LE QUOTIDIEN : Vous défendez le remboursement à 100 % des soins par la Sécu, la disparition des complémentaires, le tiers payant intégral, la suppression des franchises… vous voulez raser gratis. Qui paiera, si ce n’est pas le patient ?
PHILIPPE POUTOU : Chacun doit pouvoir accéder aux biens fondamentaux, quels que soient ses revenus et son lieu d’habitation. Les soins doivent être gratuits. C’est le sens des mesures que vous avez rappelées. Il ne s’agit pas de « raser gratis », ni de faire payer les patients, mais de réduire la part des profits, pour augmenter celle des cotisations sociales dites « patronales », et permettre ainsi un financement des soins à 100 % par l’assurance-maladie. Les entreprises du CAC 40 ont dégagé 75 milliards d’euros de profits en 2016, soit 32 % de plus qu’en 2015. Les moyens ne manquent pas, il faut avoir la volonté politique d’imposer un autre partage des richesses. Hollande et Valls ont choisi de réduire de 30 milliards supplémentaires par an les cotisations sociales des employeurs sans le moindre effet sur l’emploi. Il faut commencer par abroger le « pacte de responsabilité », le CICE, et toute forme d’exonération de cotisations sociales mises en place par les gouvernements précédents.
Avec la loi santé, le gouvernement Hollande a tenté de lutter contre les inégalités sociales, d’accès aux soins en mettant notamment en place la complémentaire santé pour tous les travailleurs. Avec succès selon vous ?
La généralisation de la complémentaire santé cherche à rendre acceptable le désengagement et la privatisation de la Sécurité sociale. Elle s’inscrit de ce point de vue parfaitement dans la loi santé dont je défends l’abrogation. Elle a seulement permis une augmentation de 1 % du nombre des salariés couverts par une complémentaire. Ceux des très petites entreprises restent toujours très mal couverts. Quant à ceux qui disposaient déjà d’une complémentaire d’entreprise, les nouveaux contrats au rabais font fréquemment régresser leur protection. Pour conserver les mêmes garanties certains doivent souscrire une surcomplémentaire. Les retraités et les chômeurs sont eux aussi lésés. Le 100 % Sécu est la seule vraie solution.
Vous avez manifesté le 7 mars avec les soignants hospitaliers en colère. Que proposez-vous pour améliorer leurs conditions de travail ?
J’ai entendu beaucoup de colère contre les conditions de travail insupportables, une souffrance au travail dont témoigne la multiplication des suicides, la non-reconnaissance de leur travail, la perte de sens de celui-ci dans un hôpital où la rentabilité devient le maître mot. Quant aux solutions, la première c’est la fin de la contrainte budgétaire insupportable qui pèse sur l’hôpital, et la nécessité de renforcer les effectifs de toutes les catégories. Le plan emploi formation, de 120 000 emplois hospitaliers défendus par plusieurs syndicats permettrait une remise à niveau des effectifs hospitaliers. La pénibilité du travail nécessite le passage immédiat aux 32 heures avec compensation intégrale des effectifs. Enfin il faut en finir avec la gestion d’entreprise, le « management par le stress », la soumission au critère de rentabilité, et abolir la tarification à l’activité.
Pour combattre la désertification médicale en ville, faut-il selon vous supprimer la liberté d’installation ?
L’extension des déserts médicaux montre que le modèle d’une médecine de ville, essentiellement libérale, est à bout de souffle. C’est d’abord vrai pour les malades qui n’accèdent plus aux soins de manière satisfaisante et pour les médecins généralistes, dont l’exercice solitaire et épuisant attire de moins en moins.
Les mesures d’incitation ou les interdictions ne peuvent avoir qu’une portée limitée. Pour moi la véritable solution est dans un autre modèle centré sur le service public, avec comme pivot des centres de santé publics gratuits, répartis sur le territoire en fonction des besoins de la population, avec un personnel médical et paramédical de statut public.
Pourquoi voulez-vous des centres de santé ouverts 24H/24 ?
Le service public ne peut se limiter à l’hôpital, il doit être présent, au plus près de la population, afin d’assurer de manière totalement gratuite l’accueil, les soins ambulatoires et l’orientation vers l’hôpital quand cela est nécessaire. Répondre 24h sur 24, sur le terrain, est la seule manière d’éviter l’afflux vers les urgences de patients n’ayant d’autre solution. Ces centres pluridisciplinaires travailleraient au sein de la population avec les professionnels de la santé, du social, les élus pourraient développer la prévention.
Un médecin généraliste gagne en moyenne 75 000 euros par an (BNC avant impôts, source CARMF 2016). Est-ce une juste rémunération selon vous ?
Un bon revenu, comparé à celui d'un ouvrier ! Mais entièrement justifié par la qualification et les études nécessaires. Je suis par contre opposé au paiement à l'acte et à tous les dépassements d'honoraires : il faut assurer la gratuité aux patients, et une rémunération des médecins intégrant soins, prévention, et formation indépendante des labos.
Les jeunes médecins plébiscitent l’exercice mixte. Mais les charges sociales, les contraintes financières et organisationnelles freinent cette activité. Prendrez-vous des mesures pour simplifier ce type d’exercice ? *
Cela montre que beaucoup de jeunes médecins n'ont rien contre le travail salarié. Et renforce notre proposition d'un service public de santé de proximité. Elle permettrait aux généralistes de se concentrer sur le soin, la prévention, la coordination avec tous les acteurs locaux de santé, et de simplifier aussi la partie gestion administrative.
* Question posée par les lecteurs du « Quotidien »
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