Contribution

Covid long : « Il est important de désactiver au plus vite les cercles vicieux qui amplifient les troubles »

Publié le 14/04/2021

CONTRIBUTION - Suite au live chat du « Quotidien » la semaine dernière pendant lequel elle a échangé avec ses confrères sur le Covid long, le Pr Brigitte Ranque revient sur « l'origine psychosomatique » de beaucoup de ces symptômes, selon elle. Elle profite de cette tribune pour préciser sa démonstration à l'intention des médecins, mais aussi d'éventuels patients, certains des propos de l'interniste sur notre site ayant en effet été vivement commentés sur les réseaux sociaux.

Crédit photo : S. Toubon

Chers confrères et chères consœurs,

Certains patients se sont malheureusement sentis insultés par mes propos lors du live-chat du 8 avril sur les symptômes prolongés post Covid et le font savoir sur les réseaux sociaux. J'avais pourtant accepté de participer à cet exercice en espérant que mon expérience pourrait aider à mieux les prendre en charge. Loin de moi l'idée de dénigrer leurs symptômes et encore moins de les blesser.

Le format rapide et non structuré du live chat ne m'a pas permis d'expliquer en détail mon point de vue. Je ne connaissais pas l'expérience de mon lectorat sur ce sujet émergent et je n'ai donc pas pu m'y adapter. Enfin, je ne pensais pas que mes propos seraient lus par des patients, qui, s’ils ont droit à une information loyale, n’ont pas les mêmes connaissances médicales que vous médecins.

Je me permets donc de reprendre la parole pour m'expliquer davantage. On parle de symptômes prolongés de la Covid lorsque les symptômes perdurent plus de 1 mois ou réapparaissent quelques semaines après l'infection aiguë. En pratique, c’est la persistance durant plusieurs mois de symptômes polymorphes, souvent associés à une grande fatigue, qui est problématique. Dans ce dernier cas, il est nécessaire de mener une enquête diagnostique raisonnable pour ne pas passer à côté de séquelles ou de complications subaiguës de la Covid. Je vous recommande de vous référer aux fiches de réponse rapide de l'HAS qui résument les explorations à pratiquer en fonction des symptômes.

Lorsque l'enquête diagnostique est négative et que les patients ont été sensibles à la réassurance, subsistent des symptômes subjectifs (c’est-à-dire non objectivables par une tierce personne) médicalement inexpliqués, souvent très envahissants avec un fort retentissement sur la vie privée et professionnelle, qui contrastent avec la normalité de l'examen physique et des examens paracliniques. Dans ces situations, mon expérience et celle de nombreux collègues me font penser que la pérennisation de symptômes (initialement viraux) est d'origine psychosomatique. Il ne s'agit pas uniquement d'un diagnostic d'élimination mais d'une très grande similitude de présentation clinique et de réponse aux approches psychocorporelles avec celles de troubles fonctionnels comme le syndrome de fatigue chronique, la fibromyalgie ou le syndrome de détresse corporelle dont je rappelle les critères diagnostiques en encadré.

Syndrome de détresse corporelle (CIM11)

1. Le patient présente au moins 3 symptômes dans au moins un des groupes suivants :

hyperexcitabilité cardiopulmonaire ou autonome : palpitations, oppression précordiale, essoufflement sans effort, hyperventilation, sueurs froides ou chaudes bouche sèche ;

hyperexcitabilité gastro-intestinale : douleur abdominales, selles molles ou trop fréquentes, ballonnement, régurgitation, nausées, brûlures épigastriques ou thoraciques ;

tension musculo-squelettique : douleurs articulaires, musculaires ou des membres, mal au dos, douleurs migratrices, sensation de faiblesse motrice, d’engourdissement désagréable ou de fourmillement ;

symptômes généraux : troubles de concentration, difficulté de mémorisation, maux de tête, vertiges ou instabilité, fatigue excessive.

2. Le patient est handicapé par ces symptômes (sa vie quotidienne en est perturbée)

3. Les diagnostics alternatifs cliniquement pertinents ont été éliminés

Cela ne signifie aucunement que je sous-estime la gravité de ces symptômes, bien au contraire : c'est même pour cela que j'ai décidé de prendre la parole, tout en sachant qu'une exposition médiatique me serait potentiellement très défavorable. Je sais d'expérience que beaucoup de patients ne sont pas prêts à entendre ce point de vue, du moins dans un premier temps, tant leurs symptômes sont physiques et impressionnants.

Pourtant, je ne vois pas en quoi parler de somatisation serait une insulte. Je pense que c'est la méconnaissance de ce qu'est un trouble somatique fonctionnel qui est à l'origine du violent rejet de mes propos. En effet, cela ne signifie pas que les patients « inventent » leurs symptômes ni qu'ils s'y complaisent car la véracité de leur ressenti et dégradation de leur qualité de vie est évidente. Cela veut juste dire que ces symptômes sont produits par leur système nerveux central et non par une lésion de leurs organes. Tout se passe comme si le cerveau était en état d’alerte permanent. Il amplifie voire déclenche au moindre stimulus -externe ou interne- des sensations normalement réservées au signalement d’un danger. Il provoque des réactions sensorielles (douleur, acouphènes, paresthésies…) ou végétatives (tachycardie, tachypnée, diarrhée, sueurs), empêchant par là même un fonctionnement cognitif normal (troubles de l’attention, fatigue…). Il s’agit d’un état que chacun a déjà connu dans sa vie, la différence étant ici sa durée prolongée et le fait que les patients n’attribuent pas spontanément leurs symptômes à un stress ou à une détresse interne.

