Définies dans la loi Buzyn de 2019, les équipes de soins spécialisés (ESS) sont restées embryonnaires. Relancées — sous forme d'expérimentations — via l'avenant 2 à l'accord conventionnel interpro (ACI) signé fin 2021, elles intéressent toujours les syndicats de spécialistes libéraux, qui comptent sur la prochaine convention médicale pour changer de braquet.
De fait, la loi a retenu une définition générale : une ESS est un regroupement de professionnels de santé autour de médecins spécialistes (d'une ou plusieurs disciplines hors médecine générale) qui exercent de façon coordonnée « avec l'ensemble des acteurs d'un territoire, sur la base d'un projet de santé ». Les ESS contribuent à « la structuration des parcours de santé » et visent à faciliter l’accès aux soins spécialisés, notamment en désenclavant les territoires fragiles. Leurs missions pourront les amener à « organiser de la prévention » ou à « déployer des stages ambulatoires », précise l'avenant à l'accord interpro, qui prévoit « d'identifier les organisations pertinentes et de définir les modes de rémunération ».
Télé-expertise
Reste à traduire ce concept sur le terrain. Signe du manque d'impulsion, une dizaine d'équipes de soins spécialisés seulement existent sur le territoire, souvent portées par des cadres syndicaux engagés. En Île-de-France, deux ESS sont actives, en dermatologie et en cardiologie. Celle de dermato, « la première en France », a été lancée dès 2019 par le Dr Luc Sulimovic, président du syndicat de cette verticalité (SNDV). Elle vise à « fluidifier les parcours de soins en onco-dermatologie » : grâce à la télé-expertise, l'ESS propose du dépistage primaire de cancers de la peau et des RCP d'onco-dermatologie en ligne. Après des débuts en sourdine à cause du Covid, l'équipe d'une soixantaine de dermatologues a réalisé 861 télé-expertises, à la demande de 188 généralistes. 40 % ont abouti à une consultation physique, un quart des télé-expertises ont permis le diagnostic de mélanomes ou carcinomes, et 11 % de lésions précancéreuses. Le délai moyen de réponse est de sept jours pour la télé-expertise et de huit jours ensuite pour une consultation pour un mélanome, bien inférieurs à ceux d'un parcours classique.
En région Paca, le Dr Bruno Perrouty, président des Spécialistes-CSMF, a monté une ESS en neurologie autour de Carpentras (Vaucluse), dont le projet vient d'être validé par l'ARS. Sur un bassin direct de 200 000 patients, les quatre neurologues pourront être contactés par les médecins traitants pour des télé-expertises. « Cela pourra se faire de façon synchrone, par exemple pour un patient en crise épileptique, ou asynchrone, pour une demande de consultation de neurologie sous 48 heures », illustre le Dr Perrouty.
Cahier des charges
Pour aller au-delà de ces initiatives pionnières, cahier des charges et financement pérenne semblent indispensables. « Nous sommes encore sur des fonds FIR de l'agence régionale de santé ou des financements article 51 (sur l'innovation) », pointe le Dr Sulimovic, soulignant la difficulté de salarier « convenablement » des chargés de mission.
Convaincu qu'il faut « un socle » pour assurer un « déploiement national pertinent », le syndicat Avenir Spé vient d'élaborer un cahier des charges d'une cinquantaine de pages, en concertation avec onze spécialités (cardiologie, dermatologie, endocrinologie, pneumologie, rhumatologie, psychiatrie, MPR, ophtalmologie, pédiatrie et chirurgie pédiatrique, gynécologie médicale et obstétricale). Y sont définis le cadre méthodologique, le principe de guichet unique, les missions socles (accès à un avis spécialisé, soins non programmés, expertise à distance, etc.) et optionnelles (santé publique, bonnes pratiques, etc.) mais aussi le dimensionnement, la structure juridique ou le financement. « On ne peut pas mettre tout et n'importe quoi, confie le Dr Patrick Gasser, président d'Avenir Spé. Mais l'objectif est bien de mailler le territoire pour réduire les inégalités territoriales de santé en prêtant attention aux personnes vulnérables ou isolées, et aussi d’apporter une visibilité et une structuration de l’offre de spécialité sur le territoire. » Comme pour les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), les missions des équipes doivent permettre une contractualisation pluriannuelle avec les pouvoirs publics, ouvrant la voie à des ressources pérennes (dotations par mission, financements à l'acte, à la séquence de soins, forfaits coordination voire incitations aux résultats).
La CSMF a travaillé de son côté sur des modèles d'ESS qui seront mis sur la table au moment des négociations, assure le Dr Perrouty. « François Braun nous a déjà dit tout l’intérêt qu’il portait aux expérimentations », assure le neurologue. L'alignement des planètes sera-t-il cette fois au rendez-vous ? « S'il n'y a pas d'équipes de soins spécialisés dans la convention, avertit le Dr Gasser (Avenir Spé), on ne signera pas pour les spécialistes »
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