Ce n'est certainement pas à six mois de la fin d'un quinquennat qu'un gouvernement va lancer une réforme d'envergure sur les complémentaires santé et remettre à plat le champ de l'Assurance-maladie. En revanche, c'est sans doute le bon moment pour introduire des sujets à tiroirs dans le débat de la prochaine campagne présidentielle.
Car malgré ses dénégations – encore récemment au Sénat – Olivier Véran semble jouer les poissons-pilotes du Président de la République en avançant les pions d'une réforme qui a toutes les allures d'un marqueur de gauche mais qui, si elle était un jour appliquée, aurait des conséquences en cascade pour la médecine de ville.
Bronca
En effet, si dans l'état de son rapport, commandé par le ministre, le Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie (Hcaam) décrit effectivement quatre scénarios de refonte de l'articulation entre la Sécu et les complémentaires, c'est bien le numéro 2 – celui de la « Grande Sécu » – auquel il consacre de très loin le plus grand nombre de pages.
Et c'est cette disproportion, outre les fuites dans la presse, qui a déclenché une bronca, lors de la dernière réunion de cette instance qui regroupe aussi bien des représentants des syndicats de libéraux, des partenaires sociaux, de l'État, des caisses et des assurés. « Il y a eu une protestation unanime, raconte le Dr Jean-Paul Ortiz, président de la CSMF, qui y siège au nom de l'Union nationale des professionnels de santé (UNPS). Il faut que le rapport final soit plus équilibré, sans quoi cela voudrait dire que nous accepterions implicitement ce deuxième scénario ». Concrètement, il s'agirait d'une prise en charge intégrale par l'Assurance-maladie obligatoire (AMO) d'un panier de soins aux prix encadrés (intégrant le 100 % santé) – les complémentaires étant cantonnées à rembourser les actes médicaux aux tarifs libres ou les frais de chambre individuelle, entre autres.
La pierre finale de l'étatisation ?
Les syndicats de praticiens libéraux adhèrent globalement au diagnostic posé par le Haut conseil : l'existence de restes à charge massifs (1 % des assurés subit par exemple un reste à charge moyen de 5 380 euros par an) et de conséquents frais de gestion avec notre système à double étage (6,9 milliards d'euros pour l'Assurance-maladie obligatoire et 7,6 milliards pour les complémentaires).
En revanche, les avis divergent sur les conséquences de l'hypothèse « Grande Sécu » sur la médecine de ville. La CSMF y est la plus hostile. « Ce scénario est la pierre finale de l'étatisation du système de santé, alerte le Dr Jean-Paul Ortiz, président de la centrale. Il pourrait aboutir à une situation comparable à la Grande-Bretagne ou à la Catalogne avec une médecine à deux vitesses et des listes d'attente pour accéder à un médecin ». De fait, dans l'esprit du Hcaam, il est « inconcevable » que cette Sécu élargie couvre les dépassements d'honoraires actuels. Conséquence : « la plupart des Français resteront dans la Grande Sécu et seuls les plus favorisés auront une complémentaire qui leur permettra d'accéder à une prise en charge de qualité dans les établissements les plus performants auprès des professionnels les plus titrés », pronostique le Dr Ortiz.
Quid des dépassements ?
En réalité, le Hcaam ne s'interdit pas, à la faveur des travaux de refonte des nomenclatures, « d'accompagner la réforme d’une réanalyse fine et différenciée des dépassements d’honoraires et de leurs motifs ». Concrètement, une partie de ces compléments pourraient être pris en charge sous forme de « revalorisation de certains actes » ou de « paiements alternatifs », en laissant toutefois l'essentiel des dépassements aux complémentaires santé comme aujourd'hui. Une hypothèse qui laisse très dubitatif le Dr Philippe Cuq, président de l'Union des chirurgiens de France (UCDF). « Je note que pour les praticiens qui ont adhéré à l'Optam [option de pratique tarifaire maîtrisée], les complémentaires n'ont pas joué le jeu en fin de compte, glisse-t-il. Et pour le reste du secteur II, elles ne remboursent que marginalement les dépassements. De manière générale, elles participent très peu aux remboursements des soins mais davantage aux à-côtés comme les chambres particulières. »
Une autre seconde conséquence probable de la Grande Sécu, moins visible, serait de rendre très facile la généralisation du tiers payant. « Le copaiement est un facteur de complexité structurelle pour la mise en œuvre d'un tiers payant intégral », constate à juste titre le Hcaam. Par conséquent, « le risque c'est l'apparition de forfaits tous azimuts, redoute le président de la CSMF. Et c'est le dernier pas vers la fin de la médecine libérale ». Pour l'instant, le Hcaam ne va pas aussi loin mais il souligne néanmoins que la suppression des tickets modérateurs en ville faciliterait les réformes des modes de rémunérations des professionnels vers des « formes mixtes ».
L'AMO, les soins primaires et les forfaits
Une évolution à laquelle MG France, pour le coup, applaudit. « Notre position depuis une dizaine d'années est que l'Assurance-maladie obligatoire prenne en charge entièrement les soins primaires, éventuellement en tiers payant si le médecin le souhaite, rejoignant ainsi les préconisations de l'OMS pour des soins primaires très faciles d'accès, assume son président, le Dr Jacques Battistoni. Nous souhaitons aussi le développement des rémunérations forfaitaires et je ne vois pas en quoi cela remet en cause le statut libéral du médecin ». Il est vrai que la mise en place du forfait médecin traitant, en 2016, avait nécessité une gymnastique pour y faire contribuer les complémentaires. Elles payent désormais une taxe sur les cotisations à cette fin.
Le débat est loin d'être épuisé. Les délibérations du Hcaam devant se terminer sur l'adoption d'un rapport, un consensus doit être recherché d'ici à la mi-décembre.
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