C'est pourtant bien dans le cerveau qu'un déséquilibre entre différentes voies neurologiques peut expliquer le ressenti physique, la mise en veille de certaines voies cognitives et l'activation du système nerveux autonome. Il n'y a aucune contradiction avec les études scientifiques (qui mériteraient toutefois d’être validées par des études méthodologiquement plus robustes) qui montrent que certaines aires cérébrales ont un métabolisme diminué, c’est-à-dire fonctionnent moins intensément que d'habitude ou que certains neurotransmetteurs sont sur- ou sous-exprimés. Ces constatations sont également faites dans le syndrome de fatigue chronique ou la fibromyalgie.

Un trouble somatique fonctionnel (ou somatoforme) ne relève pas de la psychiatrie comme une dépression ou un trouble anxieux sévère. Toutefois ces deux troubles peuvent y être associés et doivent donc être dépistés et traités comme tels. Ils sont eux-mêmes pourvoyeurs de nombreux symptômes physiques. Les maladies mentales sont malheureusement souvent considérées comme honteuses dans notre société, et c'est probablement pour cela que les patients redoutent qu'on leur attribue une étiquette « psychologisante ».

Je suis pourtant persuadée que ce n'est pas leur rendre service que d’occulter un diagnostic de trouble fonctionnel et que c'est une perte de chance de ne pas débuter rapidement des traitements psycho-corporels adaptés.  Il est en effet important de désactiver au plus vite les cercles vicieux qui amplifient les troubles. Par exemple, la focalisation attentionnelle sur les symptômes, le nomadisme médical, la multiplication des examens complémentaires et les recherches compulsives sur internet augmentent l’anxiété liée à la santé au lieu de la diminuer. Les conduites d’évitement de ce qui semble être les facteurs déclenchants sont également délétères. Notamment la diminution drastique de l’activité physique entraine une désadaptation à l’effort et auto-entretient la fatigue, les troubles du sommeil, la tachycardie et la dyspnée d’effort, les douleurs tendineuses, etc... 

Il faut donc, de mon point de vue, proposer précocement, après vérification de l’absence de problème somatique, voire même en parallèle :

- d’une part des techniques de relaxation (par exemple la méditation pleine conscience, sophrologie…) afin de sortir le cerveau de l’état d’alerte permanente dans lequel il se trouve

- d’autre part une reprise progressive mais régulière de l’activité physique, en tenant compte des aggravations transitoires de fatigue qui ne manqueront pas d’apparaître. L’activité physique aura le triple avantage de réadapter le cœur, les muscles squelettiques et système nerveux autonome à l’effort, de recentrer le fonctionnement cérébral sur une activité motrice, et de produire des endorphines qui vont contribuer au bien-être et diminuer le niveau de stress. Les contre-indications –temporaires- à l’activité sportive sont la présence d’une péricardite ou d’une myocardite (durant 1 mois après disparition des douleurs).

Dans mon expérience, ces approches simples peuvent permettre la guérison des symptômes persistants de la Covid en quelques semaines (y compris les patients devenus grabataires). Le plus difficile est d’obtenir l’adhésion des patients. Pour y parvenir, il est fondamental de les écouter avec empathie, de reconnaître la réalité de leurs symptômes et de leur souffrance, de leur donner des explications physiopathologiques et de s’adapter à leurs préférences de prise en charge. Parfois un accompagnement initial est nécessaire sur le plan psychologique et/ou physique (rééducateur sportif ou kinésithérapeute). Cela ne doit pas nous prémunir de poursuivre un suivi somatique attentif en parallèle. Si ces techniques ne suffisent pas, une thérapie cognitivo-comportementale de remédiation cognitive peut être proposée, ainsi que des techniques plus difficiles d’accès de type EMDR (eye movement desensitization and reprocessing).

Chers confrères et chères consœurs, quelle que soit la nature encore très polémique du sujet, soyez assurés que ma seule volonté est d’aider les patients à guérir au plus vite de leurs symptômes pénibles et invalidants.

Cette contribution n’a pas été rédigée par un membre de la rédaction du « Quotidien » mais par un intervenant extérieur. Nous publions régulièrement des textes signés par des médecins, chercheurs, intellectuels ou autres, afin d’alimenter le débat d’idées. Si vous souhaitez vous aussi envoyer une contribution ou un courrier à la rédaction, vous pouvez l’adresser à jean.paillard@lequotidiendumedecin.fr.

Pr Brigitte Ranque (hôpital européen Georges-Pompidou)

Source : lequotidiendumedecin.fr