Il y a quelques jours de cela une patiente, assez confuse, vient à mon cabinet pour m’expliquer qu’elle ne pourra pas réaliser les examens cardiovasculaires demandés. Cette jeune retraitée présente une dyspnée en relation avec un probable rétrécissement aortique serré. Lasse d’avoir dépensé une somme assez conséquente pour effectuer son bilan sanguin, et son scanner pulmonaire (il est effectué régulièrement du fait d’un nodule inférieur à un centimètre), cette dernière explique qu’elle ne peut plus rogner sur son budget car sinon elle a de grandes chances d’être à découvert avec sa banque.
En fait cette personne bénéficiait auparavant des avantages en relation avec son activité professionnelle, et ne déboursait pas un centime pour avoir une couverture maladie de qualité. Étant en retraite, cette dernière devait débourser une certaine somme (elle la jugeait trop rondelette) pour obtenir cette assurance santé privée. Consciente de ce nouveau poste de dépense, et compte tenu de ses revenus réduits, cette personne s’est vue contrainte de ne pas souscrire une mutuelle. Aussi, alors qu’elle était insouciante durant son activité professionnelle en ce qui concerne les frais induits par sa petite personne, elle est actuellement obligée d’effectuer uniquement les soins médicaux nécessaires.
Un cas qui n’est pas isolé
Cet exemple n’est pas un cas isolé, et concerne de nombreux Français qui n’ont pas de retraites très importantes, mais suffisante pour ne pas bénéficier d’une aide de l’État.
Cette situation est quelque peu dérangeante pour un professionnel de santé à plusieurs titres. Le fait qu’il sera obligé de prendre des risques plus importants, cela en sachant que pour ces citoyens il est hors de question de demander des examens non contributifs au diagnostic : comment savoir pour un médecin si un examen est ou non contributif ? Le fait que ces personnes sont le plus souvent conscientes de leur situation financière et désertent les cabinets médicaux. Par voie de conséquence nous les voyons trop tardivement parfois
Une proposition de changement de paradigme dans le domaine du remboursement
Conscient de la charge budgétaire dont il a hérité, notre nouveau Premier ministre souhaite (cela n’est pas encore acté) réduire les remboursements des frais médicaux par la Sécurité sociale, et les reporter sur les mutuelles. Nous pouvons parfaitement comprendre le fait que le poids de la dette de notre pays est énorme, et qu’il est nécessaire de trouver des solutions rapides et efficaces pour la réduire. Bien entendu nous avons rapidement pu entendre les réactions peu nuancées de ces institutions privées qui ont expliqué que les tarifs allaient être augmentés en conséquence.
En tant que médecins nous avons le devoir de faire remonter des dérives éventuelles de ces dispositions
Cependant en agissant ainsi, il est probable que cette mesure conduise inexorablement vers une plus grande précarité de certains patients (notamment ceux qui ont pu jusqu’à présent avoir les ressources pour s’acquitter du paiement, et qui ne pourront plus dans un avenir proche) qui n’auront pas d’autre choix que de différer certains traitements ou soins urgents. Au-delà de cette prise en compte il est certain que la morbimortalité de cette population a de grandes chances d’être impactée par de telles mesures.
Et en tant que médecins nous devons être vigilants, et nous avons le devoir de faire remonter des dérives éventuelles de ces dispositions.
Ce qui me choque, c’est de voir que nous avons trois types de condisciples : ceux qui n’ont pas de revenus et qui seront toujours pris en charge intégralement, ceux qui ont des revenus conséquents et peuvent accéder aux soins qu’ils désirent (avec ou sans dépassements d’ailleurs), et ceux qui ne sont pas très argentés mais suffisamment pour ne pas avoir la gratuité des soins. Ce sont ces derniers qui n’auront pas accès aux soins comme les autres.
Comment dans ce cas ne pas parler de discrimination aux soins ?
« La vertu de justice est de l’essence de la société civile, car l’administration de la justice est de l’ordre même de la communauté politique, elle est une discrimination de ce qui est juste » (Aristote).
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