« La porte de la Grande Conférence leur reste ouverte... » À moins d’une semaine du rendez-vous de Matignon, le Premier ministre joue l’ouverture en direction des syndicats de médecins libéraux et se réjouit de la part prise par les organisations de jeunes et l’Ordre. Dans l’entretien qu’il nous a accordé, il promet « des réformes à court terme », invite le corps médical à « un changement de culture global » et lève un coin du voile sur ce qu’il annoncera le 11 février aux acteurs de santé : « Nous voulons leur donner les moyens d’exercer », martèle-t-il.
Le Généraliste Pourquoi cette « Grande Conférence de santé » maintenant, alors même que la réforme Touraine présentée comme la grande loi santé du quinquennat est passée ?
Manuel Valls. J’ai souhaité cette Grande conférence parce que j’ai senti qu’il y avait ce besoin des acteurs de la santé de parler de l’avenir de leurs carrières. Ces six derniers mois, plus de 300 personnes, professionnels de santé, institutions, patients, ont répondu à cette proposition de dialogue. Certaines idées, issues de cette Grande conférence, pourront directement alimenter la préparation des décrets d’application de la loi portée par Marisol Touraine.
Mais cet événement vise en priorité à traiter de sujets complémentaires, comme la formation, initiale et continue – la conférence sera portée aussi par Najat Vallaud-Belkacem et Thierry Mandon –, les métiers de la santé, leur contenu, les conditions d’exercice, la pratique professionnelle, plus que de l’organisation des soins. Ce sont des sujets qui ne relèvent pas du cadre législatif. Il était donc normal qu’ils soient discutés dans un autre format.
Nous poursuivons ainsi la mise en œuvre de la « Stratégie nationale de santé » dessinée en 2013. Elle inclut bien sûr la loi de modernisation de notre système de santé, mais aussi le Pacte territoire-santé, l’évolution du paysage de l’enseignement supérieur et de la recherche, le plan d’attractivité pour les métiers de l’hôpital, les grands plans de santé publique… J’ajouterai aussi la convention médicale, qui traite des conditions de rémunération. C’est tout cela qui fait la politique de santé publique de notre pays.
« La Grande conférence sera l’occasion d’annoncer des réformes à court terme et de préparer des évolutions à plus long terme"
La plus grande part des syndicats de médecins libéraux boude, depuis le début, la concertation que vous organisez. Les organisations de jeunes, en revanche, seront présentes le 11 février. Les futurs médecins auraient-ils plus à attendre que leurs aînés en exercice de cet événement ?
M.V. Loin de moi l’idée d’opposer les jeunes aux anciens ! J’ai d’ailleurs reçu à deux reprises les syndicats de médecins libéraux. Et la porte de la Grande conférence leur reste ouverte. Mais il est vrai que les futurs médecins sont au cœur des sujets qui y seront abordés.
Les étudiants en santé et les jeunes installés appellent de leurs vœux des changements profonds afin d’être mieux préparés à la réalité de l’exercice quotidien. Ils vivent avec les nouvelles technologies, ils souhaitent exercer dans des maisons de santé pluridisciplinaires, mieux concilier vie professionnelle et vie privée, être plus mobiles. La participation de leurs organisations a fait souffler un vent de modernité indéniable sur les travaux préparatoires ! Nous devons élaborer des réponses avec eux au service de notre objectif commun : faire que ces professions, indispensables au quotidien des Français, ne perdent pas de leur attractivité.
Un comité de pilotage a travaillé depuis l’été dernier sur ce rendez-vous. Ses travaux augurent-ils de nouvelles réformes pour le système de santé ?
M.V. Oui, la Grande conférence sera l’occasion d’annoncer des réformes à court terme et de préparer des évolutions à plus long terme. Pas de réforme du système de santé lui-même – la loi qui vient d’être promulguée en a largement traité –, mais des réformes pour les professionnels qui exercent et exerceront dans ce nouveau cadre. Nous voulons leur donner les moyens d’exercer, tout en leur donnant envie de faire vivre le nouveau système de santé, plus ambulatoire, plus tourné vers le patient.
