Les liens d’intérêts des experts sont nombreux, et c’est une reconnaissance de leur expertise. Certains liens peuvent cependant être à l’origine de conflits d’intérêts. Le conflit survient quand l’expert sert deux maîtres. Il doit parfois privilégier l’un des deux quand il est en situation de décision. La gestion des liens d’intérêts est complexe. Selon la situation de l’expert (communication à un congrès, publication scientifique, ou participation dans un groupe d’experts), trois stratégies existent : la transparence, la prohibition avec mise à l’écart, ou la tolérance totale.
La plupart des congrès scientifiques ont une politique de transparence. Ils demandent aux experts qui font une communication orale de présenter une diapositive intitulée « Liens d’intérêts ». L’orateur doit décrire ses liens en relation avec l’exposé qu’il va faire. Les liens financiers et non financiers devraient être déclarés. La plupart des experts semblent ne pas bien comprendre comment faire cette diapositive, malgré des instructions sur les sites des congrès.
Plus il existe de liens, plus la diapo passe vite
Deux chercheurs écossais ont évalué les déclarations des liens d’intérêts des orateurs du congrès du Comité européen du traitement et de la recherche sur la sclérose en plaques à Stockholm, en Suède, en 2019. Après le congrès, ils ont visualisé les présentations enregistrées de 240 experts et analysé les diapositives déclarant les liens d’intérêts. Leurs observations confirment nos impressions (1).
Ces chercheurs ont compté le nombre de liens d’intérêts listés sur la diapositive dédiée. Sur les 240 orateurs, 24 % n’avaient pas de liens, 66 % des liens moyens (de un à neuf liens déclarés) et 10 % des liens importants 10 liens et plus). Il existait une corrélation inverse entre le nombre de liens et la durée de présentation de la diapositive ! Pour ceux qui n’avaient pas de liens, la diapositive était présentée six secondes, pour des liens moyens 4,7 secondes et pour des liens importants 2,9 secondes. Ils ont compté le nombre de mots de la diapositive et montré que les diapos des orateurs avec des liens importants étaient illisibles… Il fallait lire 40 mots par seconde. Normalement, un participant peut en lire 3,8 par seconde. Pour les 31 orateurs américains, ces chercheurs ont consulté la base "Open payments" dans les trois ans avant le congrès. Ils ont constaté une corrélation entre le nombre de liens et la quantité d’argent déclarée. La valeur moyenne de chaque lien déclaré était de 23 500 USD.
Ces données sont-elles généralisables à d’autres spécialités ? Pour moi, oui, mais vous avez peut-être un avis différent. Il serait intéressant de faire la même étude dans d’autres disciplines comme la cancérologie, la cardiologie, la rhumatologie, voire dans la plupart des spécialités médicales.
Ces drôles de déclarations trompent des auditeurs naïfs
La déclaration des liens d’intérêts en relation avec la communication orale est une hypocrisie. Ces déclarations sont insuffisantes, et peuvent mettre en confiance à tort un public peu averti. Ces déclarations se limitent souvent aux liens financiers avec des industriels ayant un rapport avec le thème présenté. Les liens financiers dits négatifs sont oubliés. Ce sont les liens avec des industriels concurrents mais sans engagement dans les recherches exposées. Ces liens négatifs ont une influence. Les liens non financiers sont oubliés, que ce soient des liens avec des proches parents, voire des engagements caritatifs, confessionnels, etc. Des courants de pensée peuvent avoir un impact sur une communication. Imaginons un obstétricien qui fait un exposé engagé sur les interruptions volontaires de grossesse. Il a ses opinions et peut-être des engagements ayant un impact sur ses recherches ?
La transparence devient une bureaucratie, mais avec quel impact ? Il faut tout déclarer avant d’ouvrir la bouche. Oublier et sous-déclarer des liens sont des pratiques communes. La chasse aux sorcières éliminant des orateurs corrompus n’est pas une stratégie souhaitable. Il reste la tolérance qui consiste à ne rien demander aux experts… pour rendre la vie plus facile à tout le monde.
(1) JAMA Netw Open. 2021;4(4):e212167
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