Par le Dr Alain Marié*
SUSPENSION D’AMM et déremboursements sont le plus souvent analysés à l’échelle « macro » (économie, pharmacovigilance, santé publique…). Mais qui se préoccupe des répercussions de ces décisions au niveau du couple « singulier » médecin-patient ? Et pourtant plusieurs témoignages glanés ici ou là nous montrent qu’ils sont déjà considérables, avec pas mal d’agacement et d’incompréhension.
Agacement « d’apprendre presque toujours les mesures à la télévision », de se voir parfois traités d’imbéciles manipulés, de corrompus, « voire de complices d’assassinat ». Les effets de la liste « à la Prévert » (de médicaments sous surveillance) établie à la suite de l’« affaire Mediator » reviennent dans toutes les conversations, les médecins ayant dû gérer beaucoup de craintes et de questions de patients.
Incompréhension aussi car « le mélange d’une recherche prioritaire d’économies et de pharmacovigilance conduit à des décisions incohérentes ». Les « feuilletons » sont également mal perçus comme ceux d’un célèbre antalgique et de la pioglitazone. On sait que l’AMM de cette dernière a été suspendue en France mais pas dans le reste de l’Europe où la pioglitazone est toujours commercialisée. Plus encore, il n’est pas exclu que l’Europe demande à la France de revenir sur sa décision. Entre-temps, les autorités françaises ont déremboursé le produit… quelques mois après la suspension d’AMM.
Dilemme.
Si la pioglitazone revenait sur le marché français, elle rejoindrait le groupe des médicaments toujours commercialisés mais non remboursés pour « rapport bénéfice/risque insuffisant ». Comment expliquer une telle demi-mesure dans des pathologies non anodines comme le diabète ou les troubles du rythme « d’autant que les procédés ne sont pas toujours très transparents » ? Le récent déremboursement du dernier antiarythmique renforce cette incompréhension des prescripteurs.
Même dans des pathologies plus courantes, les généralistes se disent gênés, comme par exemple, le traitement des crampes : « Que vais-je dire à mes patients soulagés par les produits récemment déremboursés ? Qu’ils sont inefficaces et/ou dangereux. Mais alors pourquoi les prescrire non remboursés ? Ne plus les prescrire mais alors que faire, ne rien prescrire ? Plus facile à dire qu’à faire… »
Dernier exemple, celui des anti-arthrosiques d’action lente, l’un étant déremboursé alors que l’autre reste remboursé à 15 %. Là encore les raisons de cette différence de traitement ne sautent pas aux yeux des généralistes. Mais les choses se compliquent encore quand les laboratoires qui commercialisent le produit déremboursé décident de baisser son prix afin de compenser la perte de 15 % de remboursement et du changement de taux de TVA… si bien que le patient débourse un peu moins quand on lui prescrit le produit déremboursé (s’il n’a pas une mutuelle prenant en charge une partie de la prescription !).
On pourrait multiplier les exemples mais arrêtons là, la conclusion revenant à l’un des généralistes rencontrés : « On avait espéré que les agences et l’Evidence Based Medecine allaient simplifier nos pratiques… » C’était oublier que les préoccupations économiques sont au premier plan, que le principe de précaution est mis à toutes les sauces, que la plus grande préoccupation des autorités sanitaires est d’ouvrir le parapluie.
Généralistes agacés et déboussolés, malades pas loin de partager ces sentiments. Tout cela sur fond de chasse aux sorcières… pardon aux « tous pourris » (les experts, les agences, les médecins en général…).
Ayant choisi la presse médicale, ce qui n’est pas un long fleuve tranquille en cette période troublée, je me console en me disant qu’au moins, je n’ai pas à prescrire de médicaments.
* Vice-président de Groupe Profession Santé
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