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Dossier

Ces confrères qui veulent tout laisser tomber...

Quand dévisser sa plaque devient une évidence...

Publié le 27/03/2015
Quand dévisser sa plaque devient une évidence...


VOISIN/PHANIE

Ils sont nombreux à juger un jour que la coupe est pleine. Trop de patients, trop de tâches administratives, trop de charges financières… Bref, suffisamment de raisons conduisant de plus en plus de médecins généralistes à dévisser la plaque de leur cabinet bien avant l’âge de la retraite. Pourquoi ce désenchantement pour la profession ? Que deviennent ces médecins et que faudrait-il envisager pour arrêter l’hémorragie ? Tentative de réponse...

Bien que le sujet soit d’une criante actualité, il est difficile de trouver, au niveau national, des chiffres récents illustrant la vague de « démissions anticipées » qui sévit chez les généralistes. Selon l’Atlas 2011 du Conseil de l’Ordre des Médecins, 927 médecins, dont 62 % de généralistes, ont renoncé à l’exercice libéral en 2011 avant d’avoir atteint l’âge de la retraite. En 2010, le nombre de « déplaqueurs » s’élevait à 903 avec une moyenne d’âge de 54 ans. L’on sait d’eux, au niveau national, qu’ils exerçaient en majorité dans les villes et sont à 64 % des hommes. D’après les chiffres d’une étude du Credes sur « L’évolution de la carrière libérale des médecins généralistes selon leur date d’installation (1979-2001) », un médecin sur cinq arrête son activité libérale en tant que généraliste en cours de carrière et avant l’âge légal de la retraite à 65 ans. Conséquence directe, entre les arrêts anticipés d’activité, le manque d’attractivité de cette spécialisation chez les étudiants et les réticences des jeunes médecins à l’installation, MG France annonce qu’il n’y aura plus en 2025, que 31 000 généralistes, contre 54 000 actuellement...

« Médecin généraliste, c’est la honte. C’est comme ça depuis que le monde tourne », assène sur son blog Jaddo, une jeune généraliste (« Les histoires d’un jeune généraliste, brutes et non romancées », www.jaddo.fr). Les causes de son désenchantement et de celui de ses confrères pour leur métier sont multiples et leurs voix unanimes pour les dénoncer. Il y a tout d’abord une question de fond, soulevée par le Dr Paul Le Meut, auteur du livre « Médecine Générale - Courage, fuyons ! » (ed. Perce-Mémoire). Comment expliquer que 55 à 58 % des médecins diplômés en médecine générale n’exercent jamais ? Simplement explique-t-il, car la place faite à la médecine générale en France n’est pas celle qu’elle devrait être. « Il ne s’agit pas d’un désenchantement par rapport à la relation au patient mais par rapport au contexte. » On ne parle pas de désamour du métier, précise ce médecin qui a quitté l’exercice libéral un temps avant d’y revenir : « Le plus grave est que ceux qui partent aiment leur métier. Mais ils sentent que les pouvoirs publics ont une vision très péjorative de la profession. La médecine générale n’est pas vue comme une vraie spécialité. Tous pensent qu’on est là pour faire des sous ».

Le Dr Le Meut dénonce également le peu d’intérêt des syndicats pour cette problématique alors que les « déplaqueurs » invoquent tous un épuisement professionnel, un décalage entre l’idée qu’ils se faisaient du métier et leurs conditions réelles d’exercice, une patientèle exigeante et sans concessions, un environnement institutionnel hostile à leur égard, un manque de reconnaissance des politiques, une surcharge de responsabilités administratives et une incompatibilité entre la vie privée et la vie professionnelle. « Je me suis installé en 2007, au lendemain de ma soutenance de thèse, hyperconvaincu par la médecine générale et certain que le métier était sensationnel », fait remarquer le Dr Stéphane Pinard qui, exaspéré, a fermé un jour son cabinet de Dourdan sur un coup de tête.

Un travail usant

Selon les chiffres d’une thèse soutenue à Grenoble en avril 2014 par Maryline Ramos Da Cruz sur « les facteurs déterminant le départ anticipé des médecins généralistes », 46 % des répondants avouent avoir vécu une situation d’épuisement professionnel et 40,1 % souhaitent réaliser une cessation anticipée. À l’instar de cette enquête, on peut citer l’expérience vécue par Borée (son pseudo sur le net ; http://boree.eu) installé au début de sa carrière dans une région isolée et loin de toute structure universitaire. En cinq ans, Borée n’a vu passer qu’un seul interne en stage. Ainsi, plusieurs années avant de quitter son cabinet, ce médecin généraliste n’était déjà plus en mesure d’accueillir de nouveaux patients : « J’avais 800 patients et, parmi eux, de nombreuses ALD, personnes âgées… ». Avec le départ en retraite annoncé des quatre médecins du canton voisin, les conditions de travail devenaient impossibles. Impossibles également pour le Dr Pinard, ce généraliste passionné qui a rapidement vu défiler dans son cabinet entre 40 et 50 patients par jour. Très vite, les premiers symptômes de burn out sont apparus. « J’étais encore très jeune et je me suis senti dépassé. J’ai aussi souffert de l’isolement professionnel et de l’impossibilité d’échanger avec d’autres médecins ».

