LES MÉDECINS ont prescrit 76 millions de boîtes de Mediator entre 2000 et 2009. Surtout des généralistes (90 %), mais aussi des endocrinologues (4 %), des médecins hospitaliers (3 %), et d’autres spécialités libérales (3 %). Cinq millions de Français ont pris ce médicament. Autant de personnes qui peuvent être tentées de rechercher la responsabilité de leur prescripteur, qu’ils aient une valvulopathie, ou qu’ils craignent d’en développer une. « A chaque fois qu’un médicament pose problème, le fabricant et le prescripteur sont mis en cause. C’est banal, et cela ne préjuge en rien de la suite », relativise Dominique Martin, le directeur de l’ONIAM (Office national d’indemnisation des accidents médicaux).
Neuf contentieux.
Deux praticiens se trouvent dès à présent sur la sellette. La première affaire est traitée au civil par le TGI de Nanterre. Le patient a dirigé son action contre Servier et l’ONIAM, lequel demande à ce que l’expertise soit étendue au prescripteur. L’expertise ne fait que débuter. Le médecin concerné, un généraliste, est aujourd’hui décédé ; son assureur suit de près le dossier. L’autre affaire se passe en Rhône-Alpes. La patiente invoque l’existence d’une valvulopathie qu’elle impute au Mediator ; sa posologie est progressivement passée d’un à trois comprimés par jour entre 2006 et 2010. Elle a agi devant la CRCI (commission régionale de conciliation et d’indemnisation) et demande réparation au laboratoire et au prescripteur, endocrinologue. L’expertise judiciaire datée de décembre 2010 « montre très clairement (chez cette patiente) le lien entre l’atteinte des valves cardiaques dont elle souffre aujourd’hui et la prise de Mediator », selon le « Figaro » du 4 février 2011 qui a lu les conclusions. La CRCI, jugeant cette expertise incomplète, attend les résultats d’une contre expertise avant de rendre son avis. « On ne peut en tirer quoi que ce soit à ce stade », commente Dominique Martin.
Outre ces deux affaires, l’ONIAM est concerné par un dossier au civil et six dossiers en CRCI. Ces dossiers là étant moins avancés, on ne sait pas encore si les prescripteurs sont ou non mis en cause. Neuf contentieux recensés, « c’est peu », constate le directeur de l’ONIAM. Mais ce n’est à l’évidence qu’un début. Et c’est sans compter toutes les affaires au pénal qui éclosent ici ou là, et pour lesquelles Servier se retournera peut-être contre ceux ayant prescrit hors AMM.
Fin janvier, le ministère de la Justice a diffusé des consignes à tous les parquets de France, afin de faciliter le recueil des plaintes concernant le Mediator. Le Bas-Rhin est le premier département à avoir mis sur pied un dispositif judiciaire d’accueil spécifique. « Nous essayons, par cette démarche inédite, d’anticiper un éventuel tsunami de plaintes et d’être en état d’y faire face », a déclaré le procureur de Strasbourg le 1er février. L’association d’aide aux victimes ACCORD* est associée au dispositif. Sa vice-présidente témoigne : « Nous avons reçu plus de 300 victimes, expose le Pr Marie-France Feuerbach-Steinlé, professeur de droit. Nous les aidons à constituer un dossier médical. Certaines victimes ont été affolées par le courrier de l’AFSSAPS, elles ont juste besoin d’une aide psychologique. Pour le moment, il n’y a pas énormément de plaintes. Celles qui ont été déposées sont tournées contre X, et non contre quelqu’un en particulier ».
Le président d’ACCORD, Me Claude Lienhard, est un habitué des affaires collectives, intervenu dans les dossiers du Mont Saint-Odile et de Sharm el Sheikh. Il s’est passionné pour l’affaire Mediator dès ses débuts avec une poignée d’avocats regroupés en association**. Sans dévoiler sa stratégie d’attaque, Me Lienhard précise : « L’analyse se fait au cas par cas. Nous regardons l’histoire médicale de la personne, sa pathologie, sa prescription. Outre l’Etat et le laboratoire, nous n’excluons pas de mettre en cause les médecins ayant prescrit hors AMM, sauf si le patient ne le veut pas pour raison affective ou personnelle. Soit le produit est seul à l’origine du dommage, soit la prescription a été trop surdosée ou trop longue : l’expert le dira ».
Jurisprudence.
Dans l’attente des expertises, les assureurs se préparent. Pas encore de raz de marée à l’horizon : le Sou médical a ouvert dix dossiers, deux correspondant aux mises en cause de médecins évoquées ci-dessus, et huit autres par anticipation, après l’appel de médecins inquiets. La compagnie incite ses sociétaires à écrire le certificat prouvant qu’ils ont prescrit du Mediator, si les patients en font la demande. Le Mediator a largement été prescrit comme coupe-faim. La jurisprudence a déjà admis des prescriptions hors AMM par le passé (voir ci-dessous), mais qu’en sera-t-il cette fois ci ? Sur son site, le groupe MACSF-Sou médical rappelle qu’une prescription hors AMM, « a priori suspecte », doit répondre à plusieurs conditions pour être considérée comme légitime par les magistrats. Le praticien devra démontrer qu’il a agi conformément à une pratique reconnue, et qu’il était dans l’impossibilité d’utiliser un autre produit disposant d’une AMM. Il devra en outre démontrer le caractère rare et imprévisible de la complication, et prouver qu’il a informé son patient des risques encourus. En conclusion de sa note (rédigée en 2007), la MACSF écrit : « Il est prudent de ne prescrire hors AMM que sur la base d’études validées ; la garantie ne pourrait être acquise si le juge qualifiait la prescription d’acte illégal, ce qui, à notre connaissance, ne s’est jamais produit ». Germain Decroix, juriste à la MACSF, ne se prononce pas dans le cas précis du Mediator : « Je ne sais pas du tout si la responsabilité du prescripteur sera retenue ou pas. Ce sera du cas par cas. Il faut attendre les expertises ». Tout aussi prudent, le DG de la MACSF, Marcel Kahn, complète : « On n’en est qu’au début de l’histoire, ça va être très compliqué. Nous sommes relativement sereins car nos médecins ont le droit de prescrire hors AMM. Nous les soutiendrons. C’est le laboratoire Servier qui est en première ligne ». La MASCF n’exclut pas de modifier ses contrats de RCP à l’avenir. « Je n’ai pas pris la décision d’exclure les prescriptions hors AMM de nos garanties, mais nous allons y réfléchir », indique ainsi Marcel Kahn.
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