Le rôle essentiel de l’OMS
« Pourquoi l’OMS s’est-elle mobilisée à ce point et comment a-t-elle réussi à convaincre les États ? On sait que toute crise, pour ce type d’institution, est l’occasion de gagner un peu plus de pouvoir. Par ailleurs, il ne lui aurait pas été pardonné de passer à côté d’une pandémie grave. Il y a une vingtaine d’années, l’OMS n’aurait certainement pas réagi aussi fortement. Sa position a commencé à évoluer à l’occasion de la crise du SRAS. La question reste de savoir pourquoi l’OMS, au lieu d’envisager de simples éventualités, a décidé d’anticiper dans la seule voie du catastrophisme. Peut-être ses responsables avaient-ils trop lu les écrits sur la grippe de 1918, avec ses deux phases, l’une, bénigne, à la fin du printemps, l’autre, terriblement mortifère, en octobre-novembre. Ils ont naïvement considéré 1918 comme un modèle. »
Les politiques nationales
« On sent bien que le gouvernement français a tenté de résister à l’OMS, en n’optant pas pour le passage en phase 6. Et puis, à un moment, Paris a fini par suivre le mouvement international. Objectivement, rien ne justifiait un tel choix, sauf la croyance selon laquelle le virus devait muter durant l’hiver. Mais, tous les virologues le savent, les mutations se font dans tous les sens, et pas forcément dans le sens le plus pathogène.
Les politiques nationales se sont déployées avec la hantise de paraître irresponsables en ne voyant rien venir et en n’adoptant aucune mesure prophylactique. Du coup, pour dire simplement la réalité, les pouvoirs publics en ont fait un peu trop. Certes, les gouvernements ont voulu se protéger. L’enjeu politique est majeur. On ne saurait reprocher aux pouvoirs publics d’avoir essayé d’anticiper un événement qui leur était présenté comme ultrasérieux. L’opinion ne pardonne pas les bévues dans le domaine de la santé publique. Voyez le sang contaminé, la canicule, où tout le monde est tombé sur les ministres en place. À l’inverse, dans une affaire comme la vache folle, même en Grande-Bretagne, le coût humain n’a pas été élevé, et l’opinion, malgré le coût économique considérable, n’en a pas fait grief aux gouvernements. Les pouvoirs publics jugent donc à raison qu’ils courent beaucoup moins de risques à surévaluer une crise qu’à la sous-évaluer. Tout pouvoir gagne une meilleure légitimité en se préoccupant de santé publique, c’est que nous appelons la biolégitimité. »
Le mouvement antivaccinatoire
« Contrairement aux pays du nord et aux pays anglo-saxons, la France n’a pas de tradition antivaccinatoire. C’est une particularité historique : les hygiénistes de la fin du XIX e, au nom de la liberté des citoyens, du premier centenaire de la Révolution française, de la République, ont opté pour la stratégie de la conviction et de la vaccination volontaire plutôt que pour celle de l’obligation. C’est la raison pour laquelle la France a été l’un des derniers pays européens à décider la vaccination antivariolique obligatoire en 1902. De ce fait, le mouvement antivaccinatoire n’a pas disposé chez nous d’un terreau propice à son développement. »
Le buzz sur Internet
« Un certain buzz se propage sur l’empoisonnement par le vaccin. C’est un phénomène de longue durée. Dès que vous avez une menace épidémique, vous trouvez quelque part des empoisonneurs. Aussi loin qu’on remonte dans le temps, c’est une récurrence anthropologique, plus ancienne que la théorie du complot. L’opinion est toujours à la recherche du groupe bouc-émissaire et de l’empoisonneur, ou du mauvais il. Parmi les rumeurs les plus constantes, vous avez aussi celle qui recherche à qui profite le crime. Et l’on désigne évidemment les laboratoires. Sans oublier le fait que la pandémie fait diversion par rapport au contexte de la crise économique mondiale. Souvenez-vous de l’apparition du sida et des rumeurs américaines qui ont couru sur un complot du KGB, ou des rumeurs de l’Est sur un complot de la CIA... »
La résistance au vaccin du public...
« Comme la population ne voit toujours rien venir, dès qu’un mort survient, la nouvelle lui en est assénée pendant trois jours. Mais, comme on doit ajouter que la victime souffrait de facteurs de risques, on détruit le message et on aboutit à faire passer dans l’opinion le message inverse, à savoir : il n’existe pas actuellement de réelle mortalité par grippe A. Cette impression d’absence de risque, conjuguée au malaise sur l’existence d’un vaccin plus sécurisé réservé à certains, sans oublier la rumeur selon laquelle le vaccin contre la grippe saisonnière serait aussi un peu protecteur contre la grippe A, tout cela concourt à un rejet populaire massif du vaccin pandémique. »
...Et celle du corps médical
« Sauf si une épidémie galopante et très mortifère démarre le mois prochain, jusqu’à présent, c’est la population et le corps médical au premier chef, qui a fait acte de sagesse en ne se précipitant pas pour se faire vacciner. Ce comportement ne saurait être qualifié d’irrationnel. Certes, on peut dire que les médecins qui refusent le vaccin sont imprévoyants. Mais l’imprévoyance se calcule par rapport à un risque mesuré et perçu. Et ce risque, pour le moment, personne ne le juge majeur. D’autre part, les médecins disposent maintenant du recul suffisant pour évaluer les événements épidémiques dans l’hémisphère sud ; la mortalité y a été limitée dans ces pays pauvres. Sauf mutation du virus, ils imaginent, en toute logique, qu’elle sera bien moindre chez nous. Donc la stricte logique, avec tous les éléments que nous avons détaillés, conduit au rejet actuel du vaccin. Cela paraît frappé au coin du bon sens.
De surcroît, le monde médical, qui se pique d’être mieux informé que le grand public, s’interroge sur les limites du vaccin en termes de rapidité de fabrication et de dérogation dans les procédures d’autorisation de mise sur le marché ; cela a énormément choqué les médecins qui, dans l’ensemble, ont la conviction que faire un vaccin dans l’urgence, c’est faire un vaccin de moins bonne qualité et plus dangereux, même si la preuve du contraire leur est apportée. Le simple fait qu’il existe un super-vaccin, le vaccin sans adjuvant, ne peut que conforter cette opinion. »
Le rôle des médias
« Sans doute se laissent-ils manipuler ou utiliser un peu par les pouvoirs publics, mais s’ils estiment qu’il y a un danger, c’est normal. L’information n’est cependant pas impeccable. Quand la ministre annonce avec tambours et trompettes que la pandémie est arrivée en France et que, pendant les trois semaines qui suivent, vous comptez cinq décès, il y a évidemment un problème. D’autre part, en l’absence d’analyse virologique, on surestime probablement de manière massive le nombre actuel de cas réels de grippe A. Tout cela me rend quelque peu pessimiste quant à la possibilité d’entretenir des relations saines, dans la transparence et la clarté, entre un gouvernement et une population en période pandémique. »
Le risque de panique
« Tant que l’épidémie reste à bas bruit et que l’on n’a pas une centaine de morts par semaine, les gymnases des centres de vaccination seront déserts. Mais si jamais le seuil de panique est subitement dépassé, à partir du moment où l’opinion jugera que le risque de ne pas être vacciné est supérieur à celui d’être vacciné, on assistera à une ruée massive sur le vaccin, avec un séquençage social, les élites suivant alors le mouvement déclenché dans les classes populaires. »
* École des hautes études en sciences sociales.
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