Fin 2017, la Société Francophone du Diabète (SFD) publiait pour la première fois une prise de position relative au traitement du diabète de type 2 (DT2) et s’engageait à la réactualiser tous les deux ans pour pouvoir tenir compte des dernières avancées scientifiques. Le groupe d’experts mandaté à cet effet par la SFD a publié cette nouvelle version à la fin de l’année 2021, disponible dans son intégralité en téléchargement gratuit sur le site de la SFD (1).
Une approche individualisée et ajustée
La prise en charge du DT2 se fonde toujours sur une approche très individualisée, tant pour les objectifs glycémiques que pour les stratégies thérapeutiques, qui doivent être adaptés au profil du patient et fixés avec lui, dans le cadre de la décision médicale partagée. Le traitement doit toujours être réévalué très régulièrement, tant pour éviter l’inertie clinique et thérapeutique (avec un patient mal équilibré durant des mois) que pour éviter l’empilement des médicaments. Il faut être capable de revenir en arrière, d’arrêter un traitement qui ne donne pas les résultats escomptés et de changer de classe thérapeutique.
Autre intangible, le socle de la prise en charge du DT2 repose sur les modifications du mode de vie, avec l’accent mis sur une alimentation équilibrée, une perte de poids si cela est nécessaire, une activité physique régulière et la lutte contre la sédentarité.
Enfin, à l’inverse de certaines sociétés savantes (de cardiologie notamment), la SFD maintient la metformine comme le traitement de première ligne chez tous les patients avec un DT2, sauf contre-indication ou intolérance.
Le contrôle glycémique reste essentiel
Le contrôle de la glycémie reste essentiel dans la prise en charge globale des patients vivant avec un DT2, en particulier pour prévenir le risque de complications rétiniennes et rénales. Les objectifs d’HbA1c ont été un peu modifiés, en particulier pour les patients âgés de moins de 75 ans, avec une espérance de vie de plus de 5 ans, sans comorbidité sévère ni insuffisance rénale chronique sévère ou terminale, pour lesquels la cible de 7 % reste la norme mais chez qui il est désormais envisageable de viser 6,5 %, à condition d’y arriver avec des modifications du mode de vie et des traitements ne provoquant pas d’hypoglycémie.
En revanche, chez des patients avec une espérance de vie plus limitée, des comorbidités sévères ou une insuffisance rénale chronique ou terminale, l’HbA1c cible sera généralement de 8 %. Lorsque ces patients fragiles sont traités par sulfamides, répaglinide ou insuline, la SFD a gardé la notion de borne inférieure d’HbA1c à 7 %, en dessous de laquelle il est préférable de ne pas descendre pour minimiser le risque d’hypoglycémie lié à ces traitements.
Des options plus ouvertes en deuxième ligne
Premier changement majeur : pour la SFD, chez un patient de moins de 75 ans, avec un IMC inférieur à 35 kg/m², sans maladie athéromateuse avérée, insuffisance cardiaque ou maladie rénale chronique, le choix préférentiel après la metformine reposait, jusqu’en 2019, sur les inhibiteurs de la dipeptidylpeptidase-4 (iDPP4), qui semblaient présenter alors le meilleur compromis efficacité-tolérance-coût. En 2021, en cas d’échec de la metformine, on laisse le choix au clinicien, selon le profil du patient et en accord avec lui, de prescrire un iDPP4, un inhibiteur de SGLT2 (iSGLT2) ou un agoniste des récepteurs du GLP-1 (arGLP1) ; les sulfamides sont reléguées loin derrière du fait, notamment, de leur risque hypoglycémique.
Chacune de ces trois classes thérapeutiques a ses avantages et ses inconvénients, que le clinicien devra exposer au patient : le choix de la bithérapie sera fait en fonction de son profil et toujours en accord avec lui. Les iDPP4 sont très faciles à manipuler, ont très peu d’effets indésirables et ne donnent pas d’hypoglycémie (ce qui les rend intéressant chez les patients âgés) mais ils n’ont pas d’effet favorable sur le poids. Les iSGLT2, qui peuvent désormais être initiés par les généralistes, ont une efficacité sur l’HbA1c équivalente à celle des iDPP4, ne provoquent pas non plus d’hypoglycémie et entraînent, quant à eux, une perte de poids, mais leur profil de tolérance est un peu moins bon. Enfin, les arGLP1 sont plus efficaces sur l’HbA1c que les deux classes précédentes, ils n’induisent pas d’hypoglycémie et favorisent une perte de poids souvent plus importante qu’avec les iSGLT2, mais ils s’administrent par voie sous-cutanée et sont l’option la plus coûteuse.
