De l’aveu même du directeur général de l’Assurance-maladie, l’offre de téléconsultation est devenue en France « un Far West »… Interrogé le 19 septembre par TF1 sur la facilité d’obtenir – en moins de cinq minutes – un arrêt de travail en visio, le DG de la Cnam Thomas Fatôme a concédé qu’il fallait « fixer les nouvelles règles du jeu et avoir un vrai statut des offreurs de téléconsultation, avec des exigences, pour mettre fin au Far West des téléconsultations ».
Une expression qu'a reprise à son compte, deux jours plus tard, l’Union française pour une médecine libre (UFML), taclant au passage la stratégie de l’Assurance-maladie. Selon le syndicat du Dr Jérôme Marty, la Cnam a carrément « fait l’inverse de ce qu’il fallait pour encadrer ce mode d’exercice » à distance.
« Cabines à fric »
En 2021, à la faveur de l’avenant 9, l’Assurance-maladie a certes limité à 20 % le nombre d’actes réalisables à distance pour chaque médecin libéral. Avec un objectif affiché, aussi défendu par l’Ordre des médecins : éviter la pratique exclusive en téléconsultation.
Sauf que, « parallèlement, elle a laissé s’installer des cabines de téléconsultation en de nombreux points du territoire, dans des pharmacies ou d’autres structures et n’a opposé aucune résistance au développement de plateformes commerciales qui ignorent la limitation du nombre d’actes », fustige l’UFML. En effet, la plupart des médecins téléconsultants sur ces plateformes étant salariés – souvent de centre de santé – ils ne sont pas soumis à l’avenant 9, le quota de 20 % ne s’applique pas. De quoi faire prospérer les « cabines à fric », accuse le syndicat du Dr Marty.
Charte pour les entreprises
Interrogée sur l'existence de ce « Far West » aux Contrepoints de la santé le 21 septembre, Marguerite Cazeneuve, directrice déléguée de la Cnam, a adhéré à l’expression mais rappelé que « plus d’un médecin généraliste sur deux utilise la téléconsultation avec son patient ». La directrice déléguée de la Cnam a convenu que la pratique devait « être régulée et servir là où il y a des besoins », citant par exemple les téléconsultations assistées d'infirmières aux urgences ou dans les Ehpad.
L’Assurance-maladie a donc proposé au gouvernement « d’avoir une mesure pour encadrer positivement la téléconsultation, c’est-à-dire une charte sur laquelle on travaille avec les acteurs », résume Marguerite Cazeneuve. Des « règles communes » à destination de ces entreprises devraient voir le jour, « d'abord législatives » puis déclinées « ensuite de façon réglementaire ou conventionnelle », assure Marguerite Cazeneuve. En avril dernier, la Cnam avait déjà publié une charte de bonnes pratiques, cette fois-ci à destination des confrères.
Dérives
Pour « bloquer les plateformes de médecine low cost », l’UFML propose plutôt de « privilégier tout acteur ou structure en capacité de réaliser des téléconsultations auprès d’une patientèle connue par l’effecteur de l’acte ». Le syndicat imagine par exemple qu'en instaurant une obligation « de réalisation d’une borne minimale de 20 ou 30 % de téléconsultations en patientèle médecins traitants », les dérives commerciales seraient étouffées.
En parallèle, l’UFML demande la levée de la limitation des 20 % pour les libéraux qui pratiquent la téléconsultation « sans lien avec des structures commerciales ». Deux pistes présentées le 22 septembre au ministre de la Santé.
Les banques s'y mettent aussi
Cette semaine encore, la CSMF a elle aussi appelé « le gouvernement à réagir » sur les dérives qui, à ses yeux, mettent en péril l'indépendance de la médecine. Dans le viseur de la Confédération cette fois : une initiative annoncée mi-septembre par le Crédit agricole Assurance. Un article des « Échos » avait en effet annoncé que la banque verte allait lancer son propre service de téléconsultation, en partenariat avec Europ Assistance France, dont elle est actionnaire. Le Crédit agricole Assurances souhaiterait, selon l'article, proposer des téléconsultations à tous ses clients, avec notamment des médecins salariés de l’autre côté de l’écran. Cette initiative a suscité une vive réaction de la CSMF. « Il est temps de réagir. La santé est un bien trop précieux pour la laisser à la merci d'intérêts financiers », s’alarmait le Dr Franck Devulder, président de la CSMF, déplorant que « certains aient compris qu'il y avait un business juteux à faire sur le dos des Français ».
Sauf qu’entretemps, le président de la CSMF s’est entretenu avec le directeur des Assurances collectives du Crédit agricole Assurances, Pierre Guillocheau. « C’était un quiproquo, les choses sont apaisées », assure ce dernier « Quotidien », démentant vouloir « privilégier la médecine salariée à la médecine libérale ». La banque a en effet lancé une initiative en juin – « santé et territoires » – pour lutter contre les déserts médicaux. « Nous étudions toutes les solutions possibles, et souhaitons accompagner l’ensemble des professionnels de santé, médecins libéraux, centres de santé ou maisons pluriprofessionnelle et paramédicaux pour s’installer dans les territoires », précise Pierre Guillocheau. Il précise que la banque réfléchit effectivement à « la mise en place de services de type télé-expertise, télésoin ou télécare, en mettant l’accent sur les territoires, souvent sous-dotés, mais tout ne se résume pas à la téléconsultation ». Pour l’heure, le lancement d’une plateforme de téléconsultation est à l’étude mais « aucune solution n'est définie », recadre Pierre Guillocheau. « Nous voulons être des facilitateurs de l’accès au soin, se défend-il, aux côtés de l’ensemble des acteurs du système de santé en France. »
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