Au rez-de-chaussée, les derniers numéros des « Inrocks », « So Foot », « GQ » et « Causette » sont parfaitement alignés sur la table basse de la salle d’attente. Dans les étages, se trouvent les bureaux des informaticiens.
Sommes-nous bien dans un cabinet médical libéral, en 2015, à Paris ?
Entre loft new-yorkais et auberge de jeunesse scandinave, la structure Ipso affiche son insolente modernité au cœur de la capitale, dans le quartier du Haut-Marais. Dans cet espace aux lignes claires de 400 m2 officient les Drs Marie Benque, 33 ans et en congé maternité, Mathilde Roze, 29 ans et enceinte et Charlotte Parment, 35 ans.
Ici, on pratique une médecine générale à 23 euros, 35 heures par semaine – souvent en horaires décalés –, en pianotant son diagnostic sur un iPad de 7 h à 23 h du lundi au vendredi et de 10 h à 18 h les samedis et jours fériés.
Médecine 2.0
Ipso est une structure 2.0 à l’esprit et à la culture d’une start-up. À l’image de ses créateurs. Le projet est né il y a trois ans dans l’esprit de Gabriel d’Yvoire et Benjamin Mousnier-Lompré. Diplômés d’HEC, tous deux s’y connaissent en communication et en conseils en stratégie. Aucun en médecine. Par le bouche à oreille et les réseaux sociaux, les deux trentenaires ont peu à peu convaincu quatre médecins (les trois jeunes femmes et le Dr Sébastien Robineaux, déjà en exercice en banlieue parisienne) ainsi qu’un informaticien de cofonder et financer avec eux Ipso.
Aujourd’hui, une vingtaine de personnes (stagiaires, salariés et médecins remplaçants) travaillent dans ce cabinet d’un genre nouveau. 2 400 dossiers patients et 400 déclarations de médecin traitant ont été enregistrés depuis l’ouverture des portes, en avril. Le cabinet réalise 1 000 consultations mensuelles.
« Je n’avais pas envie de m’installer avant d’être ici, confie le Dr Parment dans la salle de repos où une console de jeux traîne au sol, témoin d’un récent match de football. Je travaille en équipe. Je ne réponds pas au téléphone, ne m’occupe ni de facturation ni de paperasse. Une assistante s’en charge. Je ne fais que de la médecine à plein régime, pour 4 000 à 4 500 euros net par mois, ce qui me suffit amplement. »
La consultation tablette à la main
Protocolisée à l’extrême, la médecine d’Ipso emprunte des codes à l’hôpital et au monde de l’entreprise. Tout est fait pour optimiser la prise en charge. La demande de rendez-vous se fait par Internet. Au cabinet, le patient, « préparé » par une assistante, attend la venue du médecin. Ce dernier exerce en « pendulaire », explique le Dr Parment, c’est-à-dire qu’il se déplace entre deux salles d’examen pour rentabiliser son temps. Tandis qu’il ausculte un premier patient, le médecin peut suivre l’évolution du parcours de soins d’un second sur son Ipad. Lorsque celui-ci est donc « prêt », le médecin va à sa rencontre et entame la consultation, tablette en main, en remplissant les cases de l’« appli » faite maison. Motif, examen clinique, résultats de la consultation, constantes, prévention, mode de vie, sport… Tout est consigné, archivé… pour mieux être coté en temps réel par le secrétariat.
30 euros en moyenne par patient
Un algorythme permettra bientôt de calculer le temps de consultation en fonction du motif invoqué lors de la prise de rendez-vous. Dix minutes pour un certificat, trente pour de la pédiatrie… À force d’industrialiser la médecine, quid du volet humain ? « Tous les motifs de consultation ne sont pas individualisables, se défend le Dr Robineaux, cofondateur de l’affaire. L’idée est de bien utiliser les informations données par le patient pour morceler la consultation et, quelque part, contourner le paiement à l’acte. »
Les médecins facturent au tarif opposable, certes, mais pas question d’oublier une cotation. « Ailleurs, les médecins utilisent le "C" autant pour la gynéco que pour la petite chirurgie et ne font pas assez attention à l’heure, nocturne ou diurne, de prise en charge. Ici, on perçoit 30 euros en moyenne par patient parce qu’on sait bien coter », assure le Dr Parment. Aux dires de ses concepteurs, cette politique médicale fera le succès – et la pérennité – du modèle économique d’Ipso, projet à 1,5 million d’euros (provenant pour moitié d’emprunts et pour moitié de fonds propres aux associés et de subventions).
Dans les étages, des salles vides attendent paramédicaux et spécialistes du second recours. Ipso projette de répondre au cahier des charges d’une maison de santé pluriprofessionnelle, qui bénéficie depuis le printemps d’un nouveau financement intéressant. Souci : Ipso est construit sous le statut juridique SEL. Or, rien n’est possible sans le statut SISA. Aussi novateur soit-il, le cabinet est rattrapé par la réalité de la paperasserie propre au monde médical.
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