PARCE QU’IL ne ménage pas ses anciens associés, ni le cardiologue qui le suit pour sa valvulopathie, le Dr X préfère taire son nom. Il a 59 ans, vit en Ile-de-France, a exercé la médecine générale pendant 25 ans, avant de jeter l’éponge en 2006. Raisons familiales, mais aussi déconvenues professionnelles. « Je suis déçu par la médecine actuelle », résume-t-il.
Le Dr X a fait le calcul. Il a avalé 2 400 comprimés de Mediator entre juillet 2006 et janvier 2010. D’abord les échantillons fournis par le laboratoire, puis des autoprescriptions, parfois renouvelées par le cardiologue « pour qu’il y ait des ordonnances valides aux yeux de l’assurance-maladie ». Le Dr X a peu prescrit de benfluorex à ses patients. « C’était réputé pour provoquer la diarrhée. Étant passionné de nutrition, je préférais proposer un régime et de l’exercice. Sur moi la diététique ne marchait pas. Je ne m’occupe jamais de moi. Je me suis fait cette prescription vite fait car je voulais baisser mes triglycérides. » Aujourd’hui, le Dr X constate la persistance d’effets secondaires, notamment l’essoufflement. Son insuffisance valvulaire, antérieure à la prise de Mediator, n’évolue pas, mais le Dr X parle « d’épée de Damoclès au-dessus de la tête car les symptômes peuvent s’aggraver ».
Le Dr X a transmis leur dossier médical à ses patients qui en ont fait la demande. Il évoque un sentiment d’inconfort pour avoir administré une molécule aujourd’hui sur la sellette. Servier est à ses yeux responsable, mais aussi l’État. Il ne sait pas s’il va porter plainte, ne tient pas à être indemnisé. L’ancien généraliste se sent néanmoins victime. « Une victime non reconnue. » Son cardiologue l’accueille d’un haussement d’épaule lorsqu’il évoque ses craintes pour sa propre santé. « Déçu » par ce confrère « qui ne veut pas mouiller sa chemise », le Dr X songe à changer de cardiologue.
L’affaire du Mediator pose la question de l’information médicale. « Je me suis basé sur le Vidal pour m’auto-prescrire du Mediator, relate le praticien. Je n’y ai pas lu de restrictions qui auraient pu m’alerter. Quelle est la fiabilité de nos sources ? Évidemment c’était du benfluorex, mais les laboratoires nous ont rassurés. On s’est tous fait avoir. » Le Dr X a fait la chasse aux visiteurs médicaux en milieu de carrière, à une époque où il exerçait en cabinet de groupe. « C’était devenu trop agressif. "Vous ne souhaitez pas le mieux pour vos patients ?", osaient demander certains VM. Je me sentais abaissé. » Du jour au lendemain, il n’a plus accepté une seule visite. Ses associés l’ont regardé de travers. « Une seule fois, poursuit le Dr X, j’ai accepté un gros cadeau. Une semaine en Yougoslavie, dont 3 heures de réunion sans intérêt au sujet d’un veinotonique. Il y avait aussi les petits cadeaux – des boîtes de Mediator et de Daflon autant qu’on en voulait. J’ai arrêté tout cela car je ne voulais pas être sous contrôle. J’ai délaissé les confrères qui sautaient sur les dîners gratuits. »
« On allait au casse-pipe, l’affaire Mediator devait arriver », conclut le Dr X. L’ancien généraliste espère que le politique saura en tirer les bons enseignements, au travers, notamment, de la revalorisation du C. « Je me souviens avoir harcelé les correspondants d’une patiente diabétique qui avait 18 médicaments que je refusais de renouveler, sans succès. Les généralistes n’ont ni le niveau, ni le temps pour faire une médecine sécurisée. Comment peut-on faire une consultation en un quart d’heure ? »
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