Alors que les jeunes ont tendance à bouder l'exercice libéral ou à retarder leur installation – il n'y a plus que 42 % de praticiens libéraux exclusifs, selon l'atlas 2021 de l'Ordre – des juristes se sont penchés sur les causes de cette désaffection, lors d'une journée organisée par des étudiants en droit de la santé et baptisée « SOS médecine libérale ». La charge administrative et les relations avec la Sécurité sociale, réelles ou supposées, jouent toujours un rôle majeur.
Si les installations en libéral ont fléchi de 11 % en dix ans, « l’administratif n'est pas la cause, mais il est l'un des éléments du constat plurifactoriel de la désaffection des jeunes » pour ce mode d'exercice, analyse Bruno Py, professeur de droit privé et de sciences criminelles à l'université de Lorraine. Un autre « fantasme » pèse à l'heure des choix, celui de « la judiciarisation de la médecine », avec la crainte de subir plaintes et contentieux. « Le risque juridique est en réalité très faible », recadre Bruno Py, qui fait valoir qu'aucun médecin n'est « en prison » dans le cadre de son exercice normal.
La forte charge de travail en libéral, qui s'explique en grande partie par la gestion malthusienne des flux de médecins avec le numerus clausus, entre aussi en ligne de compte dans les choix de carrière. Du point de vue « macro », « on est dans la gestion politico-administrative pure, totalement maîtrisée par l'administration, et non pas par la profession, souligne le juriste, conseiller juridique de l'Ordre départemental. Je suis fasciné quand j’entends les politiques se plaindre du manque de médecins, car ce sont eux qui en fixent le nombre. » Dans un contexte de désertification médicale, ces arbitrages peuvent être très mal vécus sur le terrain.
Et du point de vue « micro », c'est toute l'organisation administrative au sein du cabinet qui peut effrayer. « Cette organisation du travail reste malgré tout un choix d'exercice, estime Bruno Py. En revanche la pression de la patientèle peut être un poids, tout comme certaines charges juridiques, par exemple la possibilité d'être désigné comme personne de confiance pour un médecin traitant. On crée une charge supplémentaire pour le médecin, sans l'y former ou le rémunérer pour autant. »
Maillage juridique complexe
Quant aux relations entre les médecins et la Sécu, régies par la convention médicale, elles restent « compliquées », confirme Julien Bourdoiseau, doyen de la faculté de droit de Tours, spécialiste du droit de la protection sociale. « Les médecins libéraux sont parties à la convention médicale et à ses avenants, qui forment un maillage juridique complexe pour qui s’y aventure », ironise-t-il. Ce dernier est de nature à « rebuter » les jeunes qui s’installent. L'apparition des contrats complémentaires responsables et la coexistence de l'assurance-maladie obligatoire et complémentaire, rend ces rapports d’autant moins simples et fluides – les médecins étant « très peu formés » au droit de la Sécu et à son économie.
Et pourtant, au cœur de ces relations conventionnelles se trouvent les honoraires des médecins, que l'État et la Cnam cherchent à maîtriser, tout en accordant des avantages conventionnels en contrepartie des tarifs opposables. « Les autorités redoutent que les médecins optent pour le secteur II », souligne Julien Bourdoiseau. Les caisses ont instauré des leviers de canalisation tarifaire – comme le contrat d'accès aux soins (CAS) puis l'option pratique tarifaire maitrisée (Optam) – mais qui ne sont « pas aussi fructueux qu’espérés ». Tout cela ne facilite pas la visibilité pour des cabinets libéraux sur le plan économique.
Le manque d'évolution de la nomenclature des actes médicaux techniques (CCAM), figée depuis 15 ans, apporte son lot d'incertitude et de frustration. « Aucune refonte n’a été faite, les dépassements sont donc un palliatif pour mieux se rémunérer et couvrir les charges », analyse le juriste. Selon Julien Bourdoiseau, tant que la CCAM technique n’aura pas été « substantiellement revue », « les dépassements seront difficiles à réfréner, sauf à imposer le tiers payant généralisé ». Mais une telle réforme supprimerait « l’un des piliers de la médecine libérale », le paiement direct par le patient, rappelle le doyen de la fac de droit. Au risque d'éloigner davantage les jeunes du libéral ?
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