Délais trop courts pour traiter les dossiers, opacité du contenu de certaines conventions, manquements déontologiques éventuels, hétérogénéité des formulaires d'autorisation de la hiérarchie hospitalière… : ces remarques sont issues du premier rapport d'évaluation du dispositif de vérification des avantages offerts par les industriels du médicament aux médecins, rapport publié par l'Ordre des médecins.
Selon l'institution ordinale, ce système renforcé en 2020 gagnerait « à être simplifié et optimisé ». L'Ordre rappelle que son rôle consiste ici principalement à analyser « des dossiers télétransmis par les industriels » mais aussi les réponses aux demandes de précision et de clarification de la part des labos et des praticiens. Ce travail est réalisé au sein d'une commission dédiée aux relations médecins/industrie, l'Ordre devant examiner les « recommandations » (pour les conventions inférieures à 2 000 euros) et les « autorisations » (pour celles ayant des montants supérieurs à 2 000 euros).
Hausse du nombre de dossiers soumis et traités
Selon le rapport, le nombre total de dossiers soumis à l'Ordre (pour l'hospitalité – frais de transport, hébergement, restauration, etc. – les honoraires et les demandes diverses comme la participation à une recherche, la remise d'un prix ou d'une bourse) a fortement augmenté en trois ans : de 1 128 en 2020 à 12 453 en 2022 pour les dossiers soumis à autorisations, et de 4 208 à 54 448 sur la même période pour les dossiers relevant des recommandations.
Comme un dossier peut lui-même comprendre plusieurs conventions, le nombre total de dossiers « traités » par le Cnom a bondi – de 1 090 en 2020 à 15 960 (pour les autorisations) et de 745 à 20 271 (recommandations). Cette hausse se traduit mécaniquement dans le nombre de médecins bénéficiaires directs ou indirects des avantages, soit 31 722 en 2020 contre 115 361 en 2022.
Sur les 28 818 conventions soumises en 2022 sous le régime des autorisations, 2 968 ont été refusées, soit un peu plus de 10 %. Les principaux motifs de refus au titre de l'encadrement des avantages sont le non-respect du délai de soumission (hors procédure), l'hospitalité ou les honoraires « trop élevés », le « temps libre excessif par rapport à la durée du programme scientifique », ou encore l'absence d'intérêt scientifique à la participation du médecin à un événement à l'étranger. L'hospitalité interdite aux étudiants (internes, docteurs juniors, FFI) est également citée.
Erreurs récurrentes
Pour l'Ordre, sur le fond et le principe, ce dispositif reste « pertinent » et permet de « garantir l'indépendance professionnelle » des médecins. Néanmoins, il émet plusieurs observations critiques.
D'abord, les formulaires d'autorisation de la hiérarchie hospitalière et ou universitaire du cumul d'activités accessoires « manquent d'homogénéité » d'un établissement à l'autre. « Il apparaît fréquemment une discordance entre les informations figurant sur le formulaire et celles de la convention », écrit le Cnom.
Les délais réglementaires – 8 jours ouvrables pour les recommandations et deux mois pour les autorisations – sont jugés trop courts pour traiter l'ensemble des dossiers, notamment en cas de demande de complément de la part de l'Ordre.
Le rapport pointe aussi des « erreurs récurrentes » pour les conventions de professionnels de santé ne relevant pas de l'Ordre des médecins (infirmiers, pharmaciens). « Il en ressort une méconnaissance et une absence de vérification de la part des industriels de la qualité des professionnels de santé invités », regrette le Cnom.
Celui-ci déplore aussi des usages non prévus comme des déclarations multiples pour une même manifestation ou un congrès à l’étranger refusé car « le programme ne justifie pas le déplacement de médecins hors métropole ». Or, des entreprises ayant reçu le refus resoumettent parfois un dossier pour le ou les mêmes médecins dans le régime des recommandations . « Les industriels ne suivent pas toujours la réglementation en n'utilisant pas la phase contradictoire pour répondre à un refus. Ils adressent un nouveau dossier modifié », ajoute le Cnom.
Sociétés commerciales, le grand flou
Autre problématique signalée : l'intervention des sociétés commerciales dans les dossiers soumis à l'Ordre. Pour celles de droit commun non inscrites à l'Ordre, le Cnom rencontre des « difficultés importantes pour analyser les conventions transmises ». Parfois, « l’exécution de la convention est susceptible de conduire le médecin à tirer profit de sa compétence médicale par l’intermédiaire d’une société à objet commercial et apparaît contraire au code de déontologie qui interdit de pratiquer la médecine comme un commerce », peut-on lire.
Par ailleurs, se pose la question de l'avantage indirect consenti à un médecin par le biais d'un contrat établi entre un industriel et une telle société commerciale. « Le médecin peut effectuer la prestation décrite au contrat, ajoute le Cnom. Cependant le montant de la prestation est versé à la société commerciale et l'éventuel avantage indirect consenti au médecin peut ne pas apparaître sur le contrat. » Une opacité préjudiciable, le Cnom souhaitant que « la somme versée au bénéficiaire indirect soit indiquée sur le contrat ».
Médecins influenceurs, la nébuleuse
Le rapport aborde enfin la problématique des « médecins influenceurs », sujet en réflexion. Pour l'Ordre, ce type de contrats doit être analysé à la fois dans le cadre du dispositif d'encadrement des avantages mais aussi à la lumière du code de déontologie. De fait, cette mission de praticien influenceur pour le compte des industriels peut « s'avérer contraire aux dispositions de ce code relatif à l'indépendance et la dignité professionnelle », alerte l'institution ordinale.
Enfin, l'Ordre s'est positionné sur la pertinence des seuils financiers (honoraires et hospitalité) à partir desquels une convention assortie d'avantages est soumise à autorisation. Dans un contexte de forte inflation, « le Cnom est favorable à une hausse des seuils ». Cela allégerait au passage la masse de dossiers sous ce régime.
S'agissant plus particulièrement des honoraires, l'Ordre défend une « nécessaire » réévaluation du seuil de 200 euros par heure (rémunération nette). Une ordonnance de 2017 prévoit déjà une « rémunération proportionnée au service rendu », notion difficile « à mettre en œuvre », admet l'Ordre. D'où la mise en place de « critères de modulation » sur le taux horaire du médecin pour certaines prestations comme la mission d'orateur pour un congrès à l'étranger, l'organisation de congrès scientifique, la réalisation d'une formation à une technique innovante, la participation à l'expérimentation d'un médicament ou encore la participation à commission d'AMM.
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