Compte tenu de leurs effets favorables sur le poids, iSGLT2 et arGLP1 seront privilégiés en situation d’obésité. Plus spécifiquement, au sein de ces classes, la dapagliflozine et le dulaglutide ont chacun montré un effet cardioprotecteur chez des patients n’ayant jamais présenté d’événement lié à une maladie athéromateuse mais à haut ou très haut risque cardiovasculaire ; toutefois, le nombre de ces sujets à traiter pour éviter un événement cardiovasculaire est élevé et l’efficience d’une telle stratégie thérapeutique n’est pas démontrée, ce qui explique qu’elle n’est pas recommandée par les experts de la SFD.
Des choix thérapeutiques indépendants de la glycémie
Autres nouveautés de taille, en cas de maladie athéromateuse avérée, et toujours en association aux modifications du mode de vie et la metformine, le choix se fera, comme en 2019, entre un iSGLT2 ou un arGLP1 ayant apporté la preuve d’un bénéfice cardiovasculaire (liraglutide, dulaglutide et, à un degré moindre, sémaglutide) mais il est désormais préconisé de prescrire l’un de ces médicaments quel que soit le niveau d’HbA1c, donc y compris chez les patients dont le contrôle glycémique est parfait.
De même, en présence d’une maladie rénale chronique (débit de filtration glomérulaire inférieur à 60 ml/mn/1,73 m² et/ou présence d’une albuminurie, [lire aussi p. XX]) ou d’une insuffisance cardiaque, le choix privilégié, toujours en association aux modifications du mode de vie et la metformine, est celui d’un iSGLT2 et ce, là encore, indépendamment du taux d’HbA1c. Dans ces deux dernières situations, s’il n’est pas possible de prescrire un iSGLT2 du fait d’une intolérance ou d’une contre-indication, on prescrira alors un arGLP1, mais seulement si l’HbA1c est supérieure aux objectifs, la SFD ayant estimé qu’il n’existait pas de preuves suffisantes pour le faire quel que soit le taux d’HbA1c chez ces patients. En outre, chez les patients présentant une insuffisance cardiaque à fraction d’éjection diminuée, il est rappelé qu’à la lumière des rares études disponibles, les arGLP1 doivent être utilisés avec précaution.
Cette nouvelle approche est en grande partie à l’origine du changement de titre de la prise de position, dans lequel le terme de « prise en charge médicamenteuse de l’hyperglycémie » a été remplacé par celui de « stratégies d’utilisation des traitements antihyperglycémiants » dans la mesure, où comme nous l’avons vu, pour les patients présentant une maladie cardiovasculaire ou rénale, la prescription d’un arGLP1 ou d’un iSGLT2 est désormais recommandée même lorsque la cible d’HbA1c est déjà atteinte. Si l’on sort ainsi quelque peu du glucocentrisme traditionnel, on rappellera cependant une nouvelle fois que le contrôle de la glycémie reste essentiel dans la prise en charge globale des patients vivant avec un DT2. Donc, si l’on a prescrit l’un ou l’autre de ces traitements à visée de protection cardiovasculaire ou rénale mais que l’HbA1c reste au-dessus des objectifs, il faudra intensifier le traitement pour optimiser le contrôle glycémique.
La SFD espère que cette nouvelle prise de position trouvera un large écho auprès des cliniciens et qu’elle sera source d’inspiration pour les prochaines recommandations de la Haute Autorité de Santé, que l’on attend toujours depuis 2013.
Exergue : « Si l’on sort du glucocentrisme seul, le contrôle de la glycémie reste toutefois essentiel, et si les médicaments prescrits pour la protection cardiovasculaire ou rénale ne suffisent pas à atteindre les objectifs d’HbA1c, il faudra intensifier le traitement »
CHU La Conception, Marseille