LE QUOTIDIEN – Le marché de l’hébergement du DMP a été remporté par Atos-Origin et La Poste. Certains se sont étonné de ce choix, rappelant que vous avez dans le passé travaillé pour Atos. Que leur répondez-vous ?
JEAN-YVES ROBIN – J’ai rencontré l’ensemble des candidats non retenus, je les ai vus un par un, et s’ils sont naturellement déçus, ils ne « s’étonnent » pas pour reprendre le terme de votre question, du choix opéré. Comme les y autorise la loi, ils nous ont interrogés sur les raisons de notre choix, les différences entre les solutions retenues et la leur. Nous avons apporté toutes les réponses qu’ils étaient en droit d’attendre. J’ajouterai qu’ainsi va la vie, et on ne peut pas s’étonner qu’on n’ait pas évincé cette société si elle a rendu une meilleure copie. Nous avons procédé à une instruction extrêmement documentée des dossiers et nous avons choisi la meilleure offre au regard des grilles d’analyse qui figuraient dans le cahier des charges.
Quel a été le plus d’Atos-Origin et La Poste ?
Nous avons analysé trois offres de bonne qualité, émanant de trois groupes industriels qui ont du savoir-faire. Il y avait des différences multiples sur les centaines d’items d’évaluation. Globalement, la gestion de projet était un peu plus documentée et plus solide chez Atos-Origin et La Poste, mais tous les dossiers présentés étaient de bonne qualité et d’un haut niveau. C’est l’ensemble des notations sur plus d’une centaine d’items qui a permis à Atos-Origin et La Poste de se dégager. Mais au niveau des prix, les écarts étaient relativement faibles.
Les députés viennent d’adopter un projet de loi sur l’expérimentation d’un DMP sur support mobile. Est-ce que ça ne charge pas un peu votre barque dans cette année de lancement des premiers DMP ?
Pour commencer, je dirai qu’il ne s’agit pas du DMP, dans la compréhension qui en a été faite par la loi. Et dans le texte de loi proposant ce dossier médical sur un dispositif portable, nous avons été attentifs à ce que sa désignation ne fasse pas référence au nom de dossier médical personnel. C’est le Parlement qui fait les lois, et il semble qu’il soit très attaché à cette expérimentation. Nous allons bien sûr attendre que le texte soit définitivement adopté car il peut encore y avoir des modifications, et ensuite on regardera quelle forme cela peut prendre. Pour l’instant, le sujet reste assez vague, mais il peut y avoir des applications et des modes d’usage qui laissent apparaître une utilité d’un support mobile que le patient va mettre dans sa poche, parce qu’il veut détenir des données. Nous allons donc mener et analyser sans parti pris et sans état d’âme ces expérimentations dans la concertation.
Avant de sortir les premiers DMP, il reste pas mal de travail, notamment la mise en place d’un identifiant propre à chaque patient. Le numéro de Sécurité sociale n’a pas été retenu, vers quoi vous dirigez-vous ?
Nous avons opté dans un premier temps pour une solution rapide, mais suffisamment sûre, qui est l’INS calculé. C’est-à-dire que nous allons produire un identifiant unique pour chaque assuré social grâce à un mode de calcul effectué à partir de son numéro de Sécurité sociale et quelques traits invariants de son identité, comme le prénom qui est beaucoup plus stable que le nom de famille puisque les femmes peuvent changer de nom en se mariant. Cela permet de produire un numéro nouveau qui est l’IN. Ça, c’est fait, les industriels sont en train de mettre en uvre des programmes informatiques pour gérer cet INS, en fin d’année, ce sera réglé.
Où en êtes-vous sur la question de l’identifiant du professionnel de santé ?
On a un système qui marche bien chez les libéraux, la CPS, et qui est prêt à être utilisé. En revanche, nous avons une difficulté avec l’hôpital où il y a une utilisation limitée de la CPS. On sait qu’il est illusoire de croire qu’elle y sera déployée et généralisée dans l’année, et nous sommes donc en train de mettre en place des systèmes de sécurité de nature un peu différente, notamment basés sur des certificats d’authentification de serveurs, qui permettent de sécuriser les flux. Mais notre objectif reste l’identification et l’authentification des individus où qu’ils soient, à l’hôpital ou ailleurs. Soit on attend d’atteindre ces niveaux de sécurité pour commencer à sortir des DMP – et dans ce cas on est reparti pour dix ans, ce qui n’est pas acceptable –, soit on construit des trajectoires, et on commence plus petit pour voir grand.
Cela signifie que les premiers DMP pourraient voir le jour sans système d’identification achevé pour l’hôpital ?
Ils seront achevés, mais avec des choix techniques et des niveaux d’authentification qui ne seront pas nécessairement la cible dans vingt ans. Mais dire d’un système d’authentification que vous faites en 2010 qu’il sera changé d’ici à 2020 est une évidence.
Vous avez signé une convention avec la SFMG (Société française de médecine générale) sur le référentiel de compte rendu de médecine générale. Quel est l’enjeu ?
C’est l’enjeu de la sémantique. C’est le coup d’après, si je puis dire. Aujourd’hui, nous mettons les acteurs en capacité de communiquer entre eux, c’est le DMP et les messageries sécurisées. L’enjeu suivant est que les acteurs se comprennent, qu’ils parlent le même langage, c’est ce qu’on appelle l’interopérabilité sémantique. Durant les deux ou trois prochaines années, on va surtout échanger des documents non structurés, mais ça sera déjà bien de pouvoir lire des compte rendus hospitaliers pour le médecin traitant par exemple. Progressivement, nous allons structurer l’ensemble de cette production de documents, et nous allons commencer à décrire des actes grâce à des codes et des nomenclatures. Il faut donc travailler avec les professionnels de santé pour savoir comment on peut décrire leur activité, et avec quel type de nomenclature. Le travail avec la SFMG s’inscrit dans cette réflexion.
Les premiers DMP vont-ils vraiment sortir en 2010 ?
À quelques jours ou semaines près, le plus probable est vers la fin du mois de novembre 2010. Pour l’instant, il n’y a aucun signe de retard. Nous mettons en place un système en capacité de gérer 5 millions de dossiers, c’est notre premier jalon. Nous regarderons de près combien de temps il nous faut pour créer ces 5 millions de DMP, mais cela dépend de tellement de facteurs, y compris conjoncturels, qu’il ne faut pas se risquer à plus de prévisions à ce stade.
Avez-vous un message à adresser aux professionnels de santé qui vont utiliser demain le DMP ?
Ces systèmes d’information, qui vont devenir communicants, vont ouvrir tout un champ fonctionnel nouveau pour les professionnels de santé, et ils ne le perçoivent pas encore totalement aujourd’hui. Les systèmes d’information ne sont pas là pour rajouter une couche aux problèmes que rencontrent les professionnels de santé, ils sont là pour se mettre au service de leur pratique. Les professionnels de santé réfléchissent souvent déjà à ça, mais souvent sous des angles techniques. Ces réflexions techniques concernent les 1 % des professionnels de santé qui s’y intéressent, alors que la réflexion sur la pratique concerne 100 % des professionnels. Il faut donc arriver à être plus imaginatif, plus créatif, à faire des expérimentations, en essayant d’utiliser tout le potentiel de ces technologies, pour arriver à une pratique médicale qui soit plus créatrice de valeur. Il y a là un énorme enjeu.
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