Pr Serge Uzan  (CNOM) : « La certification périodique ne doit pas être une usine à gaz »

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Publié le 08/10/2021
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Après la publication cet été de l'ordonnance cadrant la certification périodique, le Pr Serge Uzan – auteur du rapport préparatoire – expose les enjeux et le calendrier de cette réforme qui entrera en vigueur à partir de 2023. Pour le vice-président de l'Ordre, ce dispositif doit être souple, valorisant et non coercitif. Il précise que les sanctions disciplinaires ne seront envisagées qu'en dernier recours. Et pas question de construire une « usine à gaz » !

Crédit photo : SEBASTIEN TOUBON

LE QUOTIDIEN : À compter de 2023 entre en vigueur la certification périodique dont l'Ordre a été l'un des promoteurs. N’est-ce pas redondant avec le développement professionnel continu (DPC) soumis à obligation triennale ?

Pr SERGE UZAN : Non, ce n'est pas redondant et l'obligation triennale ne va pas disparaître. Le DPC continue à s'appliquer jusqu'en 2022 et, à compter du 1er janvier 2023, il va être intégré dans la certification périodique, un dispositif plus large.

Son objectif est de mesurer, d'évaluer le maintien des compétences, la qualité des pratiques professionnelles et l’actualisation ainsi que le niveau de connaissances. Mais la certification prend aussi en compte la démarche volontariste d'amélioration de la relation médecin patient et les actions individuelles en faveur de la qualité de vie et de la santé du médecin.

En juillet, la réforme a été lancée avec la publication d'une ordonnance qui pose le cadre du dispositif. Est-il est conforme aux recommandations de votre rapport ?

L'ordonnance me satisfait à 70 % ! Elle a retenu la notion de « certification périodique » au lieu de « re-certification » et la durée de six ans qui permet aux médecins d'avoir un projet personnel combiné avec le parcours professionnel. En revanche, le texte n'a pas gardé la proposition de l'Ordre de mentionner la notion de « valorisation périodique » qui aurait permis aux médecins d'envisager des évolutions de carrière. Aujourd'hui, ces progressions sont possibles pour les médecins hospitaliers mais pas pour les libéraux. Notre demande de valorisation de la démarche n'a pas été retenue et c'est regrettable !

Par ailleurs, nous aurions préféré que les sanctions disciplinaires ne soient mentionnées dans l'ordonnance qu'au terme d'un processus qui implique des aides, des accompagnements, des informations, des périodes de rattrapage… J'aurais même préféré qu'il y ait les mots « suspension d'activité » à la place de « sanctions disciplinaires », qui sont implicites dans le code de déontologie. Malgré ces points négatifs, l'ordonnance permet d'ouvrir une perspective de concertation dans le cadre des décrets à venir. Les médecins ne rentreront pas dans ce processus si on leur propose une « usine à gaz ».

Pour être certifié, le médecin devra avoir accompli en six ans un programme minimal d'actions. Quelles seront les actions obligatoires pour obtenir le sésame ?

Chaque médecin, libéral ou salarié, devra justifier son engagement dans des actions couvrant quatre champs obligatoires : l'actualisation des connaissances et des compétences réalisées dans le cadre du DPC triennal ; l'amélioration de la qualité des pratiques professionnelles ; l'amélioration de la relation au patient et la prise en compte de la santé individuelle.

Aujourd'hui, les critères d'évaluation des trois derniers items restent encore à construire avec des éléments incitatifs. C'est le nouveau conseil national de la certification périodique – où seront présents les représentants de la profession, l'Ordre, les CNP, les syndicats, et bien sûr les usagers et des personnalités qualifiées, etc.. – qui donnera son avis sur ces critères. Des réflexions communes sont nécessaires pour éviter des projets inutilement vexatoires comme ceux qui consistent à noter les médecins.

Vous ne souhaitiez pas que cette obligation s'applique aux médecins déjà en exercice. Or, l'ordonnance l'exige en leur donnant trois ans supplémentaires. Est-ce pertinent ?

Les médecins déjà en exercice avant le 1er janvier 2023 ont en effet jusqu'en 2032 pour accomplir leur première période de certification. Cette solution est toutefois pertinente car elle permet à terme, à partir de 2032, un traitement équitable entre les médecins quelle que soit leur date de début d'exercice.

Dans le rapport, nous avions proposé en effet que l'engagement dans la certification pour les médecins en exercice ne s’opère que sur la base du volontariat. J'étais persuadé qu'au bout de cinq ans, la majorité des médecins seraient volontaires. Mais le gouvernement craignait qu'une telle mesure soit retoquée par le Conseil d'État comme discriminatoire entre médecins certifiés et les non certifiés.

