Imaginons un jeune enfant issu d'une procréation médicale assistée, union de deux femmes, puisque tel est ce que la loi va prochainement permettre. Le voilà arrivé au stade où il s'intéresse à ses antécédents. Comme de coutume, le médecin de famille l'interroge sur sa généalogie pour lui faire son dossier médical.
Question : « quels sont tes antécédents médicaux, chirurgicaux, génétiques, allergiques, tensionnels, psychiques, de ta mère et de tes grands-parents ? » « Ma mère ? Laquelle ? Maman 1 ou maman bis ? » Il énumère ce qu’il sait des antécédents de sa mère génétique.
Le médecin l’interroge : « Et ton père ? » « PMA » répond-il. Alors, Le médecin de famille barre d’un trait transversal la page du dossier médical concernant le père et appose la mention « néant ».
Monsieur néant, tel est le nom du père. Comment se construire avec un père néant, c'est-à-dire forclos, terme utilisé et emprunté au psychanalyste, Jacques Lacan pour évoquer le défaut de nomination paternel dans la formation d’une psychose. Bien sûr, il n’est pas question ici d’établir un lien entre PMA et psychose, loin s’en faut.
Pour cet enfant, la place du père est impensable, il y a un impossible, un point aveugle dans sa construction psychique. Autrefois on disait, certes de façon puérile, «papa a mis la petite graine dans le ventre de maman et tu es né». Qu'est-ce que la petite graine dans ce cas-là : c'est un spermatozoïde issu d'un tiroir de la banque du sperme issu d'un monsieur sans nom, sans représentation.
Évoquer cette histoire de la petite graine, permettait maladroitement de satisfaire la curiosité infantile du comment on fait des enfants. La curiosité concernant la scène primitive que l’on croit halluciner ou deviner en regardant dans la chambre parentale par le trou de la serrure n’est pas satisfaite dans ce cas-là. Pourtant, cette fantasmatique permet de construire une histoire, un roman familial.
Dans le cas de l’enfant issu d'une PMA de l’union entre deux femmes, il y a un point aveugle à penser ou imaginer une représentation paternelle de la personne qui a donné XY : pas d’antécédents paternels, pas de scène primitive représentable, imaginable.
On peut rétorquer que dans les familles monoparentales, ou recomposées, le père est souvent absent. Le père est absent, certes, mais pas forclos. Il existe une représentation de ce père dans la psyché maternelle, des photos peuvent également témoigner de son existence. Parfois, un beau jour, celui-ci se pointe, preuve qu’il est vivant et pense à l’enfant qui n’a jamais élevé.
Comment se construire dans cette mutation anthropologique, où l’éviction du père se fait par la loi et la technique ? Ce qui n’est pas rien.
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