Après l’hôpital, l’univers rural. Pour son troisième long-métrage, « Médecin de campagne », Thomas Lilti (voir sa biographie) dresse le portrait d’un généraliste joué par François Cluzet. Dans ce film autant social que médical - qui a été visionné la semaine dernière par le Président de la République - l’ex-médecin généraliste devenu réalisateur depuis le succès d'« Hippocrate » aborde sans détour des sujets aussi divers que la désertification médicale ou l’engagement des professionnels auprès de leurs patients. Il nous en donne sa propre lecture à quelques jours de la sortie du film, le 23 mars.
Le Généraliste Qu’est-ce qui vous a donné envie d’évoquer la médecine de campagne dans ce film ?
Thomas Lilti La médecine a été mon métier et ça l’est toujours un peu. C’est un matériau incroyable pour raconter des histoires et j’avais envie de continuer à faire œuvre de fiction à travers des héros médecins. Dans Hippocrate, j’avais surtout parlé de l’institution hospitalière. C’était un film très autobiographique qui avait aussi une dimension satirique, un peu pessimiste. Là, j’avais envie de contrebalancer et mettre l’aiguille au centre en rendant hommage à ce métier incroyablement méritant de médecin. Et en montrant ce qu’est la pratique médicale, la médecine de proximité, le soin, l’échange avec le patient. Je souhaitais montrer que le soin est un aller-retour entre le soignant et le soigné qui se donnent réciproquement quelque chose. Quant à la campagne, c’est un univers « cinégénique » et ça m’a permis de traiter le sujet des déserts médicaux.
Votre film est-il, selon vous, plutôt optimiste ou pessimiste sur l’exercice de la médecine ?
T.L. C’est un film profondément optimiste ! Il dit que la médecine est une formidable profession, que les médecins sont des gens méritants, qui font ce métier avec un talent dingue. Ça dit aussi qu’être ensemble, c’est mieux qu’être tout seul : ça permet de se serrer les coudes quand la vie est difficile et d’essayer de la rendre plus supportable. Les personnages de François Cluzet et Marianne Denicourt sont de bonne volonté et font les choses pour de bonnes raisons. Après, je n’ai pas les clés pour résoudre le problème de la désertification médicale. Elle ne touche d’ailleurs pas que les médecins, mais aussi les services publics, le bureau de tabac…
Que vous inspire le pessimisme éprouvé actuellement par la profession ?
T.L. Ce n’est pas propre aux médecins, je pense que ce sentiment traverse toute la société. Cela dit, je pense qu’ils souffrent du fait qu’on les a beaucoup brocardés alors qu’ils exercent un métier difficile, exigeant, qu’ils font souvent pour de bonnes raisons. C’est difficile à supporter d’être mis en question, d’être montré du doigt comme étant une profession vénale, avide de gain. Alors que c’est totalement faux, ce ne sont que des exceptions.Avec la scène de réunion autour d’un projet de maison de santé, voulez-vous faire passer des messages sur la médecine d’aujourd’hui et ses défis ?
T.L. Bien sûr, c’est un film qui a des aspects politiques et n’évite pas de traiter de sujets qu’il est censé traiter (voir la critique du film) . À partir du moment où il est question d’un médecin de campagne, il faut parler de la désertification médicale, des solutions. Les maisons de santé portées par un médecin ou un soignant sont des projets fantastiques. Mais si ce projet n’est porté que par un élu parce qu’il n’y a pas de médecin dans sa commune, on sait que ça ne marche pas. Les solutions, pour faire venir des médecins dans les campagnes, sont avant tout humaines et non bureaucratiques. Il faut les épauler, les aider à s’installer, pas seulement leur donner de l’argent. Et encore moins les y obliger. Et ça, ce sont des décisions politiques.[[asset:image:9346 {"mode":"small","align":"left","field_asset_image_copyright":["VOISIN\/PHANIE"],"field_asset_image_description":[]}]]Les jeunes médecins sont attirés par cette médecine de proximité, telle un artisanat, que je décris. François Cluzet joue un médecin du passé, qui s’accroche à la non-informatisation, qui va évidemment disparaître. Mais cette façon de pratiquer, ce rapport au patient, cette humanité, il n’y a aucune raison qu’elle disparaisse. Il y a plein de jeunes qui suivent ces études dans l’objectif de pratiquer une médecine de proximité, de cœur, d’écoute.
Comment dirige-t-on un acteur dont le rôle est, précisément, d’être généraliste, quand on l’a soi-même été ?
T.L. Cela ne change pas vraiment la donne. Ce qui change, c’est la confiance que vont m’accorder Marianne Denicourt et François Cluzet. Une confiance un peu totale, je pense, non pas sur la technique – parce que ça s’apprend – mais sur les situations que je fais vivre à leur personnage, sur le regard que je vais porter sur la médecine, sur le soin. Ils vont se fier à ce que j’ai écrit, ils savent que je l’ai vécu. J’ai la chance incroyable d’avoir travaillé avec des acteurs qui avaient envie de me faire confiance. Ensuite, je ne crois pas qu’on dirige les acteurs, on choisit plutôt les meilleurs possibles pour le rôle, qu’on adapte ensuite pour eux et avec eux. On fait en sorte qu’ils puissent, en tant qu’acteurs, phagocyter le rôle : que le personnage et eux ne forment plus qu’une seule et même personne le temps du tournage. Pour ça, il faut les aider au maximum, non en leur demandant de se rapprocher de ce qui est écrit mais en faisant en sorte que le personnage vienne à eux. J’ai eu des acteurs formidables pour ça.Ce rapport au patient, cette façon de parler, de se tenir, ils l’ont inventé à partir de leurs souvenirs de patient, des médecins qu’ils ont connus, de ce qu’on leur a raconté. Mais aussi à partir de ce qu’ils entrevoyaient de moi : ils percevaient bien, dans ma façon d’être – y compris dans ma façon d’être réalisateur – qu’il y avait aussi des choses qui venaient de mon passé de médecin. Ils m’ont regardé, j’imagine. C’est un mélange de tout ça !
