C’EST UNE CONSULTATION médicale d’un genre nouveau que proposent les Drs Serge Bouznah et Catherine Lewertowski. Partant du constat que ne pas prendre en compte les « logiques culturelles dans lesquelles les patients interprètent et vivent leur maladie » peut être à l’origine de blocages, voire d’échecs thérapeutiques, leur unité mobile de consultation interculturelle intervient au sein de services hospitaliers. Posant comme postulat que la culture du patient doit s’imposer comme une « nécessité absolue » pour les soignants, ces deux généralistes offrent une médiation en cas non pas forcément de conflit mais de nud dans la prise en charge thérapeutique. « Pour tout patient, il peut y avoir un décalage entre le discours médical, qui est complexe, et sa propre perception de sa maladie et du sens qu’elle peut prendre dans son histoire de vie. Ce décalage peut être objet de malentendus, a fortiori si le patient est étranger », explique le Dr Bouznah. Au-delà de la barrière linguistique, c’est bien la rencontre entre deux modèles explicatifs de la maladie parfois contradictoires qui rend le projet thérapeutique inadapté.
Boubacar, Malien, d’ethnie bambara, a bénéficié de la consultation interculturelle. Hospitalisé en 1978 pour une méningite tuberculeuse, il a suivi un traitement antibiotique antituberculeux. Il devient néanmoins paraplégique, du fait d’une fibrose méningée secondaire. Difficile pour le médiateur culturel, toujours présent dans ces consultations, de traduire en bambara que l ’on a guéri la tuberculose mais que le processus inflammatoire continue . « Chez nous, on ne peut pas dire cela, explique-t-il. Si on est guéri, on l’est complètement. » « Dans la consultation interculturelle, on comprend alors le malentendu qui s’est installé depuis plus de vingt ans sur le concept de guérison entre Boubacar et ses médecins », analyse le Dr Bouznah.
Relation duelle rompue.
Ce qui rend inédit cette consultation est que la relation duelle qui met face-à-face le médecin et son patient est brisée. Le médecin ouvre le dossier médical de son patient, en acceptant d’être questionné par un collègue et de s’expliquer sur sa stratégie thérapeutique. « Notre travail, indique le Dr Bouznah, est de rapprocher les points de vue, de faire se rencontrer la théorie médicale avec l’histoire de vie du patient. Accepter l’idée que l’interprétation médicale n’est pas la seule, qu’elle n’est parfois pas suffisante pour rendre compte de la complexité de cet événement central qu’est la survenue d’une maladie chronique dans la vie des patients n’est pas une chose très facile. » « Pour le médecin, c’est reconnaître qu’il ne sait pas tout », renchérit le Dr Margot-Duclot, qui dirige le CETD (Centre d’évaluation et de traitement de la douleur) de la fondation ophtalmologique Rothschild, à Paris. « Mais exposer ses limites devant le patient, dans la compréhension de certains symptômes ou dans notre capacité à guérir, n’entame absolument pas la confiance extraordinaire qu’il nous porte, au contraire », assure le Dr Bouznah.
« C’est une technique extrêmement subtile pour parler de sujets qui, habituellement, ne sont pas exprimés dans une consultation médicale », remarque le Dr Margot-Duclot. « Nous avons mené ces consultations pendant six ans, mais, très vite, nous avons vu à quel point cette méthode permettait de redonner du lien et du sens dans une prise en charge chez un patient chronique, en rupture avec sa vie d’avant et à qui nous ne parvenions pas à donner de réponse médicale. Ce dispositif marque les limites de l’intervention médicale en médecine. La médecine toute-puissante, c’est pour la médecine aiguë. On se dit : "Ce patient continue à venir me voir donc il me fait confiance mais je ne lui donne pas ce qu’il veut." Il refuse une opération chirurgicale, néglige son régime alimentaire… Ceci nous renvoie à notre propre impuissance. Alors, soit on passe la main, soit on se dit que cela se joue peut-être ailleurs que dans notre relation. L’individu, responsable de lui-même, qui peut changer, est une notion très occidentale. En Afrique, l’individu fait partie d’un groupe, il en subit toutes les influences. Alors, quand le patient a osé dire devant nous des choses dont il n’est pas forcément très fier, une alliance, une connivence se créent. Lors des consultations suivantes, on sait que l’autre sait mais on n’en parle pas. »
Clinique transculturelle.
Boubacar, lui, a osé dire la honte qu’il subissait en tant que musulman de ne plus pouvoir prier depuis des années, du fait de ses souillures urinaires. Une médiation auprès d’un imam avait alors permis de le persuader qu’il n’y avait pas de contre-indication à la reprise de ses prières dans la mesure où le croyant gardait le cur pur.
« En 2001, notre dispositif a été retenu dans le deuxième plan antidouleur (présenté par le ministre de la Santé Bernard Kouchner, pour l’amélioration de la prise en charge de la douleur). Il a vocation à être stabilisé au sein de l’AP-HP car il semble répondre à une demande des centres de traitement de la douleur mais également des services s’occupant d’autres types de pathologies chroniques. »
Le projet nourrit d’autres ambitions encore. Il s’agirait de mettre en place un centre Ressources sur la clinique transculturelle, qui proposerait non seulement des interventions adaptées, mais également des formations pour les soignants sur l’approche interculturelle de la maladie. Ce centre devrait aussi promouvoir des projets de recherche sur les questions interculturelles en milieu de soin, en lien avec les organismes de recherche (tels l’INSERM…) et en partenariat avec certains pays européens (Italie, Belgique, Suisse, Autriche). Le Dr Bouznah voudrait faciliter l’accès des soignants à ce dispositif. « Former des médecins capables d’être des médiateurs dans leur propre discipline serait une réponse originale. »
Association IPAOS Culture et santé : tél. 01.48.03.65.96. Et centremediation@free.fr.
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