Si l’on pensait tout connaître de l’HTA, les récentes « Journées de l’hypertension artérielle » ont montré qu’il n’en est rien. Après la publication de l’étude Sprint, la question de l’objectif tensionnel « idéal » revient en force et suscite le débat. Tandis qu’au quotidien de nombreux hypertendus restent mal contrôlés.
Faut-il être plus exigeant en matière de PA et revoir à la baisse les objectifs tensionnels des patients hypertendus ? Certaines publications récentes plaident dans ce sens et remettent au goût du jour la thèse du « lower is better » en matière d’HTA. Mais la question est loin d’être tranchée comme en témoignent les échanges qui ont eu lieu sur ce thème lors des 35es Journées de l’hypertension. Et la théorie de la courbe en J compte encore de nombreux adeptes qui appellent à la prudence, du moins chez certains patients…
Le spectre de la courbe en J
Le concept de la courbe en J - selon lequel au-delà d’un certain seuil, la baisse de la PA pourrait être plus délétère que bénéfique - n’est pas nouveau et constitue « un véritable serpent de mer de l’HTA », comme l’a souligné le Dr Alexandre Persu (Bruxelles) lors de la cérémonie d’ouverture du congrès. Pendant la première moitié du XXe siècle, l’élévation tensionnelle était même considérée comme un mécanisme bénéfique de préservation de la perfusion des organes. Les premiers essais thérapeutiques dans l’HTA sont venus tordre le cou à cette vision des choses et promouvoir l’idée du « lower is better», sans pour autant chasser complètement l’idée d’un lien entre perfusion tissulaire et PA.
Dès la fin des années 70-80 la possibilité d’une courbe en J a refait surface étayée par la publication de Stewart en 1979. Cette étude mettait en évidence un risque d’infarctus multiplié par 5 chez les patients dont la PAD en fin d’étude était < 90 mm Hg. Depuis, des résultats similaires ont été rapportés dans de nombreuses études observationelles et analyses post-hoc d’essais randomisés avec, là encore, une hausse de l’incidence des événements coronaires en dessous d’un certain seuil de PA (PAD essentiellement mais aussi PAS dans l’étude Ontarget). Le phénomène n’a, en revanche, pas été décrit pour l’AVC dont l’incidence décroît de façon linéaire avec les chiffres tensionnels.
La dynamique de perfusion très spécifique des coronaires pourrait expliquer en partie ce constat. « Contrairement au cerveau ou au rein pour lesquels il existe une large zone de PA où l’autorégulation permet de préserver la perfusion des organes, au niveau cardiaque, la perfusion dépend essentiellement de la diastole car le myocarde comprime les vaisseaux intra-coronaires pendant la systole, compromettant ainsi le flux coronaire ». Cette théorie a été confirmée par différents travaux expérimentaux.
« Il existe donc beaucoup d’arguments physiologiques et de données d’études en faveur de la courbe en J, résume le Dr Persu, mais nombre d’entre eux peuvent être déconstruits ! ».
Par exemple, « est-ce que la courbe en J ne serait pas un simple marqueur d’un plus mauvais état de santé reflété par une PA basse et non l’inverse? », s’interroge le spécialiste. Une ré-analyse de l’étude Sister, focalisée sur l’évolution de la mortalité cardiovasculaire et non cardiovasculaire en fonction des niveaux de PA des patients, vient étayer cette hypothèse. Elle montre que le risque de décès augmente certes en dessous d’un certain seuil de PAD (70 mmHg environ) mais ce sur-risque concerne uniquement la mortalité non cardiovasculaire et se retrouve tant dans le groupe traitement actif que dans le groupe placebo . « Il y a donc fort à parier qu’on a à faire à des patients fragiles et non à un effet néfaste du traitement », décrypte le Dr Persu.
