LE FONDS public d’indemnisation des victimes du Mediator, c’est le plan B de Xavier Bertrand après l’achoppement des discussions autour d’un fonds Servier, qui exigeait le renoncement à toute action judiciaire. Certaines associations de victimes ont collaboré à la rédaction du projet de loi présenté ce matin en conseil des ministres. Le fonds, piloté par l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (ONIAM), sera mis sur pied à l’automne. Il devrait garantir une indemnisation rapide, en douze mois, des personnes physiquement affectées (HTAp, atteinte valvulaire). Servier sera le principal financeur. Pour Me Hervé Témime, avocat des laboratoires, il est « navrant » que la prise en charge du préjudice « masque la responsabilité des pouvoirs publics, qui est écrasante ».
Ce qui aurait pu se résumer à un jeu de ping-pong entre l’État et Servier, devient une partie de billard à trois bandes. Le week-end dernier, les médecins ont appris qu’ils devraient peut-être eux aussi payer. La version initiale du projet de loi précise : « Pourront être mis en cause, soit par la victime, soit par le producteur de santé mis en cause, les autres acteurs de santé ». Autrement dit les médecins, les pharmaciens... Dimanche, Xavier Bertrand se fait pompier : les médecins ne sont pas visés, promet-il. Les discussions sur le fonctionnement du fonds se poursuivaient en début de semaine. Même si le passage relatif aux médecins est supprimé, l’inquiétude demeure parmi les prescripteurs. « Rien n’empêche tel ou tel patient de mener une action contre son médecin », observe le Dr Claude Leicher, président de MG-France. Aux médecins qui seraient mis en cause pour mise en danger d’autrui, le syndicat de généralistes conseille de se retourner contre le fabricant et l’État. « Le produit a été présenté pour ce qu’il n’était pas. Et l’État n’a pas joué son rôle d’alerte et d’information », détaille le Dr Leicher. Sept omnipraticiens sur dix ont prescrit du Mediator à la fin des années 2000.
Leur mise en cause serait « injuste », estime le Pr Christophe Tribouilloy, cardiologue à Amiens, membre du comité de suivi Mediator, et chargé d’évaluer la toxicité du benfluorex. « Les médecins auraient pu détecter les atteintes valvulaires, ils en avaient les moyens, mais ils n’avaient pas connaissance de la toxicité du produit », précise-t-il. Le Dr Michel Chassang, président de la CSMF, rappelle que « la nocivité supposée du Mediator est due à la molécule elle-même. Qu’elle ait été prescrite hors AMM ou pas ne change rien, les médecins ne sont pas responsables. Mais le sujet reste entier, car qu’est-ce qui va interdire un tribunal de condamner un médecin ? ».
Plusieurs voies de recours, une seule indemnisation.
Trois voies de recours s’offrent aux victimes, outre le fonds d’indemnisation : l’action pénale, l’action civile, et l’action en CRCI. Étant entendu qu’un accident corporel ne peut être indemnisé qu’une fois. Et si les patients décidaient de bouder le fonds ? Une hypothèse que n’exclut pas Me Claude Lienhard, avocat de victimes. « Le fonds, tel qu’il est actuellement prévu, ne garantit pas une réparation intégrale. Son barème n’est pas intéressant. Il n’est pas sûr que la procédure sera contradictoire. Le fonds est adossé à l’ONIAM placé sous la tutelle du ministère de la Santé, lui-même directement impliqué dans l’affaire Mediator. Pour toutes ces raisons, cette proposition est une régression pour les victimes ». Et l’avocat de conclure : « Dans ces conditions, la question d’une poursuite de Servier ou des médecins se pose. Il semble préférable d’aller en justice ».
« Les malades qui veulent agir ne sont pas obligés de saisir le fonds. Ils peuvent agir directement en justice, et mettre en cause qui ils veulent », confirme Nicolas Gombault, directeur du Sou médical. Qui rappelle que les médecins ne fabriquent pas de médicaments, pas plus qu’ils ne sont en charge de la politique du médicament. « La responsabilité du prescripteur nous semble loin d’être démontrée, même hors AMM », dit-il.
Plusieurs médecins sont d’ores et déjà personnellement mis en cause par un patient. D’autres seront peut-être appelés dans la cause par Servier. Pour l’Isoméride, la tactique du laboratoire n’avait pas payé. « Servier avait appelé le médecin dans la cause aux procès des victimes. Le médecin a été mis hors de cause systématiquement », rappelle le Dr Dominique Courtois. Ce chirurgien bordelais préside l’AVIM, l’association de défense des victimes de l’Isoméride et du Mediator. Il gère 2 300 dossiers. Très peu, dans le lot, veulent demander des comptes à leur médecin. « Certains sont même prêts à renoncer à leur indemnisation si cela doit causer des ennuis à leur médecin, dit le Dr Courtois. À part l’absence de la mention NR (non remboursable) sur l’ordonnance (la CNAM aurait engagé près d’une centaine d’actions pour récupérer ses indus), on ne peut pas reprocher grand-chose aux médecins. Il n’est pas question de les faire payer ». L’AVIM conseille aux victimes de saisir le fonds. Pour Me Jean-Michel Charre, qui défend 247 victimes, le fonds est « bidon ». Pour autant, il déconseille à ses clients de poursuivre leur médecin. Sauf exception. « Nous avons besoin des documents médicaux pour monter les dossiers. A leur lecture, il se peut qu’on poursuive tel ou tel qui aurait prescrit du Mediator pour tout n’importe et quoi, par exemple pour une dépression ou des troubles du sommeil – j’ai quatre dossiers de ce genre. La poursuite doit rester l’exception, pas le principe. Même si la prescription était hors AMM. »
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