C'est un terrain miné que l'IGAS vient d'explorer dans un rapport* de 160 pages sur les « réseaux de soins », outil de régulation toujours conflictuel dans la profession.
Après avoir émergé dans les années 90, ces réseaux de professionnels partenaires n’ont décollé qu’au milieu des années 2000 avec la création de vastes plateformes de gestion qui gèrent ces conventions pour le compte de complémentaires santé : CarteBlanche, Istya, Itelis, Kalivia, Santéclair et Sévéane. C'est dans le secteur optique que l'implantation des réseaux est la plus spectaculaire (un tiers des parts de marché en 2016), dans une moindre mesure dans le secteur des aides auditives (20 % du marché) et en dentaire. Sur le papier, 45 millions d'assurés y ont potentiellement accès, ce qui illustre la dimension de ces partenariats (mobilisant chacun plusieurs milliers de professionnels de santé).
Plafonds tarifaires
Le bilan de ces réseaux de soins, dont les médecins ont été exclus à la faveur d'une intense bataille de lobbying et d'un compromis trouvé dans le cadre de la Loi Le Roux (2014), se révèle mitigé.
Côté tarifs, l'IGAS souligne l'impact positif des plateformes. Elle constate un « écart de prix notable, à la baisse, pour les soins ou produits consommés via un réseau » : environ -20 % pour des verres adultes, -10 % pour des montures et jusqu’à -37 % pour certaines références de verre. Dans le secteur des aides auditives, la différence de prix est proche de 10 %. En dentaire les écarts de prix semblent plus modestes. En fixant des plafonds, « les réseaux de soins permettent d’éviter au patient/client des prix excessifs, voire abusifs », résume l'IGAS.
Grâce à cette pression directe sur les coûts mais aussi, parfois, à l'amélioration du remboursement complémentaire dans le cadre des réseaux, le rapport salue l'effet favorable sur l'accès aux soins : -50 % de reste à charge en optique et -20 % en audio. Ces arguments sont souvent mis en avant par les gestionnaires des réseaux qui militent pour leur ouverture à de nouveaux secteurs. Selon l'IGAS, plus de trois quarts des organismes complémentaires interrogés via leurs principaux représentants (FFA pour les assureurs, CTIP pour les institutions de prévoyance, FNMF pour les mutuelles) réclament ainsi une « extension des réseaux à de nouveaux domaines : médecine libérale et hôpital principalement ».
Peu d'indicateurs fiables
En revanche, l'impact des réseaux de soins sur la qualité est « plus difficile à apprécier », observe l'IGAS. De fait, le contrôle exercé par les plateformes se concentre sur les moyens : sélection des professionnels, choix référencé des dispositifs/produits, cahiers des charges, etc. Mais « quant à la qualité finale il est très difficile de porter un jugement faute d'indicateurs fiables », peut-on lire. Pire, la satisfaction des usagers, dont les assureurs se prévalent volontiers, « n’est souvent qu’une impression qui en dit assez peu sur la qualité objective des actes ou des produits ».
Autre bémol : les réseaux accentuent certaines inégalités liées à la couverture complémentaire elle-même. Ainsi, les assurés qui bénéficient des meilleurs contrats sont ceux qui ont le plus accès aux réseaux et donc aux prix préférentiels.
Mais surtout, l'IGAS confirme que les réseaux de soins opèrent une restriction sévère de la liberté de choix et de prescription (sélection de partenaires et de produits, nombre de références, protocoles, fixation de plafonds tarifaires, orientation des usagers), de loin la principale crainte du corps médical. Si cette entrave est modérée du côté des patients (la différenciation de remboursement est loin d’être la norme), la contrainte est plus forte pour les professionnels conventionnés.
La pression est « d’abord financière et économique », les réseaux représentant une part croissante de leur chiffre d’affaires. Elle porte aussi sur « les pratiques et le choix des produits » que les réseaux régulent. Les conventions conclues entre les six plateformes et les professionnels comportent ainsi beaucoup de « clauses contraignantes voire coercitives », note l'IGAS. En définitive, les réseaux « encadrent fortement la relation professionnel de santé/patient et leur liberté respective ». Pas vraiment de quoi rassurer les médecins libéraux...
*« Les réseaux de soins ». N.Durand et Dr J.Emmanuelli (IGAS)
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