Autre argument allant dans ce sens : dans certaines des études « à charge », la courbe en J disparaît après un ajustement intensif sur les facteurs de risque associé à une PA basse. Enfin, et surtout, les rares essais randomisés spécialement conçus pour tester différents niveaux de PA, ne plaident pas en faveur de la courbe en J. Chez le diabétique hypertendu, l’étude Accord HTA ne met ainsi en évidence aucun bénéfice, mais aucun sur-risque non plus, pour les patients bénéficiant d’un traitement intensif de la PA par rapport à un traitement standard.
Sprint ou la revanche du « lower is better » ?
L’étude Sprint, qui a fait grand bruit fin 2015, va encore plus loin en montrant pour la première fois de façon claire qu’un traitement intensif visant un objectif tensionnel ambitieux (PAS <120) chez des sujets à risque (mais non diabétiques) diminue la morbimortalité cardiovasculaire et la mortalité toute cause par rapport à une stratégie moins agressive calée sur un objectif tensionnel « classique » (PAS <140). Malgré une augmentation non négligeable du risque d’hypotension, les bénéfices semblent particulièrement marqués chez les patients dont la PA était la plus abaissée. Preuve que la courbe en J pourrait bien ne pas résister aux essais randomisés.
Est-ce pour autant le retour en force du « lower is better » ? Pas si sûr. Car, si l’étude Sprint « apporte la preuve du bénéfice associé à un objectif tensionnel plus bas que ceux couramment recommandés », comme le soulignent ses auteurs, de nombreux praticiens restent pour le moment frileux et appellent à la prudence, notamment chez certains sujets à risque.
Chez le coronarien, les guidelines internationales fixent un objectif de PA à 140/90 avec la possibilité d’être un peu plus agressif pour les patients les plus à risque (antécédents d’infarctus, d’AVC ou de maladie artéritique périphérique ). Suite aux résultats de l’étude Sprint, « il va peut-être falloir revoir nos pratiques et envisager chez certains patients des objectifs un peu plus stricts », reconnaît le Dr Etienne Puymirat (Paris), qui retient cependant « un seuil inférieur à ne pas franchir, aux alentours de 130 pour la PAS et 60/70 pour la PAD, compte tenu de la courbe en J ». « En vertu du principe de précaution, il paraît raisonnable d’éviter un abaissement excessif de la diastolique chez les patients atteints ou à risque de maladie ischémiques », appuie le Dr Persu. Au risque cependant « de privilégier la prévention de l’infarctus au détriment de celle de l’AVC ».
La prudence semble aussi de mise pour les insuffisants rénaux. Selon le Pr Fayal Jarraya (Sfax) un contrôle strict (PAS < 130) pourrait être légitime chez des patients plutôt jeunes présentant une protéinurie, sans maladie cardiovasculaire connue, avec une PAD normale mais ne pas être justifiée dans les autres situations.
Cas par cas
Alors que les dernières recos françaises avaient fixé un objectif tensionnel unique pour tous (PAS comprise entre 130 et 139 et PAD <90), la tendance semble donc à revenir au cas par cas. Une propension au « sur-mesure » qui ne fait pas l’unanimité. « Il s’agit d’avis d’experts mais ce n’est pas du tout ce que disent les essais thérapeutiques », estime le Pr Jacques Blacher (Paris). Dans l’étude Sprint, tous les sous-groupes semblent d’ailleurs bénéficier du traitement, y compris les coronariens.
Pour le président de la Société française d’hypertension, plutôt que de vouloir personnaliser l’objectif tensionnel en fonction des comorbidités du patient, mieux vaudrait peut-être s’attacher déjà à écarter les patients à risque d’hypotension orthostatiques en mesurant la PA en position debout, comme dans l’étude Sprint. « Si un patient à 14 de systolique en position assise et 10 en position debout, il ne faut sûrement pas baisser ses chiffres de PA . Quant au patient ayant 14 en position assise et debout, a-t-on intérêt à aller plus loin dans la réduction des chiffres de PA ? On commence à avoir quelques données dans le sens du oui, répond le Pr Blacher, mais aujourd’hui clairement on ne sait pas quel est le niveau tensionnel optimal… »
Dans ce contexte, le groupe de travail qui planchera sur les prochaines recos françaises sur l'HTA risque d'avoir du fil à retordre. n