LE QUOTIDIEN : Il y a un an, vous remettiez un rapport au ministère de la Santé pour redorer le blason de la médecine générale. Estimez-vous avoir été entendu ?
PR PIERRE-LOUIS DRUAIS : À peu près. La loi de santé consacre un chapitre spécifique à la médecine générale, donne plus de place à la prévention et au dépistage, crée le médecin traitant de l’enfant… Pour autant, nous n’avons pas encore pleinement pris le virage ambulatoire. Il y a dorénavant un monsieur "soins primaires" au ministère de la Santé (DGOS) mais pas encore de budget dédié. Et nous attendons de voir comment se mettront en place les communautés territoriales de soins primaires.
La médecine libérale est en profonde mutation. Comment voyez-vous le médecin généraliste dans 10 ou 15 ans ?
Bien malin celui qui pourrait le prévoir ! La nouvelle génération a envie de faire un travail plus opérationnel et collaboratif. Ce n’est pas la course aux dollars qui l’intéresse, elle recherche d'abord une bonne qualité de vie professionnelles et personnelle.
Je vois le généraliste du futur comme un manager de la santé engagé dans la coordination d’équipes et la délégation plutôt que dans une activité isolée. En fonction de son diagnostic, il devra décider avec le patient d’une stratégie d’accompagnement, d’aides et de soins.
Certains pensent que l’on s'oriente vers une médecine salariée. Mais l’État n’a absolument pas les moyens de payer des praticiens salariés au niveau où ils devraient l’être ! Il faudra trouver le juste milieu entre l'exercice libéral et salarié en faisant émerger de nouveaux modes de rémunération.
L’avenir s’inscrit-il forcément dans les maisons de santé qui fleurissent sur le territoire ?
Non, la solution n’est pas uniquement dans les maisons de santé mais dans les activités regroupées. Quand on arrivera à un certain nombre de structures labellisées, l’État dira stop. À titre personnel, je redoute que trop de professionnels ne soient plus propriétaires de leur outil de travail. Quid de leur avenir ? Ce n’est pas la retraite de médecin libéral qui permet d’être optimiste. Si les médecins n’ont pas prévu des revenus connexes ou une capitalisation sur leur outil de travail, ils ont des soucis à se faire.
De plus en plus d'élus locaux et nationaux réclament la fin de la liberté d’installation. La profession peut-elle échapper à des mesures de régulation ?
Non, elle ne peut pas y échapper. Mais si on change la règle du jeu, il faudra le prévoir 10 ou 12 ans à l'avance, suffisamment tôt avant l’entrée des études en médecine. Le problème est que l’on a un système de soins dérégulé, avec 10 000 médecins qui font tout sauf de la médecine générale et en vivent bien ! À quoi ça sert d’aller s’installer sur la Côte d’Azur pour faire des "patamédecines" et voir 10 patients par jour à 90 euros la consultation ?
La future convention devra-t-elle donner la priorité à la revalorisation du C ou aux forfaits ?
Il n’existe pas aujourd'hui d’adaptation de la rémunération qui permette aux médecins en secteur I de bien faire leur travail. Quand on reçoit un patient complexe, lui accorder une demi-heure est le minimum. J’ai calculé qu’à 23 euros la consultation, avec trois consultations par heure, un généraliste gagne 26 euros net de l’heure…
On assiste à une paupérisation de la spécialité qui nécessite de trouver et de développer d’autres sources de revenus, y compris la rémunération sur objectifs de santé publique même si celle-ci doit être améliorée. Il y a une iniquité avec la ROSP : les médecins qui font le plus d’actes ont une prime plus élevée que la moyenne. Dans mon département, les Yvelines, un médecin a obtenu 25 000 euros à ce titre. La ROSP devrait être évolutive. Les indicateurs devraient changer tous les ans ou tous les deux ans pour améliorer la qualité des soins et la pertinence.
Les internes s'opposent à l'allongement à 4 ans du DES de médecine générale, réforme que réclament les enseignants. Quelle est la solution ?
La durée du DES doit passer à quatre ans. Il n’est pas cohérent pour une discipline aussi complexe et aussi lourde, avec des motifs de consultation aussi divers, que l’internat en médecine générale reste à trois ans. C’est trop court. Mais le passage à quatre ans doit se faire à une condition : cette quatrième année devra s'effectuer entièrement en ambulatoire. On pourrait imaginer des remplacements tutorés pendant cette quatrième année. Un grand nombre d’internes en médecine générale font déjà une année supplémentaire, de fait, pour valider leur DES (grossesse, choix, remplacements).
La France compte 10 000 remplaçants, soit un cinquième de ses généralistes en réserve. Cela fait beaucoup. S’ils se sentent plus sûrs d’eux après un an de remplacements tutorés, on a plus de chance de les voir s’installer rapidement.
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