Le petit village de Séderon (Drôme) est le terrain d’un affrontement insolite entre professionnels de santé. Le Dr Antoine Guezennec y est installé depuis le début du mois de décembre, à la grande satisfaction des habitants qui n’avaient plus de médecin depuis près de quatre ans. Mais le généraliste est aujourd’hui la cible d’une plainte auprès du tribunal administratif de Grenoble par plusieurs pharmacies et médecins de la région.
En cause ? Sa casquette de propharmacien, qui lui permet de délivrer à ses propres patients des médicaments directement depuis son cabinet. Cette autorisation est accordée lorsque l’intérêt de la santé publique l’exige, par exemple lorsqu’aucune officine de pharmacie n’est facilement accessible. Le Dr Guezennec avait obtenu le feu vert de l’Agence régionale de santé avant de s’installer. Son prédécesseur, à la retraite depuis 2015, avait lui-même le statut de propharmacien.
La pharmacie menacée de fermeture ?
Mais la pharmacienne du village voisin, Montbrun-les-Bains, situé à 15 km de Séderon, ne voit pas cela d’un très bon œil. « L’ARS a délivré cette autorisation sans étude d’impact, se plaint la pharmacienne à l’origine, avec deux autres officines, de la requête auprès du tribunal administratif le 30 janvier dernier. Nous demandons que cela soit corrigé et que les spécificités du territoire soient prises en compte. »
La professionnelle se réjouit de l’arrivée du Dr Guezennec sur Séderon, mais elle redoute les conséquences de son activité de propharmacien sur son propre chiffre d’affaires. « Je risque de perdre 30 % de mes revenus sur la Drôme, ce qui représente 15 à 20 % du total de mon chiffre d’affaires, s’inquiète la propriétaire, contactée par “le Quotidien”. Cela mettrait en péril mon activité. Déjà que nous sommes sur le fil du rasoir ! »
Selon elle, la fermeture de sa pharmacie, la seule à 15 km à la ronde, serait une catastrophe pour les habitants, qui n’auraient plus accès à certains médicaments. « D’autant plus, dit-elle, que depuis le départ de l’ancien médecin de Séderon, nous avons appris à nous organiser pour qu’il n’y ait pas de problème de délivrance. Il n’y a aucun laissé-pour-compte. »
Selon elle, l’ARS avait d’ailleurs retoqué la demande d’un médecin candidat à l’installation à Séderon il y a trois ans, après avoir étudié les besoins de la population. Le maire de la commune aurait fait de cette question de propharmacien un prérequis à l’arrivée d’un généraliste sur la commune.
Des médecins défavorisés ?
La pharmacienne n’est pas la seule à se plaindre de cette autorisation de propharmacien. Trois médecins se sont joints à elle, par peur d’une concurrence déloyale et reprochant une forme de favoritisme à l’égard de leur confrère de Séderon autorisé à délivrer des médicaments.
Deux de ces praticiens auraient d’ailleurs rencontré le Dr Guezennec à son arrivée, mais sans évoquer cette question. Depuis, aucun échange n’aurait eu lieu entre les professionnels, pas plus qu’avec la pharmacienne de Montbrun-les-Bains.
Cette dernière est cependant prête à trouver un terrain d’entente, surtout si cela permet de garder un médecin à Séderon. « Je ne suis pas opposé à ce qu’il délivre des médicaments, mais uniquement pour dépanner les patients, dans certaines conditions. Son prédécesseur, lui en avait fait un commerce qui gonflait énormément son chiffre d’affaires. ce n’est pas possible, ça nous mettrait dans le rouge ! », s'alarme-t-elle.
Des confrères pas très confraternels...
Contacté par « le Quotidien », le Dr Guezennec livre une version plus nuancée de la situation. « Je ne dis pas que rien n’a été fait. Certaines personnes ont bénéficié de portage, mais ça ne couvre pas tous les besoins. Je le vois tous les jours avec mes patients. Certains ne savaient même pas que cela existait », explique le généraliste.
Pour le médecin, le choix de la propharmacie dans ce village tombe sous le sens : « Le village est très isolé, les temps de parcours sont très longs et certaines personnes ne conduisent pas. Je me suis installé pour faire de la médecine de proximité. Si les gens doivent rouler une heure aller et retour pour trouver leurs médicaments en sortant de mon cabinet, quel intérêt ? », résume-t-il.
Le Dr Guezennec digère mal l’attitude de ses confrères qui se sont associés à la démarche de la pharmacienne de Montbrun-les-Bains. « Le moins que l’on puisse dire, c’est que ce n’est pas très confraternel… Leur attitude m’a beaucoup étonné et je me réserve la possibilité de le signaler à l’Ordre », dit-il.
Installé depuis deux mois, le médecin dit se sentir en terre hostile, alors que son exercice très isolé invite à la solidarité entre professionnels de santé. Il est cependant serein sur l’issue de cette affaire et la pertinence de son activité de propharmacien (qu'il n'a pas encore démarrée).
Qu’arriverait-il s’il n’obtenait pas gain de cause ? « Pour l’instant, je n’ai pas beaucoup de recul sur mon activité. Après deux mois, j'ai du mal à payer mes charges malgré les aides à l'installation. Il sera temps d’y réfléchir… », répond le Dr Guezennec.
Article mis à jour le 13/02/2020
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