RÉCURRENT mais toujours sensible, le débat sur la légitimité de la rémunération à l’acte des médecins libéraux vient d’être brutalement (re)lancé par François Chérèque par un biais inattendu.
Répondant sur « Europe 1» à une question sur l’opportunité d’autoriser les médecins à vacciner dans leurs cabinets, le secrétaire général de la CFDT n’a pas mâché ses mots, établissant un lien entre le coût de cette vaccination dans les cabinets, la motivation intéressée des médecins et le paiement à l’acte. « Mobiliser les médecins ? Oui. Mais derrière on a un débat hypocrite dans notre pays en particulier avec monsieur Chassang [le président de la CSMF] . Il nous dit " Nous, on peut vacciner " mais c’est une question de coût, il y a toujours une question de pognon derrière ça. Cela fait maintenant dix ans que la CFDT dit qu’il faut changer le mode de rémunération des médecins ». Et de souligner le caractère inflationniste du paiement à l’acte. « A chaque fois que vous avez une visite, vous avez un acte. Nous, on propose qu’ils [les médecins libéraux] aient une forme de rémunération en partie au forfait. On leur donne une somme tous les ans et en échange ils font des actions de service public : les vaccinations par exemple (...). Si vous allez chez votre médecin pour vous faire vacciner, vous allez payer une visite. On nous dit c’est 8 euros, mais on se moque de nous, parce que vous allez faire voir un autre problème de santé, et ce sera 22+8 ce sera 30 euros. Il y a de l’hypocrisie derrière cela », a affirmé le leader syndical. Déplorant que les médecins « ne remettent pas en cause » leur mode de paiement, il recommande de « revoir une fois pour toutes » le système de rémunération des médecins.
Scandaleux pour la CSMF, provocateur pour MG-France.
La charge est sévère et, outre le contenu du message (les médecins veulent vacciner au cabinet notamment pour des raisons financières), les termes employés (« pognon », « hypocrisie ») ont déclenché une avalanche de réactions indignées dans le monde médical.
Explicitement mise en cause, la CSMF, qui plaide depuis des semaines pour l’extension de la vaccination dans les cabinets libéraux ( « Les généralistes et les pédiatres pourraient vacciner un million de personnes par jour », argumente le syndicat qui dénonce l’organisation « effrayante et désastreuse » de la campagne de vaccination) a répliqué du tac au tac. « Les médecins libéraux veulent rendre service à leurs patients en les vaccinant, ce sont des soignants avant tout, il est scandaleux de vouloir les faire passer pour des " affairistes " comme le suggère François Chérèque ». Pour la Confédération surtout, les propos du patron de la CFDT traduise une volonté politique de torpiller le système médical libéral. « Les médecins ne méritent pas d’être dénigrés, mais la CFDT [qui préside la CNAM] vient de montrer son vrai visage, un visage anti-libéral ! », accuse le président Michel Chassang.Le syndicat récuse l’argument « fallacieux » de la motivation financière dès lors que les médecins en activité qui interviennent dans les centres de vaccination sont rémunérés (3C de l’heure, soit 66 euros). « Choquée » par les déclarations de François Chérèque, la branche généraliste de la CSMF (UNOF) invite ce responsable à se libérer pendant « dix heures » pour participer à une journée de travail d’un généraliste. Et s’interroge sur la compétence de la CFDT à présider l’assurance-maladie.
Pas en reste, MG-France « s’offusque » des propos « inacceptables et inutilement provocateurs » du leader de la CFDT « réduisant la demande des généralistes à un désir d’augmentation de leurs revenus », alors que « la santé des Français est en jeu ». Le syndicat invite lui aussi François Chérèque (décidément convoité) à « passer une journée avec un médecin généraliste » afin de prendre connaissance de la situation sur le terrain. Quant à la polémique financière, MG-France affirme, comme la CSMF, que les centres de vaccination auront un coût supérieur aux consultations des médecins généralistes. Enfin, MG-France juge fort de café l’argument de la multiplication des actes… après la suppression du médecin référent en 2005 « avec le soutien des syndicats de salariés ».
Les propos du secrétaire général de la CFDT sont d’autant plus mal ressentis par les médecins libéraux que ces derniers estiment avoir été écartés par le ministère de la Santé, depuis le début, dans l’organisation de la campagne de vaccination H1N1 (lire également page…). « Vraiment ras-le-bol de se faire allumer ! », résume le Dr Jean-Paul Hamon, co-président d’Union Généraliste (UG) pour qui les masquent tombent en ce qui concerne l’attention portée par les pouvoirs publics aux médecins généralistes. « Pour la ministre de la Santé, le pseudo-pivot aura toute sa place… au printemps quand la pandémie sera passée. Pour monsieur Chérèque, c’est encore plus clair : le médecin libéral assoiffé de " pognon " (sic) ne réclame de vacciner dans son cabinet, non pas pour éviter trois ou quatre heures de queue dans les vaccinodromes ministériels mais uniquement pour se remplir les poches. Ces propos sont extrêmement grossiers… », fulmine le Dr Hamon .
Dans cette polémique, le SML se démarque et confirme « en fonction des informations sanitaires du moment » sa totale opposition à la vaccination dans les cabinets médicaux. « Il ne serait pas raisonnable de mettre en contact des demandeurs sains du vaccin, donc non encore immunisés, avec des patients déjà victimes de la grippe A H1N1 », fait valoir ce syndicat .
Une nouvelle structure de rémunération ?
La rémunération à l’acte inflationniste, obsolète ou inadaptée : le débat n’est pas nouveau. François Chérèque a enfourché un vieux cheval de bataille de la CFDT qui plaide, au minimum, pour une remise en cause significative du paiement à l’acte. Dans certaines confédérations de salariés, mais aussi au PS, des voix défendent ouvertement le salariat, invoquant la transparence accrue dans l’activité et la modification des comportements.
La diversification de la rémunération a en réalité commencé notamment via les astreintes PDS et le forfait ALD pour les médecins traitants. La direction de l’assurance-maladie voudrait aller plus loin. Elle a décidé de mettre à l’ordre du jour des négociations conventionnelles en cours la « rénovation » de la rémunération des médecins libéraux, séance programmée le 18 décembre. Au menu, selon nos informations : l’instauration, à côté du paiement à l’acte qui resterait « central », d’un niveau de paiement forfaitaire (pour la prise en charge des pathologies chroniques, le regroupement, l’aide à l’informatisation…) et d’un niveau de rémunération à la performance (intégrant la généralisation des nouveaux contrats individuels – CAPI). Les partenaires conventionnels évoqueront-ils la « question de pognon » de la vaccination?
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