353 dossiers en 2015. Dans les statistiques du Sou, les réclamations impliquant des médecins généralistes étaient aussi nombreuses l’an passé que lors de l’exercice précédent.
Pour autant, certaines tendances de fond peuvent à terme inquiéter : comme cette habitude nouvelle de mettre en cause le médecin traitant, alors même que le dommage est le fait d'un de ses correspondants ou de l'hôpital... Inventaire des motifs qui peuvent amener un malade à se retourner contre son soignant.
Pour l’heure, le paysage de la responsabilité civile professionnelle (RCP) révélé jeudi par le Sou Médical-MACSF (lire notre article sur le bilan 2015) pour 2015 est de prime abord plutôt rassurant pour les médecins de famille. L’an passé, le Sou a relevé 353 déclarations concernant des adhérents généralistes, c’est presque autant que les 343 cas relevés en 2014 et beaucoup moins que les 472 et 505 cas traités par l’assureur, respectivement en 2013 et 2012.
Sur ces quatre dernières années, aucune inflation n’est constatée dans les demandes des patients faisant même avoisiner le taux de sinistralité de la discipline autour de la barre des 1 % pour les quelque 46 000 généralistes adhérents au Sou. On est très loin de ratios qui, dans certaines disciplines, chirurgicales notamment, dépassent les 30 % et nettement au-dessus de la moyenne toutes disciplines qui, cette année, s’établit à 1,50 %.
Une stabilité qu’il faut néanmoins nuancer, comme le souligne Nicolas Gombault (voir notre interview) directeur du Sou Médical : « on pense qu’avec les interventions de plus en plus fréquentes en ambulatoire, cela devrait faire peser à terme un risque supplémentaire sur la médecine générale. » La diminution constatée au début de la décennie serait d’ailleurs surtout liée à la décrue des procédures liées aux affaires qui ont fait parler d’elles ces dernières années.
Ainsi, emmenées par le dossier Médiator, les mises en cause pour iatrogénie représentaient il y a trois ans 28% des dossiers impliquant la profession et encore avec 70 mises en cause,20 % des affaires en 2014. En 2015, seules 45 des mises en cause pour iatrogénie sont relevées, soit à peine 15 % du total. Et au sein de celles-ci, 11 implications pour prescriptions de Dépakine® apparaissent.
Conséquences sérieuses
[[asset:image:11311 {"mode":"small","align":"left","field_asset_image_copyright":["GARO\/PHANIE"],"field_asset_image_description":[]}]]En comparaison, les statistiques du Sou recensent un tiers de déclarations de professionnels pour des raisons de diagnostic et une sur deux concernant peu ou prou la prise en charge du patient. A y regarder de plus près, la frontière entre ces deux grandes catégories n’est d’ailleurs pas si évidente en médecine générale, une mise en cause au titre du suivi pouvant avoir en réalité pour origine un retard de diagnostic… Ce qui est sûr, c’est que c’est souvent la gravité des conséquences qui pousse le patient à se retourner contre le soignant : pas moins de 68 dossiers ouverts par le Sou en médecine générale l’an passé se sont en effet soldés par un décès, soit un quart des réclamations.
Dans de nombreux autres cas, l’issue est, sinon fatale, du moins tragique : amputations, cancer métastasé, grossesse extra-utérine avec hémopéritoine, péritonites, séquelles d’AVC, impotence, paraplégie, etc. Le Sou mentionne ainsi le cas d’un patient souffrant de douleurs abdominales nocturnes, examiné successivement par trois praticiens. Cinq jours plus tard, la découverte d’une torsion testiculaire nécessitera une orchidectomie.
C’est aussi la situation de cette patiente suivie pour une HTA mal équilibrée, hospitalisée pour une insuffisance rénale terminale et depuis sous dialyse. Ou encore de cet homme qui, consultant de retour du Maroc, se plaignait de nausées et RGO et pour lequel un diagnostic d’intolérance digestive avait été posé. Choc septique, cinq jours après la consultation et admission en réanimation du fait d’une méningite à pneumocoque : son recours est motivé par des tétraparésie et hypoacousie séquellaires…
Des plaintes abusives, aussi
À l’inverse, un certain nombre de plaintes de patients ne semblent pas liées à des conséquences délétères, mais ce n’est, fort heureusement, pas la majorité. Toutefois, une évolution favorable est mentionnée dans environ 10 % des réclamations. Le plus étonnant pourtant, quand on regarde l’inventaire du Sou, c’est que, dans un nombre non négligeable de cas, le malade ou sa famille met en cause le praticien, alors même que les prescriptions ou conseils du professionnel n’ont pas été suivis.
« On a des plaintes qui sont abusives », confirme Nicolas Gombault. Tel ce patient mis sous antidépresseurs pour dépression réactionnelle à des problèmes professionnels, qui arrête de lui-même son traitement et ... contestera ensuite la prise en charge de son médecin après reprise des symptômes ! D’autres refus peuvent s’avérer encore plus tragiques.