Un métier en déliquescence

Mais c’est surtout la prise de conscience de la déliquescence du métier qui a déclenché le souhait de reconversion du Dr Pinard. « Lorsque l’on voit 50 patients par jour, le temps manque pour traiter des cas “intéressants”, explique-t-il. Je ne faisais plus d’aide médicale d’urgence, je déléguais aux urgences les cas complexes pour ne plus faire que de la paperasse (certificats enfants malades, sport, assurances, lettres aux confrères…). J’avais fait 12 ans d’études pour gérer de l’administratif et exercer un métier vidé de son sens ».

Le Dr Michel Alessandri, installé à Marignane dans les Bouches-du-Rhône, fait partie de ces médecins épuisés mais qui n’ont pas encore lâché par fidélité Pour lui, aimer son métier n’est possible que lorsque ce que l’on fait a du sens. « J’effectue entre 10 500 et 12000 actes par an et je passe les deux tiers de mon temps à gérer des procédures diverses, des dossiers, le cabinet, des revendications sociales… Sans compter que je subis de la part des patients une multitude de manques de respect, de situations équivoques, voire critiques… ». Alors qu’il serait aujourd’hui question de confier la vaccination aux pharmaciens, les généralistes vivent mal l’évolution et le dépeçage de leur métier. Et pour certains le harcèlement des caisses n’a rien arrangé.

Le spectre du tiers payant généralisé…

C’est le projet de tiers payant généralisé qui incite le Dr Chaix, généraliste niçois à quitter le navire à 66 ans alors qu’il aurait pu rester en activité quelques années encore. Il n’est pas farouchement opposé au tiers Payant, reconnaît-il : « On le fait déjà pour les patients les plus nécessiteux. Mais de là à le généraliser de façon obligatoire pour un acte à 23 euros… C’est une usine à gaz administrative ingérable au quotidien. Il faudrait pouvoir embaucher quelqu’un ! ». Ce médecin redoute également un transfert de la patientèle des urgences vers les salles d’attentes des généralistes devenus « gratuits » et dénonce le spectre d’une médecine à deux vitesses. Celle pour les plus riches chez des médecins ne pratiquant pas le tiers payant et celle des salles d’attente surchargées de patients cherchant la gratuité des soins. Les choses ne tournent pas rond, ironise le Dr Chaix : « Les Français sont prêts à payer entre 60 et 140 euros une échographie ludique pour voir leur bébé, leur ostéopathe non remboursé ou leurs cigarettes chaque mois, mais refusent de dépenser quelques euros pour un sirop déremboursé ! ».

… Et celui de l’accessibilité

Si le tiers payant est l’une des gouttes qui fait déborder le vase, la loi Accessibilité en est une autre. Exerçant depuis 37 ans dans les quartiers nord de la ville de Bourges, le Dr Jean-Marie Rivière et ses deux confrères rendent leur tablier. Leur cabinet est situé au premier étage d’une tour non conforme aux normes handicapés. « Nous assumons 6 000 euros de frais fixes tous les mois, avec des honoraires qui n’ont pas bougé depuis des années », explique le généraliste berruyer. Ainsi, pas de burn out chez le Dr Rivière malgré des journées interminables à 60 consultations, mais l’impossibilité financière d’assumer les charges et les travaux de mise en conformité. « Nous sommes propriétaires des locaux et allons faire voter la copropriété contre les travaux de mise aux normes. Ensuite nous vendrons les locaux en habitation ». Car aucun successeur potentiel ne se présente aux portes de ce cabinet que les frais mensuels et l’énorme patientèle effraient. Fermeture anticipée des portes également chez le Dr François Etchart qui ne pourra rendre accessibles ses locaux parisiens. à quelques années de la retraite théorique, il dévisse sa plaque ne pouvant débourser les 17?000 euros de travaux qui lui sont imposés par la loi.

Quelle reconversion pour ces généralistes ?

« Déplaquer », ils sont ainsi nombreux à y songer. « Il est impossible de s’instituer médecin de famille, voire seulement médecin généraliste, sans avoir cette tentation chaque jour de sa carrière, chaque jour de vacances… au moins une fois par jour », assène le Dr Michel Alessandri. Une étude réalisée à Angers, en 2009, prouve que parmi les 63 % de médecins généralistes de plus de 55 ans qui souhaitent cesser ou adapter leur activité avant 65 ans, 30 % veulent cesser définitivement le libéral et 33 % préfèrent adapter leur activité en réduisant leur temps de travail hebdomadaire. Mais une fois la plaque dévissée, que deviennent ces médecins ? D’après l’Atlas 2011 du Conseil de l’Ordre des Médecins, 51,6 % des « déplaqueurs » reprennent une activité régulière sous forme de salariat (34,5 % d’hospitaliers, 49,1 % de salariés non-hospitaliers), de remplacements (2,4 %), ou de retraite active.

