XAVIER BERTRAND avait profité de ses vœux à la presse (« le Quotidien » du 27 janvier) pour promettre l’indépendance aux médecins du travail. « Je veillerai à ce qu’il puisse y avoir une nouvelle écriture de la définition de l’indépendance des médecins du travail de façon à ce qu’il n’y ait aucune crainte », avait-il déclaré. Il a été écouté bien au-delà de ses espérances par le Sénat, réuni en séance la semaine dernière pour examiner la proposition de loi rédigée par l’Union centriste à partir des dispositions déjà présentées lors de la réforme des retraites et censurées par le Conseil constitutionnel. L’amendement déposé par le gouvernement, qui rappelle « les conditions d’indépendance professionnelle définies et garanties par la loi », a été adopté. Mais surtout, l’article 3, qui cristallisait toutes les critiques, a été profondément modifié, contre l’avis du ministre du Travail, de l’Emploi et de la Santé et contre celui de la rapporteure centriste du texte, Anne-Marie Payet.
Véritable pierre d’achoppement de la réforme, cet article prévoyait que seul un représentant des employeurs pouvait être élu à la présidence du conseil d’administration des services de santé au travail, qui décide des missions des équipes pluridisciplinaires, et obtenir ainsi une voix prépondérante. Pour la rapporteure Anne-Marie Payet, « la présidence de l’employeur est une façon logique de répondre à l’obligation que lui fait le code du travail, de faire attention à la santé de ses salariés ». L’opposition, en revanche, dénonçait par la voix du sénateur Jean-Pierre Godefroy une mesure inique qui « dépossède les médecins de leurs prérogatives et fonctions et permet aux employeurs de s’exonérer de leurs responsabilités ». Désormais, l’article 3 amendé assure non seulement une représentation paritaire entre employeurs et salariés au sein des services de santé (alors qu’actuellement les salariés ne sont représentés qu’à hauteur d’un tiers) mais il attribue aussi la présidence et la trésorerie en alternance aux représentants des employeurs et des salariés, élus pour un mandat de 3 ans.
« Une avancée significative », pour Marie-Christine Blandin, sénatrice Europe-écologie du Nord, qui a ainsi motivé sa simple abstention lors du vote du texte. Mais qui est loin d’être suffisante. « La cogestion ne garantit pas totalement l’indépendance car le médecin du travail risque d’être noyé dans des missions de prévention, alors qu’il faut préserver celles de verdict ». Le Syndicat national des professionnels de la santé au travail (SNPST) dénonce à son tour un jeu de dupes : « Tant que la structure de décision sera paritaire, les considérations patronales sur la santé de l’entreprise primeront sur la santé des salariés, regrette la présidente Mireille Chevalier. Cela place les médecins du travail dans une situation ambiguë, où ils doivent faire de la veille sanitaire auprès des salariés, tout en aidant l’employeur à gérer les risques », précise-t-elle.
Le vide démographique.
Autre pomme de discorde, le recours à des médecins non spécialisés en médecine du travail ou à des internes pour palier la crise démographique qui touche la profession. Plus de la moitié de 6 500 médecins du travail a en effet plus de 50 ans, et d’ici à 2030, leur nombre risque de fondre à 2 300. « L’Angleterre et l’Allemagne, qui possèdent beaucoup moins de spécialistes que la France, connaissent moins d’accidents du travail, car les généralistes et les réseaux en place sont intégrés à la médecine du travail », défend Anne-Marie Payet. Un contresens pour Marie-Christine Blandin : « De nouvelles problématiques comme la contamination à faible dose exigent une spécialisation avancée, que ne possèdent pas les généralistes. » Mireille Chevallier, elle, n’hésite pas à parler de menace directe : « C’est la négation de notre spécialité, avant sa suppression totale. »
D’autres mesures ont été votées au Sénat, comme l’extension des missions du médecin du travail à la prévention de l’alcool au travail, « sujet tabou en entreprise, pourtant responsable de 20 % des accidents », souligne Anne-Marie Payet. Mais sur tous les articles, le débat fut virulent, la majorité saluant des avancées, l’opposition dénonçant des régressions. Le texte accorde un statut protégé au médecin du travail : « Une rupture de CDD, une fin de contrat, ou un transfert d’un médecin devront être soumis à l’inspecteur du travail, ce qui est un gage d’indépendance », explique Anne-Marie Payet. Faux, répond Mireille Chevalier, lorsque les autres membres de l’équipe pluridisciplinaire ne bénéficient pas de ce statut protégé. « La loi protégera davantage de salariés, y compris les stagiaires, intérimaires, mannequins, intermittents du spectacle », ajoute la rapporteure. « Ce ne sont que des dérogations, qui ne leur assurent pas un suivi de qualité », réplique Marie-Christine Blandin. À l’origine de ces désaccords, on trouve un différent fondamental sur la lettre. Les centristes se sont en effet appuyés, pour la rédaction de la proposition de loi, sur le texte « retraites » issu de la commission mixte paritaire (rassemblant 8 sénateurs et 8 députés), et non sur les conclusions du Sénat, qui prévoyait déjà une présidence tournante des services de santé. Une manœuvre que, à la Chambre haute, l’opposition a ressentie comme « un déni de démocratie », selon les mots d’Annie David, sénatrice communiste.
La proposition de loi doit désormais passer devant l’Assemblée Nationale. La CFE-CGC a déjà appelé les députés à faire preuve du même « courage » que les sénateurs pour « résister au lobbying exercé par les employeurs sur la majorité ». « Nous serons très attentifs aux avis du ministre du Travail, de l’Emploi et de la Santé », a pour sa part assuré Marie-Christine Blandin. Xavier Bertrand avait en effet salué le texte d’ Anne-Marie Payet comme instigateur d’une « politique nouvelle, qui renforçait l’indépendance ».
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