Et puis vous avez mis un vrai généraliste dans le rôle d'un patient en fin de vie…
T.L. Le fait que l’acteur qui joue le patient en fin de vie ait été médecin n’est pas du tout rentré en ligne de compte. Ce qui était très touchant, c’est plutôt qu’il était lui-même très âgé et proche de la situation que je lui faisais vivre. Cette mise en abyme était compliquée à gérer parce que fragilisante pour lui et toute l’équipe. Mais elle était aussi belle parce que, finalement, je montre une mort presque joyeuse, si tant est qu’elle puisse l’être.La médecine me manque, mais pas au quotidien. Je ne me lève pas le matin en me disant que je partirais bien faire trente consultations ! En revanche, je me rends compte que les patients me manquent.
La médecine vous manque-t-elle ?
T.L. Ça fait 3 ans, depuis le tournage d’Hippocrate, que je ne la pratique plus. Elle me manque, mais pas au quotidien. Je ne me lève pas le matin en me disant que je partirais bien faire 30 consultations ! En revanche, je me rends compte que les patients, les rapports humains, ce que j’ai découvert sur moi et appris sur la vie me manquent. Tout comme la gymnastique intellectuelle du diagnostic et de la thérapeutique, l’écoute. Cela décentre aussi d’être médecin : pour être un bon professionnel, il faut s’intéresser à l’autre. Et, parfois, le métier de réalisateur, c’est l’inverse. Je me dis qu’il y aurait un équilibre formidable à pouvoir faire les deux. Mais ça n’est pas toujours possible.Quelle part du généraliste reste-t-il chez le réalisateur ?
T.L. C’est la médecine qui m’a donné tant d’inspiration et de matière à mettre dans mes films. Après, je pense qu’il y a énormément de points communs entre ma façon de pratiquer la réalisation et ma formation de médecin. Mes films, si tant est qu’ils soient sur la médecine – je pense qu’ils sont davantage sur nos contemporains, des gens qui vivent ensemble et le monde dans lequel on vit – sont des films de médecin avant d’être sur des médecins. Je porte un regard de médecin sur mes personnages.La médecine générale peut-elle être un sujet cinématographique comme l’est l’hôpital que l’on a davantage l’habitude de voir sur les écrans ?
T.L. Oui, parce que le médecin généraliste va voir passer dans son cabinet énormément de gens, incroyablement différents et divers, et tous les aspects de la vie. Pour en faire un sujet de film, cela ne doit pas tenir sur un personnage, mais sur une multitude, et sur un univers.[[asset:image:9351 {"mode":"small","align":"right","field_asset_image_copyright":["VOISIN\/PHANIE"],"field_asset_image_description":[]}]]Pensez-vous avoir épuisé les sujets relatifs à la médecine ?
T.L. Je n’ai pas envie de continuer à faire des films sur la médecine. Cela dit, je ne crois pas qu’Hippocrate ou Médecin de campagne soient des films sur la médecine. Ce sont plutôt des films où les héros sont des étudiants en médecine ou des médecins. J’aimerais bien que mon prochain film ne soit pas avec des héros médecins. Mais je pense qu’il ressemblera certainement beaucoup aux deux autres, ça sera un frère d’Hippocrate et Médecin de campagne. Qui, finalement, ne se ressemblent pas tant que ça !Dans votre film, la salle d’attente du médecin représente une société très diverse. Votre film n’est-il pas aussi sociétal ?
T.L. Raconter toutes ces communautés était sûrement ce qui m’intéressait le plus. Je voulais filmer la campagne, non pas les paysages, mais plutôt les gens qui y vivent. Je ne voulais pas filmer l’universalité de la campagne mais celle du film précisément et c’est en cela que c’est une fiction. J’ai inventé une campagne telle que je la voyais, le plus sincèrement possible, assez proche de la réalité je crois. Et l’axe pour raconter cet univers, c’est le regard du médecin. Car s’il y a bien un lieu de passage obligé à la campagne, c’est la salle d’attente du médecin.Quelles réactions aimeriez-vous que les professionnels de santé, et plus encore les généralistes, aient en voyant votre film ?
T.L. J’aimerais que les professionnels de santé soient fiers de l’image que le film donne des médecins, mais aussi des infirmières, des kinés, de tous ces gens qui travaillent, dans des zones parfois difficiles, déshéritées où l’accès à la santé est devenu compliqué. Il y a un hommage, dans le film, aux métiers de soignant. En revanche, je n’aimerais pas entendre « ces médecins n’existent plus, ils appartiennent au passé, aujourd’hui, il n’y a plus d’empathie, ils n’ont plus le temps… ». Je ne crois pas à ça. Et je pense qu’il y a évidemment encore énormément de gens bienveillants, de médecins empathiques… Mon film, s’il doit militer pour quelque chose, c’est pour cette réhabilitation.