Comme pour cette patiente porteuse d’un goitre depuis l’enfance, qui fait fi du suivi endocrinologique proposé et de la demande d’avis chirurgical de son médecin. S’en suit, syndrome de détresse respiratoire conduisant à une hospitalisation, et finalement les résultats d’anatomopathologie sont en faveur d’un cancer anaplasique. Puis trachéotomie, chimiothérapie, radiothérapie. Décès… Épilogue tragique aussi pour cette malade pour laquelle une mucosectomie oesophagienne par endoscopie avait été indiquée suite à un bilan inquiétant, mais qui ne prit jamais rendez-vous. Elle devait décéder 19 mois plus tard d’un cancer invasif avec métastases…
Parfois, tout le monde trinque
Il se confirme aussi que le généraliste est en première ligne dans un bon nombre d’affaires où il ne semble a priori pas vraiment générateur du dommage. C’est le revers de la médaille du médecin traitant qui lui vaut d’être mis en cause pour des situations qui semblent davantage être le fait de spécialistes ou d’hospitaliers.Au Sou, en 2015, une grosse vingtaine de dossiers dans lequel un généraliste est inquiété impliquait plusieurs ou la totalité des praticiens amenés à dispenser des soins. Et dans ce cas de figure, le généraliste n’est jamais oublié. C’est par exemple le cas de ce patient porteur d’un rétrécissement aortique et adressé à un spécialiste pour avis devant majoration du souffle. Après découverte de lésions coronaires et carotidiennes, il doit subir une intervention chirurgicale. Trois jours plus tard, épisode d’arythmie complète par fibrillation auriculaire à l’origine d’un AVC. Tous les acteurs de la prise en charge seront mis en cause. Idem enfin pour cette personne opérée d’une hernie discale et dont les suites sont marquées par une spondylodiscite à l’étage opéré et une polyneuropathie d’origine indéterminée.
Dans cette affaire, tous les intervenants de la chaîne de soin sont incriminés. Reste que, dans la panoplie des reproches faits aux généralistes, les mises en cause pour erreur médicale prédominent. Qu’elles soient diagnostiques -absence de diagnostic d’une luxation congénitale de la hanche, diagnostic tardif de gale- ou renvoyant à la non-sécurisation de sa pratique : sérologie VIH positive, mais résultat non transmis à la patiente, inversion des posologies, suivi téléphonique sans consultation pour des lombalgies qui se solderont par une paraplégie sur épidurite à staphylocoque aureus, prescription par erreur d’une dose élevée de Flagyl pour prise en charge d’une diverticulite… Les exemples de ce genre abondent dans ce bilan 2015 de la RCP.
Incertitude diagnostique
[[asset:image:11321 {"mode":"small","align":"right","field_asset_image_copyright":["BURGER\/PHANIE"],"field_asset_image_description":[]}]]Mais au regard des autres spécialités, ce qui piège souvent le généraliste relève de l’incertitude diagnostique et de la gestion du facteur temps inhérentes à la médecine générale. Nombre d’affaires impliquent un retard de diagnostic, alors que la pathologie devait en fait évoluer rapidement.Dans plus de 10 % des cas traités par le Sou, on reproche au praticien d’avoir, en première intention, opté pour un traitement symptomatique, face à des lombalgies,douleurs thoraciques, abdominales ou à un état fébrile, alors que le patient devait décompenser des troubles plus sérieux au plan cardiorespiratoire, digestif ou infectieux. Ce sont aussi les stratégies choisies qui sont contestées.
Ainsi de ce patient qui, se plaignant de lombalgie, est mis sous AINS et devra subir deux jours plus tard une intervention chirurgicale pour ulcère gastrique perforé. Ou encore de celui-ci, qui de retour d’une cure de hernie inguinale avec pose de plaque, appelle son médecin traitant pour des douleurs abdominales : l’examen clinique paraît normal, or deux jours plus tard il devra être hospitalisé pour syndrome occlusif… Grandeur et servitude de la vie de généraliste…
Dans ce « tableau de chasse » de la RCP, on retrouve aussi trois plaintes suite à des suicides, comme dans l’histoire de ce couple de 80 ans, qui consultait pour une perte d’autonomie avec dépendance depuis un an. Même reproche de la part de la famille d’un patient psychotique qui alléguera d’une prise en charge inadaptée après que celui-ci a mis fin à ses jours. Parfois, c’est la déontologie du praticien qui est contestée, comme ce sociétaire qui avait rédigé un certificat médical de bons soins destiné à la mère d’un jeune patient ; une initiative qui ne fut pas du tout du goût du père séparé…
PDS, accidents et petite chirurgie
Peu de recours en revanche concernant des gestes techniques. On retiendra néanmoins cette incision de panaris qui finit mal, avec malaise et chute du patient, suivie d’une fracture de deux incisives. Ou cette pose d’un DIU compliquée d’une perforation utérine. Un autre patient est victime de la perforation d’un tympan lors d’une tentative d’extraction de bouchon de cérumen. Cet autre, est affligé d’une arthrite septique suite à injection d’acide hyaluronique pour arthrose du genou.Et parfois, c’est l’aléa qui explique les réclamations : syndrome de Lyell suite à la prise de colchicine, rupture du tendon d’Achille chez un patient traité par fluoroquinolones pour une bronchite purulente… Dans cet inventaire, certaines situations de permanence de soins exposent des praticiens. Qu’il s’agisse d’un refus de se déplacer en visite ou d’un conseil en régulation, elles font généralement beaucoup parler d’elles, mais visiblement dans les statistiques du Sou se comptent sur les doigts d’une seule main.
Tout comme d’ailleurs les conséquences de chutes de la table d’examen ou consécutives à un malaise. Enfin, pour l’anecdote, relatons quand même cette entorse du poignet contractée au cabinet… lors d’une poignée de main avec le praticien !