Humeurs

Comment évoquer les guerres dans les revues médicales ?

Publié le 26/04/2024
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Les revues peuvent soit ignorer les guerres soit les évoquer avec le risque d’être prises dans des luttes partisanes. Avec les conflits actuels, les rédactions sont vigilantes. Les rédacteurs veulent éviter les articles militants, provenant de chercheurs ayant pour objectif de défendre l’un des belligérants. Faut-il pour autant décourager les auteurs d’exprimer une opinion politique dans les articles ?

Les revues reçoivent des manuscrits sur les conséquences des guerres. Ce sont des données originales de chercheurs confrontés aux guerres et ayant observé des lésions et/ou un système de soins, comparé des interventions, observé des cas cliniques uniques. L’évaluation par les pairs permet d’identifier si les auteurs sont militants d’une cause plutôt que des chercheurs impartiaux. Les autres types d’articles sont des éditoriaux, des opinions, des commentaires. Les comités de rédaction peuvent aussi avoir leurs opinions… qui influencent les décisions.

Dans tous les cas, les auteurs aussi doivent être vigilants et déclarer leurs liens d’intérêt financiers, mais surtout non financiers (support d’organisations humanitaires, engagement politique). Dans l’histoire, il y a eu quelques surprises.

Seconde guerre mondiale : qu’ont fait les revues scientifiques ?

Dès 1933, la revue Science a évoqué la liberté académique en Allemagne, et décrit le régime nazi et son idéologie, et le Journal of the American Medical Association (JAMA) a publié chaque mois deux à quatre Lettres de Berlin d’un correspondant local. L’attitude du New England Journal of Medicine (NEJM) a été différente : ils ont publié un article complaisant en 1935 décrivant des pratiques médicales nazies, par exemple défendant les stérilisations forcées. Il a été montré plus tard que les auteurs avaient des sympathies partisanes. Puis aucun article sur le nazisme dans le NEJM jusqu’en 1949 : un neuropsychiatre américain ayant colligé des preuves pour le procès des médecins nazis (Nuremberg) a alors condamné les atrocités.

Lettre ouverte pour le peuple de Gaza : tourmente au Lancet

Le 22 juillet 2014, The Lancet a publié une lettre dont le premier paragraphe était : « Nous sommes des médecins et des scientifiques qui passent leur vie à développer des moyens de soigner et de protéger la santé et la vie. Nous sommes également des personnes informées ; nous enseignons l'éthique de notre profession, ainsi que les connaissances et la pratique de celle-ci. Nous avons tous travaillé et connu la situation de Gaza pendant des années. Sur la base de notre éthique et de notre pratique, nous dénonçons ce dont nous sommes témoins dans l'agression de Gaza par Israël ». Les liens d’intérêts de certains auteurs n’ont été connus qu’a posteriori, notamment leurs engagements pour des organisations humanitaires. The Lancet a dû ensuite publier 20 lettres pour exprimer les vues des deux parties (10 lettres pour chaque camp). Le médiateur a fait un rapport et le rédacteur en chef, Richard Horton, s’est déplacé à l’Université Rambam en Israël pour calmer les esprits.

Les controverses : peut-on publier sur les guerres sans évoquer la politique ?

Un éditorial du BMJ Global Health du 18 octobre 2023 a eu pour titre « La violence en Palestine exige que l'on règle immédiatement les causes profondes de la colonisation ». Cet éditorial a été commenté dans une lettre le 7 novembre 2023 intitulée « Importance d'une vision plus large de la guerre entre Israël et le Hamas ». Ces éditoriaux engagés ont été suivis d'autres confrontations entre des chercheurs.

Le JAMA a publié 4 lettres sur ces controverses. La dernière lettre du 28 mars 2024, signée de la rédactrice en chef, commence ainsi : « Greenland et al suggèrent que les articles traitant des soins de santé et des conséquences sanitaires en temps de guerre devraient éviter de discuter de la politique de guerre… L'application de la modération du contenu par les rédacteurs médicaux est basée sur la qualité et l'importance de la science et des perspectives pour la médecine et la santé publique. » Elle sous-entend que commenter les aspects médicaux, sociaux, et aussi politiques est acceptable.

L’éditorial du 6 avril 2024 du rédacteur en chef du Lancet « La mort de l'immunité civile » est prudent, tenant compte de ses expériences passées. Il se termine ainsi : « Pourtant, en examinant les six derniers mois, une personne raisonnable devrait conclure que les communautés politiques, juridiques, humanitaires et sanitaires internationales n'ont pas assumé leur responsabilité la plus fondamentale, à savoir protéger la vie des civils. La norme de l'immunité civile, un principe éthique et juridique fondamental, a été mise à mort, d'abord par le Hamas, puis par le gouvernement israélien. L'ignominie est pour nous tous ».

Hervé Maisonneuve

Source : Le Quotidien du Médecin