Quels rôles auront les Conseils nationaux professionnels (CNP) dans ce dispositif ?

Il y a aujourd'hui 43 CNP de spécialités dont le collège de médecine générale (CMG) qui représente cette discipline. Chaque CNP, qui regroupe toutes les composantes de la spécialité, devra définir les actions nécessaires dans trois domaines (formation, gestion de risques et évaluation des pratiques) et les labelliser. Il se chargera aussi d'établir les référentiels de parcours. Pour éviter les disparités entre spécialités, le conseil national de certification périodique vérifiera l'uniformité de qualité de ces référentiels. Le ministre chargé de la santé peut saisir la Haute Autorité de santé pour avis lors de l’élaboration des référentiels.

Quid des spécialités transversales ? 

Pour les spécialités transversales comme la médecine du sport par exemple – qui concerne notamment des généralistes, des cardiologues et des chirurgiens orthopédistes – tout reste à construire. On sait que chaque médecin est rattaché à un CNP. Le conseil national de certification périodique peut demander aux différents CNP de s'entendre pour produire un référentiel commun. Concernant les médecins à exercice particulier comme les homéopathes, qui sont majoritairement des généralistes, il appartiendra au collège de médecine générale et aux autres CNP concernés de répondre à cette question. Les médecins retraités, ceux qui sont dans des instituts de recherche pourraient être exonérés de cette certification. Mais cela va être défini dans un décret.

Qui va gérer les comptes individuels ? 

Aujourd'hui, rien n'est encore défini. L'ordonnance évoque une autorité administrative qui va gérer les comptes individuels dont le contenu et les modalités d'utilisation et d'accès doivent être définis par le Conseil d'État. Je pense que l'agence nationale du DPC (ANDPC) pourrait être appelée à remplir ce rôle. Cet organisme qui héberge les données du document de traçabilité est déjà chargé de transmettre à l'Ordre ces informations dont les actions indemnisées dans le cadre du DPC.

Le financement de ce dispositif n'est pas décidé. Trouveriez-vous normal que les médecins y participent également ?

Ce financement doit être défini en fonction des missions et des acteurs. Je pense que deux structures devraient être mieux financées : les CNP, qui ont aujourd'hui un budget insuffisant pour remplir leurs tâches à venir, et l'agence nationale du DPC pour payer davantage de DPC indemnisés. L'objectif de la certification périodique est la qualité des soins et des prescriptions. Tous ceux qui y ont intérêt doivent y participer financièrement, c’est-à-dire l'État, l'Assurance-maladie et les complémentaires santé. Mais en aucune façon les médecins ne doivent y contribuer !

L'Ordre va-t-il accepter que les médecins valorisent leur engagement dans cette démarche ?

Oui, bien sûr. Un médecin peut indiquer sur son site qu'il a été certifié à telle date, qu'il a obtenu tel diplôme… C'est normal que l'Ordre, lui-même demandeur de la certification périodique, accompagne pleinement cette démarche qui consiste à rendre plus transparents des engagements de qualité.

Le contrôle du respect du médecin de cette obligation revient à l’Ordre. Y aura-t-il des sanctions disciplinaires contre les praticiens réfractaires ?

Nous allons procéder de façon progressive. Au 1er janvier 2030, soit deux ans avant la fin de la période de validation de la certification, le CNOM fera un état des lieux pour savoir où en sont les médecins qui étaient en exercice avant 2023. Nous alerterons de façon automatique tous les six mois ceux qui n'ont pas encore validé leur certification. Pour les diplômés après 2023, cette procédure débutera deux ans avant l’échéance, c’est-à-dire en 2027. Mais bien entendu nous poursuivrons sans discontinuer notre mission d’information « préventive ».

En juin 2031, nous enverrons une lettre personnalisée aux praticiens qui n'ont toujours rien fait. Nous leur demanderons de s'engager dans un plan de rattrapage pour les six mois à venir, faute de quoi ils s'exposent à une suspension d'activité au 1er janvier 2032. L'Ordre donnera encore trois mois aux médecins réfractaires avant que la suspension d'activité n'intervienne. Cette suspension dure le temps du retour d'un plan de certification. Mais ceux qui refuseraient tout de même de le faire rentreront dans la procédure d’insuffisance professionnelle ou de sanctions disciplinaires. Cela reste à préciser par les textes. En ce qui me concerne, je préfère accompagner les médecins vertueux qui veulent entrer dans le processus plutôt que de m’occuper à ce stade des réfractaires.

Propos recueillis par Loan Tranthimy

Source : Le Quotidien du médecin