PARFOIS UN CHIFFRE en dit davantage que des longs discours. Celui-ci vient de sortir des ordinateurs de la Caisse nationale d’assurance-maladie (CNAM) qui mouline, semaine après semaine, la totalité des données de remboursements. Pour l’année 2010, « les dépenses de soins de généralistes [c’est-à-dire les honoraires remboursés puisque les prescriptions sont traitées à part] sont en diminution de 2,3 % », a annoncé la caisse. La tendance n’est pas nouvelle. Mais elle s’accentue. Elle est d’autant plus remarquable que, globalement, les dépenses du secteur des soins de ville du régime général ont progressé de près de 3 % l’an passé (2,6 % exactement corrigé des retards de facturation). Le résultat de la médecine générale contraste surtout avec l’évolution dynamique de beaucoup d’autres postes de dépenses : +6,9 % pour les dispositifs médicaux, +5,7 % pour les auxiliaires médicaux (dont +8,3 % pour les soins infirmiers…), +5,1 % pour les transports sanitaires, +4,4 % pour les indemnités journalières (IJ), +2,3 % pour les dépenses de médicaments mais aussi, dans une moindre mesure, +1,4 % pour les soins de spécialistes, +1 % pour les laboratoires d’analyses médicales ou +1 % pour les établissements. Sans oublier le « bond » du secteur médico-social (+6,5 %).
Après la restructuration des visites, celle des consultations.
Dans un secteur d’activité économique qui – dans l’ensemble – progresse aujourd’hui au rythme tendanciel de 3 % par an, ce qui correspond aux objectifs gouvernementaux (l’ONDAM a été fixé à 3 % en 2010, 2,9 % en 2011 et 2,8 % en 2012), et qui évolue en tout cas plus vite que la croissance, l’« exception » généraliste (-2,3 %) ne passe pas inaperçue. Cette baisse incontestable apporte en tout cas de l’eau au moulin de la discipline dont les représentants expliquent, depuis au moins deux ans, que le poste de la médecine générale libérale est en repli net sous le triple effet d’une démographie déclinante, de la fin de la course aux actes et d’un gel tarifaire prolongé (les effets du C à 23 euros ne seront comptabilisés qu’à partir de 2011).
Du côté de la caisse, la principale explication avancée du résultat 2010 de la médecine générale est le faible contexte épidémique. « Le volume des actes de généralistes est très sensible à la conjoncture épidémique, fait-on valoir. En 2009, il avait progressé de 2,7 % du fait de deux épisodes épidémiques et a contrario, en 2010, il a retrouvé son niveau "hors épidémie" ». De fait, la grippe saisonnière 2010 n’avait atteint le seuil épidémique qu’au cours de la dernière semaine de décembre et n’a donc que peu impacté les remboursements de ce poste en 2010. Mais l’explication est un peu courte.
Mois après mois, toutes les études statistiques montrent que les volumes de soins de médecine générale (C+V), restent très modérés, stables ou en légère régression. En clair, la restructuration de l’activité généraliste (volumes), qui a d’abord concerné les visites à domicile dans la foulée des accords tarifaires de 2002 (C à 20 euros et V à 30 euros), avec des baisses spectaculaires (30 à 50 % selon les régions), n’épargne plus le cœur de l’activité généraliste, c’est-à-dire les consultations. D’autant que, sous l’effet des franchises et de la crise, nombre de patients ont désormais modifié leur mode d’accès à la médecine générale, notamment en regroupant plusieurs motifs de consultations (ou en les retardant au maximum). « On ne voit plus d’enfant avec simplement le nez qui coule. Quand il arrive c’est au stade de l’otite », résume ce généraliste.
Avec un tarif du C figé à 22 euros en 2010, il n’y a pas eu de compensation possible de la baisse du nombre d’actes par l’effet-prix. Quant au CAPI (contrat d’amélioration des pratiques professionnelles), lancé en mai 2009, il n’a pas permis, malgré son succès, de rattrapage significatif des honoraires. Les premières primes sur objectifs ont été versées cet été à 4 000 généralistes pour un montant moyen de 3 000 euros par médecin. Quelque 15 000 CAPI ont été souscrits.
Modération des volumes d’honoraires (chiffre d’affaires), contexte épidémique faible, blocage du tarif de l’acte de base : il n’en fallait pas plus pour aboutir à une baisse du poste généraliste l’an passé. Qui devrait se répercuter sur le bénéfice imposable 2010 (inscrit sur les prochaines déclarations d’impôt). En 2009 déjà, le revenu net du médecin généraliste avait reculé légèrement.
CCAM clinique.
À quelques semaines de la négociation d’une nouvelle convention, ce résultat tombe à point nommé.
« Les généralistes sont en droit de s’interroger sur la volonté réelle de notre pays de sauver la médecine de premier recours dont le coût global ne cesse de diminuer. Le résultat économique et sanitaire de ce désinvestissement est désastreux », accuse MG-France qui appelle de ses vœux un effort massif ciblé sur les soins primaires. Pour son président, le Dr Claude Leicher, cette baisse des dépenses de médecine générale n’est pas une surprise. « L’erreur dramatique a été, à partir de 2007, de mettre l’évolution des honoraires généralistes sous conditions d’objectifs de maîtrise. Ce qui a mis les médecins dans la nasse. » Pour le Dr Michel Combier, président de l’UNOF (généralistes de la CSMF), le chiffre 2010 des dépenses de médecine générale est préoccupant. « Ce métier devient invendable aux jeunes, diagnostique-t-il. Moins de "contacts", moins de recours, des consultations de plus en plus lourdes... Il est urgent de créer une consultation longue en médecine générale, aujourd’hui, on fait du C2 au prix du C. »
Pour les syndicats, cette réorganisation de l’activité rend d’autant plus urgente la réforme de la grille des consultations (CCAM clinique qui ne concerne pas seulement la médecine générale). Le Syndicat des médecins libéraux (SML) a proposé une consultation à forte valeur médicale ajoutée pour accompagner la modération d’activité. Le syndicat suggère la création d’un acte coté 50 euros, comportant un diagnostic clinique, un contenu prévention et des conseils sanitaires.
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