affiche la couleur : « Didier Poupardin force le respect et l’admiration car il prend des risques personnels importants. Il pousse à son extrême le combat de l’accès aux soins et la démonstration de l’aspect irrationnel du bizone. Il a peut-être commis des entorses au règlement, mais sur le principe, il a entièrement notre soutien. » Il y a aussi le Pr Marc Peschanski, directeur scientifique de l’I?Stem au Genopole d’Evry : « Je n’ai pas le plaisir de connaître le Dr Poupardin, précise-t-il au « Quotidien », et je le regrette car je trouve ce confrère d’un grand courage pour affronter un système qui impose aux médecins de remplacer leur conscience et leur compétence médicale par une analyse strictement comptable. »
Si le TASS condamne Didier Poupardin, il prendra sa retraite « plus vite que ce que prévu, car rien ne me dit que l’année prochaine, ils ne recommenceront pas à me lancer des poursuites. Je n’ai pas envie de travailler pour continuer à enrichir la CPAM », conclut-il avec un bon sourire.
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