Il s’agit aussi de réfléchir aux évolutions à apporter dans le domaine de la formation, pour développer une culture commune entre professionnels et pour tirer tout le bénéfice des nouvelles technologies. Je salue le travail de fond du comité de pilotage, mené par Anne-Marie Brocas et Lionel Collet. Ce comité a travaillé avec tous ceux qui ont souhaité apporter leur contribution, avec des représentants de tous les acteurs de la santé : professionnels, institutions mais aussi patients et personnalités extérieures, chacun avec leur regard.
L’Ordre des médecins viendra le 11 février avec des propositions qu’il juge à même de renouer le dialogue entre médecins et pouvoirs publics. Quel poids peut avoir sa contribution dans la concertation que vous mettez en place ?
M.V. L’objectif de la Grande conférence de la santé, c’est justement de discuter des idées des uns et des autres. Le Président de l’Ordre aura l’occasion de présenter les siennes, en séance plénière et autour de tables rondes. J’ai la plus grande écoute pour l’Ordre des médecins qui a pris l’initiative d’une consultation de grande ampleur et en a tiré des propositions, récemment dévoilées. Ces propositions sont tout à fait cohérentes avec les idées débattues ces six derniers mois pour préparer la Grande conférence – avec le tournant que le gouvernement fait prendre au système de santé.
Pensez-vous que cette conférence sera à même de donner des réponses au malaise évoqué çà et là parmi les professionnels de santé ?
M.V. J’ai entendu le malaise que les professionnels de santé, et particulièrement les médecins, ont exprimé dans la rue et lors des élections aux Unions Régionales des Professionnels de Santé. Même si cette profession continue à susciter le plus grand respect de nos concitoyens, je sais qu’il y a chez certains médecins un sentiment de déclassement.
La Grande conférence de la santé doit donc apporter des réponses, repréciser le cap. Il ne s’agit pas de tourner une page : la loi de Marisol Touraine a permis des avancées importantes, sur lesquelles nous ne reviendrons pas. Il s’agit de la compléter, de donner aux professionnels les moyens de se réaliser dans leur métier. Les changements rapides du monde de la santé, les innovations, même s’ils apportent beaucoup, peuvent être déstabilisants ; il appartient au Gouvernement de rassurer, d’anticiper, de préparer l’avenir.
« J’ai entendu le malaise que les professionnels de santé, et particulièrement les médecins, ont exprimé dans la rue »
Les questions du « virage ambulatoire » et du décloisonnement entre ville et hôpital et entre acteurs de santé sont annoncées comme étant au cœur de ce rendez-vous. Peut-on engager ces réformes sans changer les règles de fonctionnement et de financement du système ?
M.V. Mais les règles de fonctionnement ont changé, avec la loi de modernisation de notre système de santé ! Elle place le patient au cœur du système, avec les professionnels de ville. L’hôpital doit, lui, rester un recours. Tous les nouveaux instruments que cette loi institue – les équipes de soins primaires, les communautés professionnelles territoriales de santé… – poursuivent cet objectif et valorisent particulièrement la place du médecin généraliste.
Les professionnels de santé doivent désormais se saisir de ces instruments et s’organiser dans les territoires, par exemple autour de thématiques spécifiques, comme les maladies chroniques ou la prise en charge des personnes âgées, en vue d’aboutir à un changement de culture global. Ils peuvent, dans cette démarche, s’appuyer sur l’Agence régionale de santé, qui est là pour les accompagner.
Quant au financement, les Français sont attachés au financement collectif de la protection sociale et encore plus de l’Assurance Maladie. C’est une force qui soutient notre tissu social en assurant l’égalité d’accès à la santé. Mais, à l’intérieur de ce système, nous continuerons à réfléchir à la manière de mieux valoriser la qualité des soins, les engagements en faveur de la prévention, à l’hôpital ou en ville. Et je rappelle que l’enveloppe que nous consacrons à la santé de la population augmente chaque année, alors même que nous avons divisé par deux le déficit de la Sécurité sociale. Car nous partageons, avec les professionnels de la santé, une même priorité : tout mettre en œuvre pour la santé des Français.