L’avenir du Dr Michel Byhet, médecin pro- pharmacien à une vingtaine de kilomètres de Rouen, qui a dévissé sa plaque le 1er janvier dernier, assommé par la charge administrative, le remplissage des feuilles de soin, le collage des vignettes, la pression des caisses, passe en effet par des remplacements. « Je me suis inscrit sur un site et j’attends de voir comment cela va se passer ». Mais c’est la médecine salariée qui semble tirer son épingle du jeu. D’après les chiffres du Conseil National de l’Ordre des Médecins, en 2012, 34,2 % des généralistes avaient une activité salariée exclusive (médecins pompiers, médecins en centre d’examen de santé, médecins-conseil à la Sécu, médecins coordonnateurs en EHPAD, médecins coordonnateurs de réseau…), ce qui représente une hausse de 2,7 % entre 2007 et 2012. D’ici à 2017, le CNOM prévoit une décroissance des effectifs de médecins généralistes en exercice libéral au profit de la médecine salariée qui s’accompagne souvent d’une diminution du rythme de travail hebdomadaire, d’une régularité de revenus, d’une meilleure protection sociale, d’une retraite confortable, de la possibilité de prendre des congés rémunérés…

Ceux qui reviennent au libéral

Bien que l’Atlas 2011 du Conseil de l’Ordre des Médecins annonce que 90 % ne souhaitent pas reprendre une activité libérale, certains médecins ayant dévissé leur plaque y reviennent malgré tout. Nostalgie de la médecine générale, découverte de la pression hiérarchique, de la rigidité de certains cadres de travail…

C’est le cas du Dr Paul Le Meut qui, après un passage en salariat dans un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), a réouvert un cabinet libéral dans la région rennaise. Comme médecin coordonnateur en EHPAD, le Dr Le Meut avait bénéficié rapidement d’une nouvelle qualité de vie, d’un revenu stable sans se tuer à la tâche et d’un salaire horaire net de 25 à 30 % supérieur par rapport à son revenu de médecin généraliste. « Mais je ne me sentais pas pleinement investi. Je n’ai trouvé qu’un intérêt modéré dans les activités exercées en EHPAD et les relations avec la direction ne sont pas toujours simples ». Ce généraliste se dit également trop jeune pour cette forme d’exercice mais annonce qu’il ne reprend pas son activité libérale première sous les mêmes auspices : « J’ai suivi une formation pour apprendre à dire non ! ».

Retour au libéral également mais sous une autre forme pour Borée. S’il n’a jamais envisagé de tout arrêter – mais comprend parfaitement que d’autres y songent –, la nécessité de s’épanouir selon d’autres formes d’exercice s’est imposée à lui. Après plusieurs années de pratique libérale dans une région isolée, Borée a fait le choix d’exercer dans un cadre nouveau. « J’ai rejoint une équipe en zone péri-urbaine, à 15 km d’une grande ville du Sud-Ouest. Mes conditions d’exercice ont radicalement changé. Nous sommes quatre médecins, bientôt six, et travaillons avec douze autres professionnels », détaille ce médecin qui a beaucoup gagné en qualité de travail, même si la pénibilité du statut libéral qu’il a retrouvé avec ses questions administratives reste un problème.

Comment éviter les départs ?

« Déplaquer, c’est abandonner. Déplaquer se conçoit comme un suicide. C’est l’échec d’une vie », assène le Dr Alessandri qui, à maintes reprises, a pourtant songé à tout abandonner. Alors, comment éviter de telles situations ? Quelles seraient les solutions ? Dans sa thèse, Maryline Ramos Da Cruz recense quelques propositions d’amélioration de l’exercice libéral qui contribueraient à éviter l’épidémie de départs anticipés. Parmi ces propositions : revaloriser l’acte, mieux informer les jeunes des conditions d’exercice en libéral, réduire les tâches administratives, restructurer le mode de rémunération. Elle suggère également une meilleure prise en compte par les autorités de tutelle, une aide au regroupement et à la création de nouveaux cabinets, une diminution de la charge de travail, une assistance à la gestion du cabinet...

Génération « smicards »

Selon le Dr Chaix, qui se dit de la « génération des médecins smicards » – qui en début de carrière n’avaient qu’une centaine de patients et faisaient des gardes pour survivre –, les généralistes ne devraient pas se plaindre d’avoir trop de patients. En revanche, il propose le regroupement de plusieurs professionnels sur un même site afin de ne pas travailler seuls et de mettre en commun les frais du cabinet. D’autres comme les Drs Borée et Byhet seraient partisans d’une médecine générale salariée. « Dans les jeunes générations, il y a sûrement des candidats au salariat et certains d’entre nous sont déjà prêts à ne plus être libéraux pour éviter le poids de la gestion administrative du cabinet », explique Borée. « Notre salut passe par le salariat », renchérit le Dr Byhet qui suggère également aux jeunes généralistes qui s’installent de veiller à maintenir une clientèle modérée et, surtout, d’apprendre à poser des limites afin de ne pas se noyer dans une relation trop servile avec leurs patients.