LE QUOTIDIEN : Marisol Touraine s’est félicitée d’avoir rétabli les comptes de la Sécurité sociale. Partagez-vous son satisfecit ?
NATHALIE ARTHAUD : Elle a peut-être réduit le déficit, mais en imposant de nombreux sacrifices ! Je dénonce cette façon de penser la santé en termes de "business". La santé devrait être considérée comme un investissement, on devrait se féliciter de son apport à la société plutôt que de s’inquiéter en permanence de son coût. L’équilibre des comptes n’est pas une fin en soi.
Que pensez-vous de la réforme du tiers payant généralisé ?
C’est une avancée sociale mais nous dénonçons la façon dont le gouvernement a voulu l’imposer aux médecins. Avec cette réforme, le gouvernement a voulu à bon compte se refaire une santé de gauche sur le dos des médecins.
Les déserts médicaux avancent. Comment y remédier ?
Je ne suis pas forcément pour la contrainte mais on doit quand même pouvoir s’organiser afin d'assurer l’accès aux soins pour tous. Les maisons de santé peuvent être une réponse. Mais s’il s’avérait impossible d’organiser les choses pour le bien de la population, je serais favorable à des mesures plus contraignantes. Si la liberté d’installation totale nuit à l’accès aux soins, il faut agir. Moi, en tant qu’enseignante, on ne m’a pas demandé mon avis pour ma mutation.
Si vous êtes élue, maintenez-vous une médecine libérale ?
La médecine libérale ne me pose pas de problème ! Mais il faut l’organiser pour qu’elle couvre tout le territoire de façon à ne plus rencontrer les défaillances qu’on connaît. Je suis contre les dépassements d'honoraires, la médecine à deux vitesses me choque. Et je ne comprends pas certains médecins qui estiment qu’on peut soigner ceux qui ont de l’argent, et ne pas soigner ceux qui n’en ont pas.
Vous militez pour une santé gratuite pour tous. Comment financez-vous ?
Il y a de l’argent. Regardez les trusts pharmaceutiques : nous pensons qu’il faut imposer un contrôle sur l’argent gagné par ces entreprises sur le dos de la santé publique. Nous prônons à cet égard la levée du secret des affaires afin d’avoir accès aux comptabilités, et savoir par exemple ce que coûte réellement un nouveau médicament. Le coût de la recherche a bon dos, car elle est en partie payée par l’État via les crédits impôt recherche. Une fois cette transparence assurée, on verra s’il faut aller plus loin avec les laboratoires. Nous sommes partisans de l’expropriation, pour que les profits profitent à tous.
À l’hôpital, vous accusez la tarification à l'activité de tous les maux. Par quoi la remplacez-vous ?
Dire qu’un accouchement vaut tant, ou qu’un cancer vaut tant, me choque. Ce système conduit à choisir les patients. Je n'accepte pas la notion de rentabilité ou de productivité à l’hôpital. À ce rythme, on demandera bientôt aux femmes de faire des gosses en cinq mois… Il faut raisonner en dotation globale, adaptée à la typologie du territoire.
Les suppressions d’emplois et de lits doivent cesser. Il a suffi cet hiver d’une épidémie de grippe pour voir l’hôpital dysfonctionner. Il faut que les soignants aient le temps de soigner, mais aussi celui de souffler, de parler entre eux et d’accompagner les patients. Or ils n’arrêtent pas de courir et n’ont pas le temps de prendre leurs congés. À ce rythme, ils perdent le sens de leur métier, de leur mission.
Est-il juste de payer un interne en médecine qui a Bac +7 moins que le SMIC ?
Je ne trouve pas ça normal, mais je ne trouve pas normal non plus le niveau actuel du SMIC [1 480 euros brut par mois], qui est indécent ! Chacun doit pouvoir vivre dignement de son travail.
Question posée par les lecteurs internautes du « Quotidien »
Pratique libérale : la chirurgie en cabinet, sillon à creuser
Le déconventionnement tombe à l’eau ? Les médecins corses se tournent vers les députés pour se faire entendre
Mélanie Heard (Terra Nova) : « Une adhésion massive des femmes à Kamala Harris pour le droit à l’avortement »
Et les praticiens nucléaires inventèrent la médecine théranostique