Les pharmaciens seront bientôt autorisés à délivrer certains médicaments habituellement soumis à prescription médicale. Après avoir provoqué un tollé chez les médecins lors de son examen à l'Assemblée, le texte sera examiné dans les prochains jours au Sénat. Si les pharmaciens approuvent unanimement cette disposition (90,4 %), elle a encore beaucoup de mal à passer chez les généralistes (37 % y sont favorables), confirme le sondage exclusif réalisé par l'institut Callmedicall pour Le Généraliste et Le Quotidien du Pharmacien.
C’est une mesure qui aura marqué les débats de la loi Santé. C’est aussi celle qui a le plus hérissé les médecins. Un amendement porté par le député-médecin et rapporteur de la loi Thomas Mesnier (Charente) va autoriser la délivrance de certains médicaments soumis à prescription médicale directement en pharmacie. Adopté fin mars en première lecture à l’Assemblée nationale, le texte sera examiné en séance publique au Sénat à partir du 3 juin. Inspiré du système suisse “NetCare”, cet amendement prévoit de permettre aux pharmaciens d’officine « de dispenser des produits de santé de premier recours pour des situations simples en suivant des arbres de décision bâtis entre pharmaciens et médecins ». Le traitement de cystites aiguës ou de certaines angines est évoqué. Cette évolution devra se dérouler dans le cadre d’un exercice coordonné selon un protocole mis en place avec la HAS, avec retour d’information au médecin traitant.
Craignant un glissement vers le pharmacien de la compétence de prescription, l’ADN de l’exercice médical, et ainsi une évolution des contours des métiers, les syndicats de médecins libéraux se sont élevés à l’unisson contre cette mesure. « Cela va faire changer les pharmaciens de métier et dégrader les conditions de prise en charge des Français. On peut dire d’une angine ou d’une cystite qu’elle est simple seulement une fois qu’on a examiné le patient », avait affirmé le président de la FMF Jean-Paul Hamon lors d’un débat organisé avec le député Mesnier sur RTL. MG France avait lui mis en garde contre le risque du « démantèlement du métier » de généraliste.
Un faux débat ?
Le gouvernement défend cet amendement pour décharger les généralistes de certains actes et répondre à la crise des déserts médicaux. « Il faut apporter des solutions concrètes dès maintenant, car la suppression du numerus clausus n’aura des effets que dans 10 ans », avait défendu le député Mesnier face au Dr Hamon. Sur le terrain, la polémique a toutefois entraîné « des crispations inutiles entre médecins et pharmaciens », observe aujourd’hui le président des Généralistes-CSMF, le Dr Luc Duquesnel.
Il semble en effet que la forme de ce débat irrite plus que le fond. Loin des discussions parlementaires, des protocoles entre médecins et pharmaciens existent déjà depuis plusieurs années sur le terrain. C’est le cas par exemple du renouvellement d’une prescription de contraception. Dans les faits, il n’est pas rare que les pharmaciens dépannent déjà les patients dans certains cas. « En tant que généraliste, il m’arrive d’avoir le pharmacien au téléphone qui me demande de pouvoir délivrer un traitement à un patient pour son eczéma, confiait dans nos colonnes le Dr Delphine Bagarry, généraliste et députée LREM des Alpes-de-Haute-Provence, qui avait déposé un amendement au dernier budget de la Sécu, finalement retoqué. Nous voulons aussi encadrer une pratique qui se fait déjà illégalement. Avec un protocole bien défini, le parcours du patient sera ainsi sécurisé. »
« Si les choses doivent évoluer c’est bien après des discussions entre médecins et pharmaciens et pas dans l’enceinte de l’Assemblée nationale », avait prévenu la CSMF. L’amendement Mesnier précise bien que ce dispositif s’inscrira « dans le cadre d’un exercice coordonné » et « selon des protocoles établis par la HAS ». Le terme de “prescription” n’est d’ailleurs jamais utilisé dans le texte, qui privilégie les termes “dispenser” et “délivrer”.
Les généralistes restent à convaincre
Mais qu’en pensent les principaux concernés ? Le Généraliste, en partenariat avec Le Quotidien du Pharmacien, a posé la question à 1 066 officinaux et 1 066 médecins généralistes. Le sondage réalisé par Callmedical entre le 5 avril et le 3 mai 2019 révèle sans surprise un enthousiasme beaucoup plus fort chez les pharmaciens. Ils sont neuf sur dix à être favorables à l’autorisation de prescrire dans le cadre d’une dispensation protocolisée, contre à peine 37 % chez les médecins de famille. Il a également été demandé aux sondés dans quels cas ils envisageraient cette dispensation.
Les cas de figure les plus plébiscités par les généralistes sont la vaccination antigrippale (80 %), déjà mise en place en pharmacie et qui sera généralisée à l’automne. Ensuite, viennent les actions de santé publique (tabac, dépistage) et le renouvellement d’ordonnance (sept médecins sur dix). La contraception et le suivi de certaines pathologies chroniques sont moins envisagés, avec respectivement 33 et 35 % d’avis favorables seulement. La prise en charge de certains soins non programmés (cystite, conjonctivite, angine, rhinite), prévue dans l’avenant Mesnier, ne semble pas être la priorité des généralistes : 42 % des répondants sont partants. Chez les pharmaciens, on dépasse les 80 % de convaincus dans tous les cas de figure. Seule la contraception ne recueille que 60 % de votes favorables. Ceci peut s’expliquer par le fait que des protocoles de délivrance (pilule du lendemain, renouvellement de pilule) sont d’ores et déjà mis en place.
Signe que le sujet demeure tout de même sensible sur le terrain, aucune des raisons avancées pour justifier la dispensation protocolisée n’est acceptée par les médecins généralistes sondés, dont une majorité (52 %) est défavorable à la mesure : qu’il s’agisse de l’optimisation du temps médical, de l’évolution des compétences, de l’égalité d’accès aux soins ou encore de la demande de la population. Les pharmaciens sont au contraire persuadés à une très large majorité que tous ces facteurs doivent amener à des protocoles de dispensation en officine.